Libre-échange UE-USA : il ne faut pas confondre "espionnage" et "protection des données"

Par Mounia Van de Casteele  |   |  832  mots
Nicole Bricq souhaite au moins remporter la bataille des données personnelles, comme elle avait gagné celle de l'exception culturelle.
Alors que les Européens sont sur leurs gardes depuis les révélations d'espionnage américain de la NSA, la ministre française du Commerce extérieur assure que le partenariat transatlantique n'est pas conditionné par quelque engagement américain en matière de protection des données.

Ne mélangeons pas tout. Non, le partenariat transatlantique n'est pas subordonné à des engagements de Washington en matière de protection des données. C'est en tout cas ce qu'assure la ministre française du Commerce extérieur Nicole Bricq.

Le propos peut surprendre alors que l'affaire Snowden et les révélations d'espionnage qui ont secoué le renseignement américain, ont mis les Européens en émoi, et quelque peu refroidi les relations diplomatiques entre les deux rives de l'Atlantique. Mais pas assez pour arrêter les discussions concernant le plus gros accord commercial jamais conclu. Car même les révélations de mise sur écoute du portable d'Angela Merkel n'ont pas conduit la chancelière allemande à se montrer moins enthousiaste.

Il n'empêche. La ministre française a remis les pendules à l'heure mercredi sur RFI:

"L'Europe ne négocie pas à propos de la protection des données. Il y a des négociations à part sur cette affaire, il faut être bien clair. (...) D'un côté, il y a cette affaire d'espionnage et de l'autre, il y a les données personnelles"

L'affaire d'espionnage avait jeté un froid sur le début des négociations

En effet, début juillet, le sujet, extrêmement sensible, avait failli remettre en cause le partenariat entre les deux plus grandes puissances économiques, ou, à tout le moins décaler le calendrier des négociations. La Commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux, Viviane Redding, s'était alors prononcée en faveur d'un gel des discussions. De son côté, Paris avait d'ailleurs demandé de suspendre les négociations pendant 15 jours, le temps d'obtenir des informations de la part de Washington suite aux fracassantes révélations de l'ancien agent de la NSA, Edward Snowden.

Finalement, les négociations n'ont été ni suspendues - le 2e cycle a débuté lundi à Bruxelles -, ni reportées. Bruxelles avait toutefois sommé Washington de s'expliquer sur ses pratiques d'espionnage électronique et de mise sur écoute de plusieurs institutions européennes et ambassades.

Nicole Bricq expliquait alors à La Tribune la nécessité de retrouver une certaine confiance:

"La France attend et exige des explications. Il s'agit d'une affaire très sérieuse, les discussions vont durer plusieurs années. Cela n'est donc pas possible s'il n'y a pas de confiance et s'il y a des soupçons. Il s'agit d'un partenariat qui concernerait tout de même près de 40% du commerce mondial, c'est bien supérieur à un simple accord de libre-échange. Il faut donc que les Etats-Unis nous donnent des garanties avant le début des négociations qui devaient commencer le 8 juillet"

La ministre avait d'ailleurs renchéri il y a trois semaines. Interrogée sur une éventuelle rupture des discussions de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis en l'absence d'explications de Washington, la ministre avait répondu : "On les aura !" (ces explications, ndlr). Demandons-les, exigeons-les et regardons-les", avait-elle insisté.

Après l'exception culturelle, la protection des données personnelles ?

Et depuis ? Toujours rien. Si ce n'est que les négociations ont repris depuis lundi, et la ministre du Commerce extérieur semble avoir mis de l'eau dans son vin. Elle n'a en outre pas réussi à convaincre l'ensemble de ses homologues européens de la nécessité de déclassifier le mandat des négociations, mais qu'importe.

Nicole Bricq souhaite au moins remporter la bataille des données personnelles, comme elle avait gagné celle de l'exception culturelle. Elle a d'ailleurs demandé au Conseil national du numérique de définir les enjeux pour la France dans le domaine des technologies de l'information et de lui faire des propositions visant à permettre aux entreprises françaises "de tirer parti d'un marché transatlantique mieux intégré".

"Sujets fiscaux, droit de la concurrence, protection des consommateurs, transmission des données, propriété intellectuelle, neutralité des plates-formes... autant de sujets qui seront abordés au cours de la négociation et sur lesquels l'Europe devra à la fois affirmer ses valeurs et promouvoir ses intérêts", a précisé le ministère. Sachant que le "rapport de forces (...) joue aujourd'hui au profit des géants américains et de leur vision du développement numérique".

En attendant, la ministre a fait part au micro de RFI de son souhait de voir voté le règlement européen sur la protection des données personnelles, "dans les meilleurs délais" au Parlement européen.

Ce qui permettrait au mandat d'être en adéquation avec lui-même. Puisque la ministre nous confiait récemment, en effet, que la protection du consommateur figurait dans le préambule du mandat. Pourtant, les Etats membres ne tiennent pas plus que ça à ce que leurs citoyens soient informés du contenu de ces négociations. Quoi qu'il en soit "on sait très bien que ça a déjà fuité et ça fuitera", comme l'assurent plusieurs experts.

Pour aller plus loin: Faut-il publier le mandat européen des négociations ?