Jeroen Dijsselbloem, victime expiatoire du couple franco-allemand

Le président de l'Eurogroupe a été implicitement invité à se retirer par François Hollande et Angela Merkel. Triste destin pour celui qui fut surtout l'instrument de la politique de la chancelière voici six mois.
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Les terrains d'entente de François Hollande et d'Angela Merkel sont rares. Il y a la lutte contre le chômage (du moins dans son principe) et... le peu d'estime qu'ils portent au président de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem. Rien d'étonnant que, jeudi à Paris, dans leur démonstration d'unité, les dirigeants français et allemands soient convenus de se réconcilier aux dépens du ministre des Finances néerlandais. 


Comment répondre à François Hollande ?


François Hollande, on s'en souvient, avait proposé lors de sa conférence de presse du 16 mai dernier un « gouvernement économique » de la zone euro doté d'un président. La proposition n'emballe guère la chancelière qui considère que les réformes de la zone euro engagées depuis 2011 constitue déjà un « gouvernement économique. » Une nouvelle institution serait superflue et même contre-productive. Le compromis franco-allemand a donc pris la forme d'un président permanent et dédié de l'Eurogroupe. Cette institution, qui regroupe les ministres des Finances des pays de la zone euro, a en effet pris de plus en plus d'importance dans la crise. Aujourd'hui, c'est elle qui décide des grandes orientations de politiques économiques et des mesures d'aides à apporter aux pays en difficulté.


Vers un « ministre des Finances » de la zone euro ?


Un tel président serait alors une sorte de « ministre des Finances de la zone euro » comme l'avait jadis proposé Jean-Claude Trichet. Il pourrait contribuer à une meilleure coordination des politiques économiques des 17 pays de l'UEM. Berlin n'y voit pas d'objections : l'Eurogroupe a toujours été un fidèle allié de sa politique européenne et le nouveau président sera le garant que la politique de « rééquilibrage » définie par la Commission sera mise en ?uvre. Il n'y a pas de modification majeure de l'architecture institutionnelle européenne. Paris, de son côté, peut se vanter d'avoir son fameux « président. » Comme souvent, l'Allemagne gagne sur le fond, la France sur la forme. Mais chacun peut se réjouir.


L'amertume du Néerlandais


Il en est pourtant un qui fait grise mine : Jeroen Dijsselbloem. Six mois après sa nomination, le Néerlandais est implicitement sommé de choisir entre son poste à l'Eurogroupe et son rôle dans le gouvernement néerlandais. Et évidemment, Paris et Berlin espèrent bien qu'il choisira de rester à La Haye. Vendredi soir, Jeroen Dijsselbloem a indiqué qu'il ne se soumettrait pas au « diktat » franco-allemand et qu'il entendait rester en poste jusqu'à la fin théorique de son mandat en 2014. Mais il n'a pas caché non plus son amertume en affirmant qu'il n'était pas favorable à la proposition franco-allemande. Il n'est pourtant pas certain qu'il puisse tenir si Paris et Berlin insiste. D'autant qu'il n'est guère en position de force


La bourde chypriote


Certes, depuis son entrée en fonction comme successeur de Jean-Claude Juncker, le Néerlandais n'a pas convaincu. Bien loin de là. Sa « bourde » après le sauvetage de Chypre l'a entièrement discrédité. A peine le pénible accord pour le sauvetage de la république insulaire trouvée, le chef de l'Eurogroupe avait indiqué que la participation des déposants au sauvetage des banques chypriotes était un « modèle » (« template ») pour les sauvetages à venir. Des propos qui avaient fortement inquiété, parce qu'ils signifiaient que les dépôts en zone euro étaient désormais menacés. C'était ouvrir la voie à la contagion de la crise chypriote à l'Espagne ou à l'Italie. Jeroen Dijsselbloem avait vite affirmé qu'on l'avait mal compris. Mais ce qui lui restait de crédibilité était déjà morte. Le ministre néerlandais devient la risée de la communauté financière.

