Les enjeux européens des législatives du 26 septembre n'apparaissent pas au premier rang des préoccupations des électeurs allemands. Comme si l'Europe était déjà devenue une évidence. Le Green Deal (Pacte Vert) défendu à Bruxelles par la présidente allemande de la Commission Ursula von der Leyen a entamé depuis un an son parcours législatif. Ses enjeux climatiques ne sont plus contestés, des pans entiers de l'industrie allemande ayant établi leur propre "Wende", à l'image de l'automobile en conversion vers l'électrique. Mais le sujet du leadership politique allemand, constamment observé et commenté par les Français, ne s'entend pas dans les débats nationaux. Au Parlement européen à Strasbourg, les eurodéputés en sont convaincus : le chancelier ou la chancelière qui succèdera à Angela Merkel sera, de toute manière, pro-européen.
Une campagne auto-centrée
"Le débat qui a précédé ces législatives a été auto-centré sur l'Allemagne. Quand on souhaite débattre à un niveau supérieur, on passe directement à des questions globales, telles que le climat ou la situation en Afghanistan", observe la députée européenne Anna Deparnay-Grunenberg. Elue chez les Verts depuis 2019, la Berlinoise parie sur la victoire ce dimanche du SPD avec les écologistes allemands. Elle voit volontiers le candidat du social-démocrate Olaf Scholz, actuel vice-chancelier et ministre fédéral des Finances, accéder à la chancellerie. Sans se faire d'illusions quant au succès de la candidate des verts Annalena Baerbock, en troisième place dans les sondages. "En France, on s'est posé énormément de questions sur l'orthodoxie financière des Allemands, sur notre obsession de la dette et notre opposition à sa mutualisation. Cette histoire, c'est déjà du passé ! Olaf Scholz a complètement changé d'opinion après la crise du Covid, il a viré sa cuti", estime Anna Deparnay-Grunenberg. Dans les médias allemands, le candidat social-démocrate s'est vanté d'avoir été l'inventeur des "Corona-Bonds", le fonds de relance NextGenerationEU (750 milliards d'euros) adossé à dette mutualisée.
"Cette question de la dette mutualisée entre les pays européens reste une question très sensible. Je ne sais pas si nos concitoyens seraient d'accord avec une plus grande intégration", s'interroge la sociale-démocrate Evelyne Gebhardt. "Les citoyens allemands sont pourtant plus européens que nos récents gouvernements", observe-t-elle du haut de ses six mandats successifs à Strasbourg.
La puissance de la politique extérieure
L'Europe est-elle la question hors-sujet de ces législatives ? "L'Allemagne élit le leader européen", a pourtant écrit un éditorialiste de la Frankfurter Allgemeine, convaincu de la montée en puissance de la politique extérieure de son pays. L'Allemagne demeure bouleversée par la vague des réfugiés (1,2 millions de personnes) arrivés après la crise syrienne, et la politique migratoire figure dans tous les agendas. "Wir schaffen das" ("nous y arriverons"), avait promis Angela Merkel en septembre 2015.
Soutenu par la chancelière, le patron de la CDU Armin Laschet tente d'incarner cette continuité sur la scène internationale. "La promesse de sécurité, l'un des fondements de l'Europe, a besoin de renouveau", écrivait-il début septembre dans une tribune publiée par le quotidien économique Handelsblatt, quelques jours après le retrait de la coalition internationale de Kaboul. "L'Europe doit faire une nouvelle offre à ses citoyens pour minimiser les risques, garantir la sécurité et ainsi se renforcer elle-même. Tout comme les amitiés intimes de Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, d'Helmut Kohl et François Mitterrand se sont incarnées lors de la création de la maison commune européenne", a rappelé l'ancien député européen (1999-2005). Citant 138 fois le mot "Europa" dans son programme électoral (139 pages), Armin Laschet défend "une coopération et une intégration européennes au lieu d'un isolement nationaliste". "Ce n'est qu'ainsi que nous rendrons l'Allemagne et l'Europe plus résilientes : en cas de pandémie, de crise économique, de menace terroriste ou de cyberattaque", défend la CDU.
Débat autour de l'intelligence artificielle
Un autre sujet européen promet d'animer les débats en Allemagne : celui de l'intelligence artificielle, débattue depuis une année en commission spéciale AIDA (Artificial Intelligence in a Digital Age) au Parlement européen. Ce sujet coche toutes les cases chères à l'électorat national, des droits de l'Homme à l'indépendance économique. Pour la députée Svenja Hahn (Renew), issue du parti libéral-démocrate (FDP) allemand, il semble essentiel "d'aboutir à un cadre uniforme législatif et normatif européen. Le cryptage est un ingrédient essentiel. J'ai été stupéfaite d'apprendre que le Conseil européen a lancé le débat sur une "master key" destinée à déchiffrer n'importe quelle communication cryptée. Le droit à la protection de la vie privée est un sujet qui ne peut faire l'objet d'aucune négociation". L'Europe, qui cherche sa voie dans l'intelligence artificielle entre une doctrine américaine "pro-business" et le leadership des Chinois, critiqués pour leur tendance à la surveillance de masse, pourrait survenir par la voie allemande.