Xi Jinping, l'homme qui veut abattre les montagnes

[70 ANS DE LA CHINE. NB : à l'occasion de l'anniversaire de la République populaire de Chine, "La Tribune" republie certains articles qui éclairent le contexte historique de cet événement.] L'Asie est entrée jeudi 19 février 2015 dans l'année de la Chèvre de bois dans un concert de feux d'artifice et de pétards entendu de Pékin à Singapour. La Chine retrouve sa position historique de première puissance mondiale. Pour la parité de pouvoir d'achat, c'est le cas depuis fin 2014. Mais en terme nominal, la taille de son économie reste inférieure de 40 % à celle des États-Unis. Et elle connaît les premiers signes de ralentissement. Le président Xi Jinping veut poursuivre la modernisation du pays en menant une lutte radicale contre la corruption et en renforçant l'autorité du Parti communiste. Son but : poursuivre le développement de la Chine tout en lançant une autre forme de révolution culturelle. Un nouveau Mao ?
Xi Jinping cherche à se construire une base de pouvoir personnelle. Il pourfend les « gangs», les groupes d'intérêt et le « factionnalisme», et cherche à dominer de toute sa puissance la bureaucratie et l'appareil du Parti. C'est une rupture radicale avec ceux qui l'ont précédé, et qui exerçaient un pouvoir plus ou moins collégial.
Xi Jinping cherche à se construire une base de pouvoir personnelle. Il pourfend les « gangs», les groupes d'intérêt et le « factionnalisme», et cherche à dominer de toute sa puissance la bureaucratie et l'appareil du Parti. C'est une rupture radicale avec ceux qui l'ont précédé, et qui exerçaient un pouvoir plus ou moins collégial. (Crédits : Jason Lee)

Le 15 novembre 2012, Xi Jinping, alors âgé de 59 ans, succédait à Hu Jintao à la tête du Parti communiste chinois. Le 14 mars 2013, il devenait le septième président de la République populaire de Chine. Même si son accession au pouvoir ne fut pas une surprise (il était le successeur désigné de Hu Jintao depuis 2010), il était difficile alors d'entrevoir la façon dont il allait prendre les rênes de cette immense et complexe machine qu'est le pouvoir exécutif chinois. Mais on le savait fidèle à la ligne de ses prédécesseurs, celle de la modernisation de l'économie, à laquelle son père, Xi Zhongxun, avait déjà travaillé aux côtés de Deng Xiaoping.

Après deux années de mandat (dans la logique du pouvoir chinois, il devrait rester en poste au moins jusqu'à 2022), de quelle façon a-t-il marqué le Chine de son empreinte, quel est le chemin qu'il veut faire parcourir à son pays, maintenant que la Chine a retrouvé sa position de première puissance économique du monde ?

L'hommage à un empereur réformiste déchu

Xi Jinping aime les écrits des sages et les enseignements de la longue histoire de la Chine. En décembre 2014, à Milan, lors du sommet Europe-Asie, il lançait à son auditoire cette citation de Xun Zi, penseur confucianiste mort en 218 avant notre ère, inspirateur des Han :

« Lorsque la terre s'accumule au point de former une montagne, cela provoque le vent et la pluie.»

Difficile de ne pas voir dans cette montagne, une allégorie de la machine étatique et administrative de la Chine, sur laquelle Xi Jinping a déclenché depuis deux ans une véritable tempête.

Lors du Sommet de l'Apec (Coopération pour l'Asie-Pacifique), en novembre dernier, Xi Jinping a mis en scène une promenade en tête à tête avec Barack Obama, à Zhongnanhai, le quartier réservé des dirigeants chinois, près de la Cité interdite. L'endroit est connu pour ses lacs, ses arbres, ses fontaines et ses temples. Les deux hommes se sont rendus au palais de Yingtai, situé sur une petite île, bâti sous la dynastie des Ming et qui fut la résidence de plusieurs empereurs de la dynastie Qing...

