Politique économique : ce qui distingue encore (peu) François Hollande de Nicolas Sarkozy

Par Ivan Best  |   |  1469  mots
François hollande pratique une politique de l'offre qui va plus loin que celle mise en oeuvre sous Nicolas Sarkozy…
L'abandon de la nouvelle taxe sur les profits des sociétés, sous la pression des milieux d'affaires, soulève une question: François Hollande mène-t-il une politique plus favorable aux entreprises que celle de Nicolas Sarkozy?

Jacques Chirac, qui avait axé sa campagne électorale de 1995 sur le thème de la fracture sociale, fut bien sûr interrogé sur son positionnement, plutôt à gauche, paradoxal pour son camp. Il eut cette réponse, lâchée de tout de go : «la gauche et la droite, qu'est-ce que ça veut dire ? Les socialistes, à la fin des années 80, ont mené la politique économique et financière la plus à droite qu'on ait connu sous la Vème République ».

Aujourd'hui, Jacques Chirac pourrait s'interroger de la même manière à propos de François Hollande, qui cherche désespérément, à « obtenir la confiance des milieux d'affaires », comme le dit le député PS Laurent Baumel, animateur de la « gauche populaire », à propos de l'annulation officielle de la nouvelle taxe sur les profits bruts des entreprises, annoncée ce dimanche par Pierre Moscovici.

François Hollande est-il l'ami des patrons ? Voire, mène-t-il aujourd'hui une politique économique plus à droite que celle de Nicolas Sarkozy ?

 

Une politique de l'offre qui va plus loin que sous Sarkozy

 La politique de l'offre - favoriser les entreprises en améliorant les conditions de production, pour doper l'emploi - que conduit François Hollande depuis un an, depuis, précisément, l'annonce du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), va plus loin que celle de Nicolas Sarkozy.

 Celui-ci avait d'abord actionné, au contraire, le levier de la demande, en réduisant l'impôt pour l'achat de logements, et en limitant les impôts des plus fortunés (le fameux bouclier fiscal), avant d'annoncer une réforme de la taxe professionnelle a priori favorable à l'industrie. Mais la baisse des charges sociales, avec, pour contrepartie, la TVA sociale, il ne l'a fait voter qu'en toute fin de mandat, avec une date de mise en œuvre lointaine, laissant à son successeur le soin de trancher.

Au total, le CICE équivaut à une baisse des charges sociales de 30 milliards d'euros : le crédit d'impôt n'atteindra certes "que" 20 milliards, mais, contrairement à un allègement de charges pur et simple, il ne dopera pas les bénéfices et donc l'impôt sur les profits afférents.

 30 milliards, voilà qui est conséquent. Mais ne compensent-elles pas les hausses d'impôts intervenues auparavant ? En réalité, pas vraiment. Leur impact ne dépasse pas 13 milliards d'euros, car elles sont essentiellement constituées de « one shot », ces mesures à forte rentabilité qui n'ont joué que sur l'exercice 2013.

"Open bar" pour les entreprises?

Les entreprises sont donc clairement gagnantes, que le CICE soit classé par Bercy parmi les niches fiscales ou pas. Pour elles, « c'est open bar » ironise François Kalfon, délégué national du PS chargé des élections et des études d'opinion. La compensation de la hausse des cotisations retraite des employeurs - par une baisse équivalente des cotisations famille - a fait office de révélateur.

« Le pari de François Hollande, c'est bien de conquérir la confiance du patronat, mais ce pari est illusoire » souligne le député Laurent Baumel. «Car la gauche sera toujours illégitime à ses yeux ».

 

Des classes dirigeantes moins bien servies

 A la gauche du PS, on relève tout de même une différence majeure entre la politique de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande : c'est le traitement réservé aux « riches ». L'ex maire de Neuilly les a clairement favorisés avec le bouclier fiscal, les réductions d'ISF à hauteur de 75% en cas d'investissement dans des PME…. Cela n'a pas été le cas de François Hollande, qui leur a « tapé dessus » comme disent les élus.

L'analyse est cependant plus complexe, Nicolas Sarkozy ayant opéré un virage à 180° en fin de mandat quand il s'est en quelque sorte, renié, supprimant le bouclier fiscal, rognant sensiblement les niches destinées à réduire l'ISF, créant une surtaxe d'impôt sur le revenu…

Comme son prédécesseur, l'actuel chef de l'État est parfois revenu en arrière

Quant à François Hollande, il a, on le sait, multiplié les annonces de taxation des hauts revenus, dès son arrivée aux affaires. Il n'avait jamais expliqué, contrairement à son prédécesseur, qu'enrichir les riches faisait du bien à toute l'économie, il n'a pas été très tendre avec les plus aisés.