 

Le choix de Berlin


Il y a pourtant un peu d'injustice dans le destin de ce spécialiste de l'agriculture, petit apparatchik du parti travailliste néerlandais qui a été soudainement propulsé à la tête de l'une des institutions les plus puissantes d'Europe, au c?ur de la crise européenne. Sa nomination a été le fruit d'un autre compromis franco-allemand, cette fois fortement inspiré par Berlin. La succession de Jean-Claude Juncker a empoisonné les relations franco-allemandes à partir de la fin de 2011. Paris voulait le poste, Berlin aussi. En juillet 2012, on demande au premier ministre luxembourgeois de prolonger son mandat. Il accepte, mais prévient qu'il n'ira pas au-delà de février 2013. On envisage de partager la fonction entre Pierre Moscovici et Wolfgang Schäuble, mais l'affaire est trop complexe. Finalement le gouvernement français propose une candidature espagnole. Ce serait justice : le quatrième pays de la zone euro vient de perdre, à la demande de Berlin, sa place au directoire de la BCE au profit d'un Luxembourgeois « faucon », malgré le vote négatif du parlement européen. Pour Angela Merkel qui, à l'époque veut absolument contrôler ce levier de direction, nommer un Espagnol est inenvisageable. Ce serait donner du pouvoir à un pays qui « lorgne sur l'argent des contribuables allemands. » Berlin impose donc « son » candidat : Jeroen Dijsselbloem.


Trop fidèle serviteur d'Angela Merkel


Les Pays-Bas sont des alliés sûrs de Berlin en Europe, malgré leurs difficultés budgétaires. La France fait grise mine, mais, comme toujours, fini par accepter ce choix allemand. Jeroen Dijsselbloem est nommé sur une seule qualité : sa nationalité. Il est la créature d'Angela Merkel et il va s'efforcer de jouer au mieux son rôle. C'est dans cet esprit qu'il fait sa déclaration sur le « modèle chypriote », car il sait que l'Allemagne, qui a poussé pour cette solution, veut réduire son risque en mettant en place un tel modèle. Mais cet excès de zèle lui coûtera cher. D'autant que lui-même vient de sauver une banque néerlandaise, SNS Reaal, avec de l'argent public et avec le soutien de la BCE. Un soutien qui a été refusé aux banques chypriotes. Là encore, sa crédibilité en prend un coup.


Inutile et inutilisable


Berlin n'a plus réellement d'intérêt dès lors à soutenir le Néerlandais qui, par ailleurs, fait peu de zèle en matière budgétaire : son pays a dû réclamer un an de délai à Bruxelles pour remplir ses objectifs. De plus, l'Allemagne commence à comprendre qu'elle doit adoucir son discours, sinon sa politique, sur l'austérité. Progressivement, Jeroen Dijsselbloem devient donc un outil inutile et inutilisable pour Angela Merkel. Et lorsqu'il lui a fallu trouver un levier pour se réconcilier avec François Hollande, se débarrasser de cet encombrant Néerlandais s'est imposé comme une solution logique. Triste fin de carrière européenne pour celui qui n'aura jamais été qu'un instrument de la politique européenne de Berlin.

Commentaires 25
à écrit le 04/06/2013 à 19:23
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On n'en veut pas de leur europe !!! europe de la non croissance, europe de la non prospérité europe de l'asservissement des peuples. Europe : vite à la poubelle... les dégats occasionnés sont horrifiants

à écrit le 03/06/2013 à 18:05
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De tels faux pas du couple franco-allemand en pleine crise financière sont déplorables. Ils sont l'inévitable manifestation d'un pilotage "intergouvernementale" des affaires européennes - dans lequel les (deux) gouvernements à la manoeuvre font préva...

le 07/06/2013 à 12:59
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L'Europe ne fonctionne pas précisément à cause de la prévalence des intérêts nationaux et elle ne fonctionnera jamais, c'est une volonté des dirigeants. Depuis 20 ans on nous serine, il faut plus d'Europe, moins d'Europe... ; l'Europe était une faç...

à écrit le 03/06/2013 à 15:59
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Jean-Claude Juncker était le candidat idéal à la tête de l'Eurogroupe. On ne trouvera pas facilement quelqu'un ayant ses compétences et son envergure, il aurait dû être maintenu en exercice deux ans encore, le temps d'estomper les effets de la crise....

à écrit le 03/06/2013 à 0:04
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Ce type a à plusieurs reprise été dur envers les banques (Chypre, mais aussi lors d'une faillite d'une banque de son propre pays). Cela ne plait pas, visiblement, et on veut s'en débarrasser.

à écrit le 02/06/2013 à 23:16
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C'est un peu la tragedie hollandaise qui se jour au travers Jeroen Dijsselbloem. La raison les pousse vers l'allemagne alimentant leur complexe d'inferiorite vis a vis des allemands et amers vis a vis de la France qui elle a le courage de choisir son...