Mais c'est surtout en ces lieux que le jeune empereur Guangxu (1878-1908) fut emprisonné par sa tante, l'impératrice douairière Cixi, parce qu'il voulait réformer l'Empire. Il avait lancé en 1898, la réforme des Cent Jours qui ambitionnait de changer profondément la Chine : abandon de la monarchie absolue, réforme de la haute administration, adoption des principes du capitalisme, lancement d'une grande politique d'industrialisation en utilisant les technologies importées d'Occident, un peu sur le modèle de la transformation du Japon sous l'ère Meiji. Trop audacieux pour les défenseurs de la Chine traditionnelle. Cixi organisa un coup d'État, s'arrogea la régence de l'Empire, enferma son neveu à Yangtai où il mourut en 1908, probablement empoisonné à l'arsenic... Cette visite ne doit évidemment rien au hasard, elle illustre la détermination de Xi Jinping à abattre les montagnes, transformer la Chine, quels qu'en soient les risques.

Un «nouveau Mao», autoritaire et jacobin

Le pouvoir chinois est un univers plein de mystères. Il est constitué de groupes d'intérêts puissants, dont les membres sont liés par leurs origines géographiques, les amitiés des années de formation (y compris de longs stages paysans à la campagne), les camaraderies nées au gré des carrières de chacun et des intérêts économiques dont ils sont les défenseurs et les promoteurs.

Durant la période nationaliste, les dirigeants chinois venaient surtout de la province du Guangdong. Mao favorisait les natifs du Hunan et du Hubei, berceaux de la révolution communiste dans les années 1930. Sous l'ère Deng Xiaoping, ce sont les originaires du Sichuan qui tenaient le haut du pavé, tandis que Jian Zemin et Hu Jintao ont promu un grand nombre de dirigeants venus des provinces côtières du Jiangsu (dont ils étaient originaires) et du Shandong.

Les racines familiales de Xi Jinping sont au Shaanxi, où est né son père qui y a effectué une carrière politique et militaire remarquée avant de devenir l'assistant de Zhou Enlai, en 1952. Ce n'est pas par hasard si Xi Jinping a choisi un petit village du Shaanxi pour y effectuer son «stage paysan» durant la Révolution culturelle. Et le «triangle de fer», comme on désigne en Chine les trois hommes les plus puissants du pays (Xi Jinping, Yu Zhengshen et Wang Qishan, le redoutable patron de la Commission centrale pour la discipline, tous membres du Comité permanent du Parti), a des liens anciens avec cette même province.

Certes, la province d'origine n'est pas la seule clé de lecture dans la composition actuelle du pouvoir suprême. Il se trouve aussi que ces trois hommes ont été les protégés de l'ancien président Jian Zemin, comme trois autres membres du Comité permanent, qui en compte sept... Mais ces divers réseaux d'amitiés n'ont cependant pas empêché Xi Jinping de concentrer dans ses mains la plupart des leviers de pouvoir : chef du Parti et de la Commission militaire centrale, il préside également un certain nombre de «commissions» stratégiques sur la réforme économique, la sécurité nationale, la cybersécurité, Taïwan, les affaires étrangères. Il cultive l'image d'un dirigeant autoritaire mais réformiste, son idée centrale étant que compte tenu de la façon dont fonctionne la Chine, seule une concentration du pouvoir au sommet est de nature à faire progresser les réformes.

Le vieux référentiel communiste sort des placards, avec des expressions très «rouges» comme la lutte des classes, la dictature du prolétariat, la lutte contre les influences « non chinoises» et les forces extérieures « hostiles», un vocabulaire que ses prédécesseurs n'utilisaient plus guère. D'où cette image de Xi Jinping, dans l'opinion chinoise, d'un nouveau Mao. En réalité, son modèle serait plutôt celui de l'empereur Wudi (156-87 av. J.-C.), de la dynastie des Han, considéré comme l'un des plus grands souverains de la Chine, qui a réussi à la fois à étendre les frontières de l'Empire et à en centraliser le gouvernement, contre les grands aristocrates.

La chasse «aux tigres et aux mouches»

C'est à cette aune qu'il faut mesurer l'ampleur de la campagne de lutte contre la corruption, dont personne, voici deux ans, ne pouvait imaginer la radicalité. La chasse aux «tigres et aux mouches» a fait de très nombreuses victimes (au moins 180 000 fonctionnaires et cadres du Parti font l'objet d'enquêtes ou de poursuites) dont la plus emblématique est probablement celui qui était l'homme le plus craint de Chine, Zhou Yongkang, ancien membre du comité permanent du Parti, ancien chef des services de sécurité chinois. Il a été officiellement arrêté en décembre dernier pour des faits de corruption et de révélation de secrets d'État. C'est le plus haut dirigeant chinois à subir ce sort. Cinquante-six « tigres», des officiels de haut rang, ont été rattrapés par la patrouille.