Le plus marquant a été le rétablissement de l'ISF avec son ancien barème, progressif, et un plafonnement des impôts à 75% du revenu, dans des conditions plus strictes qu'auparavant… et l'emblématique taxe à 75%, frappant quelque 1.000 dirigeants d'entreprises. Cependant, celle-ci sera finalement acquittée par leur employeur

Mais, comme son prédécesseur, l'actuel chef de l'Etat est parfois revenu en arrière : c'est le cas s'agissant de la taxation des plus-values mobilières (sur actions), avec l'affaire des Pigeons. Finalement, les actionnaires sont aujourd'hui mieux traités que sous Sarkozy, à condition de conserver leurs titres un certain temps.

 Les salariés modestes pas forcément gagnants

 En détaxant les heures supplémentaires, et même si ce n'était pas le but affiché, Nicolas Sarkozy a beaucoup fait pour le pouvoir d'achat des salariés modestes : ce sont notamment les ouvriers qui en bénéficient le plus. Supprimant cette détaxation, François Hollande n'a pas forcément vu l'impact sur cette catégorie. Il a pourtant fait perdre plus de trois milliards d'euros de pouvoir d'achat à ces ménages. Des mesures fiscales ont certes été décidées au profit des contribuables modestes,  mais elles ne sont pas à la hauteur.

Toutefois, avec le rétablissement de la retraite à 60 ans pour les carrières longues, François Hollande a fait un geste en faveur des ouvriers-employés que n'aurait pas envisagé Nicolas Sarkozy. Et la réforme des retraites présentée fin août reste très prudente.

 

 Les classes moyennes supérieures paient le prix fort

 Et les classes moyennes ? Tout dépend de la définition que l'on veut bien en donner. S'agissant des classes moyennes supérieures, les Français qui se situent à la lisière des 10% les plus aisés, la facture est particulièrement lourde. Notamment avec la forte diminution du plafond du quotient familial, passé de 2.330 euros par demi part pour les impôts de 2012 à 1.500 euros pour ceux de 2014. Un couple de cadres déclarant tous deux 3.200 euros nets de revenus mensuels voit son impôt augmenter de 37%....

 

Dépense publique : cherchez la différence

 Voilà une déclaration que Nicolas Sarkozy aurait pu faire :   

« la dépense publique a atteint en 2012 un niveau sans précédent : 56% de la richesse nationale. Cette situation dégrade nos comptes publics et freine notre compétitivité sans garantir pour autant la préservation durable du modèle française de services publics auquel nos concitoyens sont légitimement attachés. »

Mais elle est signée François Hollande, dans la lettre de mission qu'il vient de transmettre aux ex ministres Alain Lambert (UMP) et Martin Malvy (PS), chargés d'une mission sur les dépenses des collectivités locales.

Simple déclaration d'intention ? Le gouvernement affiche en la matière des ambitions semblables à celles de l'équipe Sarkozy. Il s'agit de quasiment geler l'ensemble des dépenses publiques, qui n'augmenteraient plus d'une année sur l'autre. C'est exactement ce qu'a fait la Suède au début des années 90 (le ratio dépenses/PIB n'a alors baissé qu'en raison de la hausse du PIB).

« Une personne un peu forte qui grossit moins, ce n'est pas un amaigrissement »

A cet égard, les déclarations patronales fustigeant la faiblesse des économies que l'Etat envisage, sur le thème « une personne un peu forte qui grossit moins, ce n'est pas un amaigrissement » relèvent plus de la discussion de café du commerce que de l'analyse de la réalité des chiffres.

Quand une entreprise présente un programme de réduction des coûts, elle évalue toujours l'économie réalisée par rapport à une situation sans action particulière : c'est exactement ce que fait le gouvernement, quand il présente ses 15 milliards d'euros d'économies pour 2014.

 

Hollande ne vas pas aussi loin que Schröder

 François Hollande mène une politique de l'offre, favorable aux entreprises, et largement financée par un prélèvement sur le pouvoir d'achat des ménages (TVA, une partie de la taxe carbone). Une politique qui, sur le principe, satisfait la droite. La différence principale avec les réformes menées par Gerhard Schröder au début des années 2000, c'est l'absence d'agenda ambitieux en matière de libéralisation du marché du travail, par exemple. Ou de coupes claires dans les retraites.

Une différence de taille, même si François Hollande applique pour une bonne part les préconisations de la commission européenne ou de l'OCDE.