François Hollande : "La gauche doit dire quels impôts (elle augmentera) et qui les paiera"

L'ancien premier secrétaire du PS dénonce le « bricolage » du projet de budget 2011 et appelle la gauche à promouvoir une réforme fiscale globale dans la campagne présidentielle de 2012.

La Tribune - Comment qualifier le projet de budget 2011 ?

François Hollande - Bricolage en matière de redressement des finances publiques et injustice dans les choix de dépenses comme de recettes. C'est le dernier budget du quinquennat, donc il résume une politique. Elle s'est révélée défaillante au double plan de l'équité et de l'efficacité. Nicolas Sarkozy laissera à son successeur une situation exceptionnellement dégradée de nos comptes publics et sociaux.

- Quels auraient été vos choix ?

 - Quand un pouvoir rate la première marche, il prend le risque de descendre tout l'escalier. C'est ce qui se produit. La France paye au prix fort les trois erreurs de la présidence Sarkozy. La première, ce sont les cadeaux fiscaux du premier budget de 2008, la seconde, c'est l'absence d'une stratégie productive pour générer des recettes nouvelles et la troisième, c'est un plan de relance, dont l'impact a été inférieur au coût infligé aux comptes publics. Comment imaginer que le dernier budget du quinquennat puisse effacer l'ensemble de l'ardoise ? Je préconise donc pour l'après 2012 une toute autre démarche. Commencer par la réforme fiscale, sans laquelle il ne peut pas y avoir d'appel à l'effort, puis engager un programme d'économies, non seulement sur les dépenses fiscales mais sur un certain nombre de charges improductives qui lestent encore l'Etat. Et enfin lancer un plan de mobilisation de l'épargne vers l'investissement. Mais il faut en finir avec les pseudo règles automatiques qui désorganisent les ministères sans aucune logique comme le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

 - Les prévisions économiques sont-elles crédibles ?

 - C'est un débat secondaire. Je souhaite que la croissance atteigne 2%. Il est probable qu'elle fera un peu moins mais cela ne change pas le caractère hautement velléitaire des objectifs fixés en matière de déficit: 6% du PIB en 2011, et surtout 3% en 2013, ils sont inatteignables, compte tenu des décisions ou plutôt des non décisions prises. Le pari du gouvernement repose sur une rentrée plus rapide que prévu des recettes fiscales en 2011 et en 2012. La meilleure preuve est que le taux des prélèvements obligatoires passera selon les estimations officielles de 41,9 en 2010 à 42,9 en 2011 et à 43,2 en 2012. C'est l'aveu qu'il y aura une augmentation des impôts dès l'année prochaine. Le plus grave, c'est que ce seront les classes moyennes qui supporteront la totalité de la charge.

- Comment jugez-vous les choix concernant les niches ?

- Il y aura bien 10 milliards d'augmentation d'impôts en 2011, les niches n'en représentent que 5%, soit 500 millions. Le reste, ce sont des ajustements sur le calcul des cotisations sociales des entreprises et des prélèvements supplémentaires pour les ménages notamment sur l'épargne, la couverture des dépenses maladie et le 'triple play'. Il y a de la part du gouvernement une forme de tromperie. Seule la peinture des niches est écornée mais les avantages fiscaux exorbitants restent inchangés. Rien n'est clair, rien n'est durable, rien n'est juste.

 - Et le bouclier fiscal ?

 - Il ne sera pas touché, il est à peine entamé dans le budget 2011. Son sort dépendra moins d'un rapport de la Cour des Comptes sur la fiscalité comparée entre la France et l'Allemagne que du résultat de l'élection 2012. Mais je veux dénoncer le troc que certains proposent: la fin du bouclier contre la disparition de l'ISF, 700 millions d'un côté et 3,5 à 4 milliards de l'autre. Un tel tour de passe-passe aboutirait à taxer davantage les revenus du travail et à exonérer un peu plus les patrimoines.

 - Pour vous, la fiscalité reste l'enjeu majeur de 2012 ?

 - La fiscalité sera au c?ur de la campagne puisque Nicolas Sarkozy prétendra, d'ailleurs à tort, n'avoir pas augmenté les impôts et cherchera à faire croire contre toute évidence que le pays pourra échapper à des prélèvements supplémentaires après 2012. Je suggère à la gauche de promouvoir l'idée d'une réforme fiscale, acte préalable à tous les autres, et à éviter le piège qui lui est tendu: il ne faut pas dire impôts, impôts, mais dire lesquels et qui les paiera.

- La fraude fiscale représente chaque année une perte de 50 milliards d'euros pour l'Etat. Comment mieux lutter contre ce phénomène ?

 - La fraude est d'autant plus forte que paradoxalement l'évasion fiscale est pratiquée avec une intensité maximale, autrement dit, plus les exonérations, les dérogations aux règles communes sont nombreuses, plus la tentation d'échapper tout simplement à l'impôt est forte. Un système fiscal cohérent, simple, et stable doit nous permettre non seulement d'élargir les assiettes mais de diminuer la possibilité de fraude. Enfin, à force de démanteler l'administration fiscale, cela a des conséquences. Il faut renforcer les équipes, non pas sur les « petits » manquements mais sur les grosses opérations qui conduisent les entreprises, et parfois les particuliers, à frauder sur une large échelle.

- Vous avez prôné des sanctions contre les exilés fiscaux. Pouvez-vous être plus précis ?

 - Nous sommes dans une République. Il est juste de rappeler à tous, aux plus aisés comme aux plus modestes, que le fondement du vivre ensemble repose sur des droits et des devoirs. Ce qui vaut en matière de sécurité vaut en matière de fiscalité. Si des citoyens choisissent de s'exiler, ils ne peuvent à la fois échapper à la contribution et user du système de santé français comme de la gratuité de l'éducation nationale pour leurs enfants. Il y aura de nouvelles règles à fixer. Je rappelle qu'aux Etats-Unis les exilés fiscaux sont appelés à payer le même impôt que les résidents. Ils peuvent même être privés de leur droit de vote. Je n'irais quand même pas jusque là. Gardons la mesure en toute chose. Je ne suis pas un promoteur de la déchéance de nationalité.

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