Annoncé comme imminent depuis quelques semaines, la restauration de l'accord sur le nucléaire iranien - techniquement "the Joint Comprehensive Plan of Action" (JCPOA) - est comme l'Arlésienne: on ne le voit toujours pas. Pourtant, la conclusion est devenue encore plus urgente depuis que l'application des sanctions occidentales contre la Russie en rétorsion à son invasion militaire de l'Ukraine. En effet, la volonté d'arrêter les importations de gaz naturel et de pétrole russes des Etats-Unis et surtout de l'Europe oblige à trouver des fournisseurs alternatifs.
"L'Iran pourrait être une autre source d'approvisionnement supplémentaire substantielle (de pétrole) si les sanctions sont levées, mais son retour sur le marché ne serait pas immédiat", indiquent les experts de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). En cas d'accord, il faudra compter au moins un mois pour une levée effective des sanctions, selon eux. "Nous prévoyons que la production augmentera de plus de 1 million de barils par jour (mbj) d'ici six mois pour atteindre sa pleine capacité de 3,8 mbj", prévoient-ils.
Un stock flottant de 100 millions de barils
Il faut également compter avec un stock flottant disponible de 100 millions de barils qui prendra toutefois des mois avant d'être écoulé d'autant plus que les tankers iraniens doivent à nouveau faire l'objet d'une certification et être assurés pour être à nouveau opérationnels. En février, la production de pétrole brut iranien a atteint 2,56 mbj, "le niveau le plus élevé en près de trois ans", souligne l'AIE. En 2021, le pays a produit en moyenne 2,4 mbj.
Mais cette offre iranienne ne suffira pas à pallier mécaniquement l'offre russe. L'AIE indique qu'outre la Chine, un pays vers lequel elle exporte déjà, la Société nationale iranienne de pétrole (NIOC) pourrait rétablir rapidement des contrats d'exportations avec l'Europe, à des prix compétitifs et avec des possibilités de paiements différés, mais aussi avec l'Inde, la Corée du Sud, le Japon et la Turquie.
Avant les sanctions américaines, en 2018, l'Iran exportait 2,4 mbj dont 670.000 bj vers la Chine, 490.000 bj vers l'Inde, 590.000 bj vers l'Europe, 260.000 bj vers la Corée du Sud et 150.000 bj vers le Japon.
En comparaison, la Russie a pompé 10,05 mbj en février, selon l'AIE. En décembre 2021, les exportations de brut étaient de 2,8 mbj, dont environ 0,7 mbj par pipeline, le reste par voie maritime. "Nous estimons que 4 mb/j de pétrole brut russe sont vulnérables à un embargo sur le commerce du pétrole imposé par l'UE et d'autres pays non européens de l'OCDE", estiment de leur côté plusieurs experts de l'institut Bruegel, dans un rapport publié à la mi-mars.
"Plus de 1,5 mb/j de produits pétroliers acheminés vers les pays non européens de l'OCDE sont également menacés. Jusqu'à présent, les preuves suggèrent que si le pétrole a continué à circuler dans les oléoducs, la Russie a du mal à trouver des acheteurs pour les expéditions maritimes , les acheteurs évitant environ 1,6 mb/j de brut et 1 mb/j de produits pétroliers, qui pourraient devenir 3 mb/j en avril", soulignaient les experts du think tank belge, en évaluant les effets des sanctions.
Troisième producteur mondial de gaz
Quant au gaz, l'Iran a produit 250,8 milliards de m3 en 2020, selon le BP Statistical Review of world energy 2021, ce qui le place au troisième rang mondial des pays producteurs de gaz, après les Etats-Unis et la Russie. Cette dernière avec ses 638,5 milliards de m3 représente 16,6% de la production mondiale contre 6,5% pour l'Iran. Or, cette production iranienne est principalement destinée au marché local, puisque le pays a consommé 233,3 milliards de m3 de gaz en 2020, ce qui représentait 6,1% de la consommation mondiale. Le restant étant vendu via des gazoducs aux pays voisins: Turquie, Arménie, Azerbaïdjan et Irak.
