La pandémie a entraîné des augmentations inédites des dettes souveraines. C'est l'une des faiblesses de l'économie mondiale pointée du doigt mardi par le Fonds monétaire international (FMI) en mettant à jour ses perspectives pour les prochaines années. "Sur le plan budgétaire, la marge de manœuvre de nombreux pays a déjà été entamée par les dépenses contraintes liées au Covid-19. Les niveaux d'endettement ont considérablement augmenté alors que le soutien budgétaire exceptionnel devrait être retiré en 2022-2023", constate Pierre-Olivier Gourinchas, le directeur de la recherche du FMI, qui craint que "la guerre en Ukraine et la hausse des taux d'intérêt qui se profile à travers le monde va encore réduire la capacité budgétaire dans de nombreux pays, en particulier les pays développés et émergents qui importent du pétrole et des produits alimentaires".
Révision à la baisse de la croissance mondiale
Conséquence, cette accumulation de dettes non seulement souveraines mais aussi privées rend plus incertaine aujourd'hui la reprise économique mondiale, mettant à l'épreuve la capacité de résistance du système financier, estime le Fonds, qui a révisé à la baisse ses prévisions de croissance du PIB mondial, à 3,6% en 2022 et 2023. Jusqu'ici, le FMI prévoyait une hausse de 4,4% cette année et de 3,8% l'an prochain.
La guerre en Ukraine va en effet rendre plus difficile pour de nombreux gouvernements des marchés émergents le remboursement de leurs dettes à leurs créanciers étrangers, alimentant les craintes de crises potentielles. Alors que l'inflation était déjà élevée, les sanctions imposées à la Russie par les pays occidentaux ont augmenté les prix de la nourriture, de l'énergie et d'autres produits à un moment où de nombreuses grandes banques centrales augmentent les taux d'intérêt pour maîtriser l'inflation qui atteint des niveaux records à travers le monde. Déjà, avant l'invasion de l'Ukraine, les prix des produits alimentaires avaient flambé, comme le montre l'indice de la FAO, qui a atteint en février un pic historique.
Aujourd'hui, des pays comme le Pakistan, l'Egypte, la Tunisie ou encore l'Argentine sont au bord de l'explosion sociale en raison de l'envolée des prix de produits de base qui pèse sur les ménages les plus modestes.
L'exemple du Sri Lanka
A l'exemple du Sri Lanka, qui s'enfonce dans une grave crise, après avoir été dans l'incapacité d'honorer un remboursement sur sa dette extérieure. Il a demandé une aide financière d'urgence au FMI, et a imposé des quotas sur le carburant, pour enrayer la colère sociale. Le ministère des Finances a justifié son défaut de paiement en raison de la guerre en Ukraine qui vient s'ajouter à la pandémie. Le tourisme, un secteur vital pour l'économie du pays et les revenus pour l'Etat, n'a pas pu redémarrer.
"Il faut s'attendre à des défauts. Il va y avoir des crises. Avec des chocs tels que celui-ci (la guerre en Ukraine), tout est possible", avertissait Kenneth Rogoff, économiste à l'Université de Harvard, spécialiste des dettes souveraines, lors d'une récente table ronde du FMI.
Bien que l'institution ne prévoit pas à ce stade une crise mondiale de la dette, le risque est élevé. "Selon la base de données mondiale du FMI sur la dette, l'emprunt a bondi de 28 points de pourcentage pour s'établir à 256 % du produit intérieur brut en 2020. Les gouvernements ont été, pour moitié environ, à l'origine de cette hausse, le reste provenant des sociétés non financières et des ménages. La dette publique représente aujourd'hui près de 40 % du total de la dette mondiale, taux jamais atteint depuis presque soixante ans", indiquaient la semaine dernière, Vitor Gaspar et Ceyla Pazarbasioglu, sur le blog du FMI.
Car, contrairement aux économies développées qui bénéficient encore de taux bas, les pays émergents ont des difficultés croissantes à gérer leurs dettes. Environ 60 % des pays à faible revenu couraient déjà un risque élevé de surendettement en 2020, contre 30 % en 2015, selon le FMI, avec la probabilité d'un défaut et d'une restructuration de la dette.
Par ailleurs, nombre d'économies émergentes pour se financer se sont endettées auprès de la Chine. Ainsi la part de la dette extérieure du géant asiatique due par les 73 pays pauvres les plus endettés est passée de 2% en 2006 à 18% en 2020 (voir graphique), tandis que les prêts au secteur privé sont passés de 3% à 11%, selon les données du FMI. Pendant ce temps, la part combinée des créanciers traditionnels - des institutions multilatérales telles que le FMI et la Banque mondiale ou encore du "Club de Paris" de gouvernements occidentaux pour la plupart riches - est passée dans le même temps de 83% à 58%.
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Intégrer une forme de résilience
Face à cette montée des incertitudes, Kenneth Rogoff, dans un article rédigé le mois dernier pour le FMI, mettait en garde sur les politiques à mener, notamment en matière de lutte contre l'inflation : "Aujourd'hui, la leçon macro-économique la plus importante à retenir est qu'en élaborant des réponses au dernier choc économique majeur, qu'il s'agisse de la crise financière, de la pandémie ou maintenant de la guerre en Europe, les décideurs politiques (sans parler des économistes académiques) doivent se rappeler que même si la situation s'améliore en général après un événement catastrophique, elle peut aussi empirer. Aussi, les politiques monétaire et budgétaire doivent intégrer une forme de résilience, et ne pas se contenter d'une politique maximaliste devenue à la mode ces derniers temps". Une critique qui vise notamment la Fed ou encore la Banque centrale d'Angleterre.