Les rémunérations des patrons doublent, leurs sociétés chutent

Bruxelles s'intéresse de près à la question des rémunérations patronales et pourrait exiger de justifier les salaires élevés des dirigeants d'entreprises face aux actionnaires.
En six ans, les patrons français ont vu leur rémunération augmenter de 230%, pendant que le cours des actions chutait de presque un tiers. (Photo : Reuters)

Les rémunérations des dirigeants français ont augmenté de 230% entre 2006, c'est à dire juste avant la crise, et 2012. Dans le même temps, le cours des actions de leurs sociétés (SBF120) a chuté de 30%. Deux chiffres calculés sur la base des données fournies par Proxinvest, qui publie chaque année les rémunérations des patrons des 120 premières sociétés françaises cotées. Dans le même temps, leur indice de rentabilité nette, qui prend en compte les versements aux actionnaires, a chuté de 17%, selon les chiffres de NYSE-Euronext. 

Renforcer le pouvoir des actionnaires

Certes, le cours des actions et l'indice de rentabilité nette ont retrouvé des couleurs en 2013. Mais pas assez pour justifier une augmentation des rémunération de 230%. C'est pourquoi Bruxelles s'intéresse de près à la question. La Commission européenne pourrait même demander aux sociétés de justifier les rémunérations versées aux patrons. Elle se base sur une étude d'impact encore non publique mais citée par le Financial Times. Celle-ci ferait état d'une augmentation des rémunérations de 94%, mais aucune précision n'est donnée sur le mode de calcul. Contactée par la Tribune, la Commission n'a pas réfuté ce chiffre, mais s'est refusée à tout commentaire.

Expliquer pourquoi son salaire "est approprié"

Dans son projet, qui devrait être dévoilé au printemps, cette dernière s'inspire du "say on pay" instauré en Suède et en Belgique. Les actionnaires devront fixer un ratio maximum de différence entre le salaire le plus élevé et le salaire le plus faible dans l'entreprise. Ils devront également  approuver une notice "expliquant pourquoi ce ratio est considéré comme approprié", selon le Financial Times. Pas question, donc, de fixer une rémunération maximum, explique-t-on à la Commission. L'objectif est d' "assurer un meilleur lien entre rémunération des dirigeants et performance de leur société". A terme, près de 10.000 entreprises sont potentiellement concernées.

Différences de salaires de 1 à 600

La Commission remet sur la table un sujet qui apparaît chaque fois que sont dévoilés les bonus accordés aux dirigeants des grandes entreprises. C'est le cas au Royaume-Uni, où deux banques en partie nationalisées, la Royal Bank of Scotland et le groupe Lloyds Banking, ont annoncé des suppressions d'emploi malgré des bonus mirobolants pour leurs dirigeants. Le ratio entre la rémunération la plus faible et la rémunération la plus élevée serait de 1 à 181 chez Lloyds, relève le Financial Times. Des écarts de salaires que Michel Barnier qualifiait déjà de "moralement indéfendables" en 2012 en affichant son soutien au "le printemps des actionnaires".

Une mesure pour défendre les droits des actionnaires

Preuve qu'un comportement plus "moral" est possible, certaines entreprises ont volontairement choisi de limiter les différences entre les salaires. Au Royaume Uni, comme l'explique le Financial Times, c'est le cas de John Lewis Partnership, une entreprise détenue par ses salariés. La rémunération du dirigeant y est 75 fois plus élevée que celle du salarié le moins bien payé. Au IVe siècle avant JC, Platon plaidait en faveur d'un salaire maximum fixé à quatre fois le salaire minimum, rappelle le Financial Times.

Mais n'en déplaise au philosophe grec, l'idée d'un salaire maximum ne fait pas partie du projet de Michel Barnier. Car plus que d'une mesure de morale, il s'agit bien ici de garantir les droits des actionnaires. Le texte doit en effet modifier la directive de 2007 sur "les droits des actionnaires".

Sous le feu des critiques du patronat

Qualifié d' "étrange" ou de "contre-productif", le projet est abondamment critiqué, notamment par le lobby patronal "Business Europe". Roger Barker, de l'Institute of Directors, qui représente les dirigeants d'entreprises britanniques, s'interroge : les actionnaires veulent-ils vraiment connaître le ratio salaire le plus élevé/salaire le plus faible ? Aux Etats-Unis déjà, un mur s'était dressé contre la publication de tels ratios, qui font généralement des remous dans l'opinion publique. Premier argument avancé : les difficultés de calcul pour les firmes multinationales. Les négociations avec la Commission ne devraient pas s'achever avant la fin 2015, au plus tôt.

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