Parmi les autres grands fauves du régime poursuivis pour corruption figurent aussi Jiang Jiemin, ancien patron de la Sasac, l'organisme qui supervise l'ensemble des grandes entreprises publiques ; Liu Zhijun, l'ancien ministre des chemins de fer, une forteresse de l'administration chinoise, condamné à mort avec deux ans de sursis. Les plus hauts cadres de l'armée ont aussi été visés, comme Gu Junshan, ancien directeur adjoint du département logistique de l'Armée populaire et Xu Caihou, ancien vice-président de la Commission militaire centrale (l'équivalent du ministère de la Défense). Cette campagne est même entrée dans une nouvelle phase, avec le lancement de l'opération « chasse au renard», qui vise encore de hauts responsables du Parti, comme Ling Jihua, ancien secrétaire politique de Hu Jintao, Ji Janye, ancien maire de Nankin, Ma Jian, ministre adjoint à la Sécurité publique, en charge du contre-espionnage ou Khan Kunsheng, numéro huit du ministère des Affaires étrangères.

Les enquêtes sont menées par la très puissante Commission de la discipline et de l'inspection du Comité central, dont les pouvoirs d'investigation sont quasiment illimités et qui cherche même à enquêter à l'étranger, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, où de nombreux ressortissants chinois ont transféré une partie de leurs avoirs. Son action est méthodique : le groupe d'enquêteurs de la Commission se rend directement dans les provinces, dans les institutions publiques et dans les entreprises d'État. Depuis quelques semaines, les enquêteurs épluchent les comptes et les activités d'entreprises d'État comme la China Southern Airlines, Unicom, des chantiers navals et... Dongfeng Motors, nouvel actionnaire de PSA.

Il veut une nouvelle révolution culturelle

Cette campagne ne ressemble à aucune de celles qu'a connues la Chine ces dernières décennies, qui s'apparentaient souvent à des luttes de clans pour le pouvoir suprême. Les poursuites engagées par Xi ces derniers mois concernent aussi bien des proches de ses deux prédécesseurs. Il cherche à se construire une base de pouvoir personnelle et c'est la raison pour laquelle il pourfend les « gangs», les groupes d'intérêt, le « factionnalisme» et cherche à dominer de toute sa puissance la bureaucratie et l'appareil du Parti. C'est une rupture radicale avec ceux qui l'ont précédé et qui exerçaient le pouvoir au sein d'une sorte de structure plus ou moins collective. Xi est aujourd'hui le seul patron du Parti.

Mais on peut pointer un paradoxe dans cette stratégie : durcir l'autorité du Parti, contrôler plus étroitement la liberté d'expression, notamment sur les réseaux sociaux et l'Internet, est-ce compatible avec les réformes économiques d'inspiration plutôt libérale?

Imposer une telle pression sur les fonctionnaires du Parti les incitera-t-il à prendre davantage d'initiatives ou les conduira-t-il à adopter une attitude passive, ce qui ralentirait de facto le processus des réformes ? Il est encore trop tôt pour répondre à ces questions. Xi Jinping a pris une Chine en forte croissance économique, mais en proie à un affaissement de sa gouvernance. Son but est de poursuivre le développement de la Chine tout en lançant une nouvelle forme de révolution culturelle. Tout sera dans la force et la vitesse d'exécution... Comme le disait Sun Tzu, le grand stratège de la Chine, « vos troupes doivent être comme des pierres que vous lanceriez sur des oeufs...»

Commentaires 4
à écrit le 28/02/2015 à 11:40
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Exact. N'oublions pas que les Chinois ne font que nous imiter. Nous avons tout inventé. Xi n'est donc , comme l'a dit très justement mon Confrère...qu'un Tyreanneau impuissant. Un Tigre de Papier. Un Lion sans dentier.

le 01/03/2015 à 0:52
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Il serait bon de prendre quelques cours d'histoire, niveau invention la Chine n'as absolument rien a envier au reste du monde...

à écrit le 27/02/2015 à 15:32
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Parfois , la Montagne peut accoucher d'une souris grise. Proverbe du Haut Maine et Loire.

le 28/02/2015 à 12:32
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proverbe//: souvent les geants ont des pieds d argiles?,// MORALES// EN CHINE IL NE MANQUE QUE LA DEMOCRATIES???

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