Même si les sanctions sont levées rapidement, peu de volume ira à brève échéances sur le marché international, et ne pourra pas pas être une alternative aux 184 milliards de m3 de gaz russe exportés vers l'Europe chaque année, dont 17,2 milliards de m3 de GNL. Si l'Iran possède les deuxièmes plus importantes réserves de gaz naturel du monde derrière la Russie, le secteur souffre aussi d'un sous-investissement chronique en raison de son isolement en particulier dans les technologies pour exploiter notamment le gisement prometteur off shore de Chalous, en mer Caspienne, mais aussi dans les capacités et les infrastructures pour les exportations de gaz liquéfié (GNL). La majorité du gaz de l'Iran provient d'un immense champ gazier off-shore, South Pars, situé dans le golfe Persique. Même si les sanctions sont levées, l'Iran ne pourra donc pas fournir une alternative sinon marginale aux exportations russes vers l'Europe.
Or, l'accord de 2015 est loin d'être restauré. Dénoncé en 2018 par Donald Trump qui soupçonnait Téhéran de poursuivre son programme d'enrichissement d'uranium pour se doter de l'arme nucléaire, l'Iran s'était vu imposer un embargo commercial, notamment sur une large part de ses exportations d'hydrocarbures.
Et si l'arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche a relancé depuis plusieurs mois les négociations auxquelles participent outre l'Iran et les Etats-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, la Chine, la Russie, l'obtention d'un accord bute toujours sur certains obstacles.
Plusieurs facteurs retardent un accord sur le nucléaire iranien
En effet, d'autres facteurs compliquent la résolution du dossier. Au nom de sa sécurité, Israël qui soupçonne l'Iran de vouloir, même en cas d'accord, poursuivre son objectif de se doter de l'arme nucléaire n'a jamais caché ses réticences vis-à-vis d'un tel accord.
Il y a aussi la Russie qui, soumise aux sanctions depuis l'invasion de l'Ukraine, a exigé que des garanties lui soient données pour qu'elle puisse poursuivre sa coopération avec l'Iran sans être pénalisée, en particulier dans le nucléaire civil. Partie prenante des négociations, elle a obtenu ces garanties des autres pays.
Par ailleurs, l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, courtisés pour augmenter leur offre de pétrole via l'Opep, entendent pour leur part être davantage considérés par les Etats-Unis. Ils veulent que Washington les aide à trouver une issue diplomatique à la guerre au Yémen qui en sept ans a déjà causé la mort de 377.000 personnes, selon l'Onu, et a un coût économique élevé. Leur revendication porte sur la fin du soutien de Téhéran à la rébellion houthie qui envoie régulièrement des drones et des missiles sur leurs infrastructures notamment pétrolières.
En signe de bonne volonté, les deux pays ont d'ailleurs décrété un cessez-le-feu unilatéral en ce mois du ramadan. Cette décision veut favoriser les discussions menées par les Nations unies pour trouver une issue au conflit. Elle intervient après des échanges sur un possible allègement du blocus maritime et aérien des zones tenues par les Houthis, selon des sources, citées par l'AFP, qui précisent que le plan élaboré par l'émissaire de l'Onu pour le Yémen, Hans Grundberg, est soutenu par les Etats-Unis et d'autres puissances occidentales.
Urgence à conclure
Ces problèmes expliquent le report répété de la conclusion d'un accord. Mais le temps presse. Mercredi, la France a appelé toutes les parties prenantes à conclure l'accord sur le nucléaire iranien qui est "sur la table" à Vienne. "Il y a une urgence critique à conclure", alors que l'Iran se rapproche chaque jour un peu plus de la capacité de fabriquer une bombe atomique, a déclaré une porte-parole de la diplomatie française.