Le football, une bénédiction pour l'Abramovitch ukrainien

Sans Rinat Akhmetov l'homme le plus riche du pays originaire de Donetsk, l'Euro n'aurait sans doute pas été joué en Ukraine. Mais sans le football, il n'aurait sans doute pas été aussi puissant.
Riinat Akhmetov brandit la coupe UEFA en 2009. Copyright AFP

C'est un peu grâce à lui que l'Ukraine doit jouer ce vendredi soir à domicile contre la France. Rinat Akhmetov est l'homme le plus riche du pays. Selon le magazine américain Forbes, c'est même le 39ème homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 16 milliards de dollars (environ 12,8 milliards d'euros). Son empire, qui va des mines et de l'acier à l'immobilier, l'énergie et la finance, emploie 220.000 personnes. Mais c'est aussi l'empereur du football ukrainien. Président du Shakhtar Donetsk depuis 1996, il a été un élément moteur de la candidature ukrainienne à l'organisation de l'Euro 2012. Au point qu'un responsable chypriote Spyros Marangos l'avait même, en 2010, accusé d'avoir offert 11 millions d'euros à quatre responsables de l'UEFA pour obtenir leur soutien à la candidature ukrainienne. Mais l'UEFA a blâmé le petit fonctionnaire, Akhmetov a menacé de porter plainte et l'affaire en est restée là.

Investissements à succès

Ce qui est sûr, c'est que Rinat Akhmetov ne compte pas dans son amour pour le football. Il a déjà investi, de son propre aveu, un milliard d'euros dans le Shakhtar. Sa politique d'achat de joueurs internationaux, notamment brésiliens, a permis au club des mineurs -« shakhtar » en ukrainien signifie mineur - d'aligner les titres : six fois champions d'Ukraine en huit ans, six des six dernières coupes et surtout une Europa League en 2009. Le premier titre européen pour un club ukrainien depuis la victoire du Dynamo Kiev en 1986 en coupe des coupes. On comprend que l'oligarque est devenu lui-même une idole pour les fans ukrainiens de football, et pas seulement ceux du Shakhtar.

Un stade à mesure européenne

Mais son chef d'?uvre, c'est le stade de Donetsk, le Donbass Arena. 52.500 places. Inauguré en 2009, il a été le premier stade de l'ex-URSS à répondre aux normes UEFA et le porte-drapeau de la candidature ukrainienne. Pas moins de cinq matchs de l'Euro s'y disputeront, dont une demi-finale. Tant pis alors si les travaux ont coûté 400 millions de dollars (319 millions d'euros) au lieu des 250 millions prévus initialement. Le fils de mineur tatar installé à Donestk au temps de l'URSS ne compte pas pour sa ville et pour son club.

Un « enfant du peuple » qui l'est resté.

Longtemps, le modèle de Rinat Akhmetov a été Roman Abramovitch. Mais à la différence de son modèle russe, qui est à présent moins riche que lui, l'Ukrainien n'a pas voulu s'éloigner de sa ville natale. Il a investi sur place, pas à Londres. Il aime à se présenter comme un ami du petit peuple de Donetsk, encore baigné de culture soviétique. « J'ai toujours combattu contre la pauvreté », déclare-t-il à l'envi, en rappelant qu'il a grandi comme tant de fans du Shakhtar à quatre dans un 20 m² sans toilette d'une des barres d'immeuble qui peuplent la banlieue de la ville. Il aime raconter aussi ses escapades d'enfant, lorsqu'il escaladait le stade pour voir sans billet les matchs du Shakhtar. Rinat Akhmetov ne veut pas qu'on le qualifie d'oligarque.

« Je suis un homme qui prend ses responsabilités vis-à-vis de la société et qui construit, en faveur des fans, une équipe de niveau européen ». Car, pour lui, faire de Donetsk une place forte du football européen, c'est rendre à cette ville, ancienne patrie de Stakhanov, et à la communauté des mineurs, leur fierté. C'est faire un acte de philanthropie. Du reste, Akhmetov n'investit pas que dans le football, il construit aussi des crèches ainsi que des structures sportives et culturelles pour la jeunesse.

Origines troubles

Le Shakhtar est donc pour Rinat Akhmetov une formidable façon de redorer son blason, de relever son image, de faire oublier les zones d'ombre. Et pourtant, ces dernières ne manquent pas. Les rares journalistes qui ont approché l'oligarque et lui ont demandé l'origine de sa colossale fortune n'ont récolté au mieux qu'un regard d'acier et un silence glacé. Au moment de l'effondrement de l'URSS, en 1991, Rinat n'était pourtant qu'un jeune un peu désoeuvré et sans le sou. A peine l'apercevait-on dans les casinos de Moscou et de Crimée où il se montre un excellent joueur de poker.

C'est sans doute là qu'il fait d'heureuses connaissances et impressionne par son jeu certaines personnalités de l'époque pas toujours très recommandables. Comme Alik Grek, personnage trouble et son prédécesseur à la tête du Shakhtar. Lui aussi a monté, dans des conditions incertaines, un empire économique de plusieurs milliards de dollars avant de périr en plein stade lors d'un attentat à la bombe.  Akhmetov prend alors la succession d'Alik Grek. Mais il se cherche une respectabilité. Et il comprend le potentiel du football sur ce point. A chaque fois que le Shakhtar gagne, on s'interroge un peu moins sur l'origine de sa fortune et il devient progressivement un personnage intouchable.

Intouchable

Car chat échaudé craint l'eau froide et Rinat Akhmetov, qui est aussi un acteur de la très dangereuse politique ukrainienne, a besoin de ce statut d'exception. Ses excellents rapports avec l'administration de Leonid Kouchma, président de 1994 à 2005, lui ont permis d'obtenir l'aciérie de Krivorizhtal, privatisée en 2004. Malgré l'argent d'Akhmetov, le candidat du pouvoir, Viktor Ianoukovitch, doit renoncer en 2005 à sa victoire truquée. Le nouveau premier ministre, Ioulia Timoshenko casse la privatisation de Krivorizhtal et attribue l'aciérie à l'indien Mittal. Akhmetov quitte alors l'Ukraine et va attendre à Monaco que la tempête se calme.

A son retour, il se fait élire député du Parti des régions, le parti de Ianoukovitch, qui devient premier ministre avant de se faire élire président. Mais on le voit peu à la Rada. L'immunité parlementaire lui suffit. Aujourd'hui, Ioulia Timochenko n'est plus guère une menace pour l'oligarque. Mais l'homme sait qu'il a besoin d'une assurance-vie. Il en a une très concrète : une armada qui l'accompagne à chaque pas et un convoi de huit voitures similaires. Pour plus de sécurité, Rinat Akhmetov change de voiture à chaque déplacement. Politiquement, le Shakhtar lui offre une garantie immense : quel que soient les futurs gouvernements, s'attaquer à lui signifiera désormais s'en prendre au Shakhtar, à Donestk, à la fierté des mineurs, à la force de l'économie du pays, à celui qui a rendu possible l'Euro 2012 et son aura internationale. Impossible. Grâce au football, Rinat Akhmetov peut désormais dormir tranquille. Et rêver à « ses » nouveaux succès du football ukrainien.

 

Commentaire 1
à écrit le 15/06/2012 à 18:24
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à propos du boycott de l'euro en Ukraine par les dirigeants européens pour punir le régime de Ianoukovitch du traitement qu'il inflige à Timochenko, pourquoi pas s'inspirer du traitment vis à vis du régime de Loukachenko ou d'autres, c'est à dire gel...

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