à écrit le 02/06/2013 à 14:21
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Cette UE est totalement anti-démocratique. Tout se passe au milieu d'un cercle d?initiés. Les citoyens ne sont jamais consultés et lors des fameuses élections européennes ils sont uniquement invités à avaliser des listes préparées par les grands part...

à écrit le 02/06/2013 à 10:15
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Victime? je comprends pourquoi les journalistes cachent les vraies victimes

à écrit le 02/06/2013 à 7:59
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"Si Paris et Berlin insistENT"

à écrit le 01/06/2013 à 23:08
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Comme d'h et les ordonnances de abitude angela merkel est le phare de vos raisonnements.cela me rappelle une certaine thatcher5fille de commerçant comme de juste).A bas l'état régalien vive le néo libéralisme....Non?c'est tout et n'importe quoi.Encor...

à écrit le 01/06/2013 à 21:50
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En resumé: C'est une connerie politique d'humilier d'abord quelqu'un (Dijsselbloem) à fond, puis à le donner le plein pouvoir.

à écrit le 01/06/2013 à 21:47
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En choisissant Dijsselbloem on a fait une énorme connerie: Oublier qu'il est un Néerlandais et oublier comment on a humilié les Pays-Bas. D'abord en les forçant d'avaler le traité de Maastricht contre son gré (comme en France). Puis à mettre les Pays...

le 02/06/2013 à 0:08
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Vous êtes Néerlandais et vous voulez quitter la zone Euro: vous avez raison, le massacre de Srebrenica a été la pire humiliation de votre armée lors du conflit des Balkans !

le 02/06/2013 à 17:37
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@wpjo Votre analyse est parfaitement juste de la situation hollandaise,ceux-ci montre bien que quel soit le mode opératoire employé par les pays de l'eurozone cela n'iras jamais ,c'est l'arbitraire le plus complet qui domine à Bruxelles.Ne vous inqu...

à écrit le 01/06/2013 à 18:44
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personne ne va regretter ce president de l'eurogroupe, qui a failli declencher un bank run avec ses declarations au moment du plan chypriote. Sarkozy se ventait d'avoir creer un gouvernement economique europeen avec les 2 reunions par an que Merkel a...

le 01/06/2013 à 23:15
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Ils sont épouvAntés d'avoir invEnté une économie évEnté.

à écrit le 01/06/2013 à 16:50
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En le satellisant, on en fera le Hollandais volant !!!

à écrit le 01/06/2013 à 16:34
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L europe ne se fait pas sans compromis et cela s applique aussi a Merkel. Malgre les divergences de tous ordre, son partenaire n est et ne peut etre que la France sans quoi l europe n avance pas. L article met cependant aussi en lumiere le cote str...

à écrit le 01/06/2013 à 15:33
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Hollande veut toujours placer Moscovici qui est en échec en ce moment. Cela lui permettrait de nommer un nouveau ministre aux finances en offrant cet avancement à un fidèle. Mais Merkel préfère quelqu'un compétent !!

à écrit le 01/06/2013 à 14:29
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Claude Junker était d'une autre planète,il savait taper sur la table,tenir à distance Sarko,Merkel, Hollande,etc.En plus il était très clair dans ses propos en français,allemand,anglais et italien. Le pauvre Néerlandais est fade,s'exprime très mal et...

à écrit le 01/06/2013 à 14:06
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Pour une victime, elle se porte bien. La bévue sur le "bail-in" des banques vaut bien celle d'Angela sur l'"hair cut" des possesseurs d'obliqations d'état. Cette menace doit être présente dans l'esprit des investisseurs : il n'y a pas de taux sans ri...

à écrit le 01/06/2013 à 13:41
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La meilleure solution, c'est d'avoir à ce poste un, ou mieux encore une Finlandais(e) !!! Vous avez comment la Finlande a bien tiré son épingle du jeu avec la Grèce, en exigeant des garanties sérieuses de la Grèce avant de financer le sauvetage de ...

le 01/06/2013 à 14:49
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Les Norvégiennes sont très bien aussi !

à écrit le 01/06/2013 à 12:50
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Bof, ce n'est pas une nouveauté. Berlin décide, et ensuite Paris et La Haye exécutent. C'est comme ça depuis des décennies. Rien de nouveau donc.

le 06/06/2013 à 9:31
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Celui qui paye commande la musique ! ( Wer zahlt bestellt die Musik !)

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