Europe : relancer tout en restant crédible sur la baisse des dépenses

Il est possible de faire jouer un rôle de relance à la politique budgétaire, tout en assurant, à terme, la baisse des dépenses publiques. Par Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective
Dans un article récent, Francesco Giavazzi et Guido Tabellini de l'Université Bocconi ont proposé de mettre en œuvre une réduction d'impôt permanente, suivie par des réductions de dépenses graduelles.

 Alors que la zone euro débat de savoir comment échapper au piège de la stagnation dans lequel elle se trouve, une question est devenue de plus en plus importante : les gouvernements peuvent-ils s'engager de manière crédible à réduire les dépenses publiques dans le futur, tout en limitant les coupes immédiates ? A cette question, on peut heureusement donner une réponse positive (quoiqu'avec prudence) : il existe des moyens pour assurer que des politiques budgétaires accommodantes aujourd'hui soient suivies demain par une consolidation.

La croissance et l'inflation dans la zone euro restent beaucoup trop faibles. La dernière évaluation de la Banque centrale européenne est peu encourageante et le président de la BCE Mario Draghi n'a fait aucun secret du fait que les risques restent orientés à la baisse. La croissance du PIB nominal - c'est à dire, la croissance réelle augmentée de l'inflation - ne dépassera pas 1,5% cette année et pourrait bien finir à un niveau dangereusement proche de 1%.

Une politique monétaire qui atteint ses limites

La politique monétaire soutient l'activité, mais elle atteindra bientôt ses limites, et l'initiative de la BCE pour stimuler le crédit en prêtant aux banques commerciales à des conditions extrêmement bon marché ne s'est pas avérée aussi efficace que souhaité. Des obligations d'État à dix ans de qualité triple A procurent actuellement un rendement d'environ 1%, ce qui suggère que les marchés ne s'attendent pas à un fort rebond.

C'est le type de situation dans laquelle la politique budgétaire devrait venir à la rescousse. C'est exactement ce que Draghi a expliqué dans son discours à l'occasion de la réunion annuelle des banquiers centraux qui s'est tenue à Jackson Hole à la fin août. Plusieurs économistes ont suggéré eux aussi que le moment était venu pour la zone euro de s'engager dans une expansion budgétaire temporaire.

Pour un gradualisme dans la baisse des dépenses

 Dans un article récent, Francesco Giavazzi et Guido Tabellini de l'Université Bocconi ont proposé de mettre en œuvre une réduction d'impôt permanente, suivie par des réductions de dépenses graduelles. Combiné à des réformes des marchés des biens et du travail favorables à la croissance, un tel programme pourrait engendrer des avantages durables du côté de l'offre (en raison d'une moindre taxation), ainsi qu'une stimulation temporaire de la demande qui pourrait contribuer à relancer la croissance.

Le gradualisme dans la réduction des dépenses peut avoir d'autres mérites que strictement macroéconomiques. Une réforme efficace du secteur public prend du temps. Les gouvernements qui taillent dans les dépenses publiques dans l'urgence font rarement des choix éclairés. Un examen des dépenses sur la base d'évaluations systématiques des politiques est la meilleure approche pour faire le tri entre les bonnes et les mauvaises dépenses et ainsi maximiser la valeur de chaque euro dépensé.

 Une politique contraire au pacte budgétaire?

Il y a deux objections à cette approche. Tout d'abord, on fait valoir qu'une action de ce genre serait contraire aux exigences du pacte budgétaire de l'UE. Ce ne serait pas nécessairement le cas. Sur les 18 membres de la zone euro, dix ne sont plus considérés comme présentant un déficit excessif. Même pour ceux sous surveillance renforcée, comme la France et l'Espagne, des clauses de sauvegarde existent : en cas de « période prolongée de très faible croissance annuelle du PIB », l'UE peut accorder une dérogation à l'ajustement annuel requis. Ces pays ne peuvent pas s'embarquer dans des mesures de relance, mais l'UE pourrait les laisser régler le rythme de l'assainissement budgétaire, à condition qu'ils soient en mesure de s'engager à des réductions importantes pour l'avenir.

Ainsi, la zone euro dispose d'un certain espace budgétaire - certes limité, mais non inexistant. Les niveaux d'endettement et les déficits qui demeurent importants soulignent la nécessité d'une extrême prudence. Néanmoins, en supposant une volonté d'action commune, il y aurait une marge de manœuvre pour ce faire au sein des règles européennes.

des économies votées immédiatement, pour une entrée en vigueur plus tard

La seconde objection se base sur le fait que les gouvernements ne savent pas à tenir leurs promesses. Répondant à Giavazzi et Tabellini, Roberto Perotti (également de la Bocconi) a fait valoir que la stratégie gradualiste ne serait tout simplement pas crédible. Les réductions de dépenses sont inévitablement des décisions politiquement difficiles et les gouvernements ne peuvent pas s'engager à les réaliser avec certitude. Dès lors, selon Perotti, la combinaison « réduction des impôts maintenant et diminution des dépenses plus tard » impliquerait un énorme aléa moral.

Perotti a raison. Carlo Cottarelli, le haut-commissaire nommé par le gouvernement italien pour superviser la revue des dépenses, a récemment souligné que, avant même que l'adoption des coupes budgétaires, celles-ci ont commencé à être utilisées pour financer de nouvelles dépenses. L'économie politique de la réforme des dépenses publiques est redoutable ; des plans macroéconomiques les mieux conçus peuvent être pris en otage par l'électoralisme.

Il existe pourtant une solution à ce problème : les gouvernements et les parlements peuvent retarder l'action sans retarder la décision. Rien ne les empêche de décider maintenant que les pensions seront réduites dans trois ans ou qu'une subvention industrielle donnée disparaîtra le 1er janvier 2017. Si les parlements veulent se lier les mains, ils peuvent le faire simplement en adoptant une loi.

L'Europe pourrait évaluer et surveiller les conséquences futures des décisions actuelles

Des décisions concrètes à effets retardés pourraient ainsi servir d'acompte, en veillant à ce que, par exemple, elles couvrent la moitié des réductions de dépenses programmées pour les années à venir. Bien sûr, les décisions peuvent toujours être inversées : les parlements peuvent tout simplement adopter une autre loi. Mais cela vaut aussi pour les réductions de dépenses qui ont déjà été mises en œuvre. Tout est réversible dans une démocratie.

En outre, l'Europe dispose d'instruments pour assurer que les engagements conservent leur valeur à long terme. Son arsenal de surveillance est essentiellement utilisé pour contrôler les déficits budgétaires en temps réel, mais il pourrait également aider à évaluer les conséquences futures des décisions politiques. Le chiffrage des mesures (la détermination du montant exact des économies réalisées grâce à une réforme) requiert des compétences techniques et l'accès à de nombreuses données.

La Commission européenne est bien équipée ; en collaboration avec les conseils indépendant de surveillance budgétaire récemment mis en place dans tous les pays, elle pourrait être invitée à examiner les projets de lois dans le détail, évaluer leurs effets budgétaires à venir et ainsi veiller à ce que les gouvernements n'enjolivent pas leurs projections en promettant que leurs réformes induiront des économies imaginaires.

Une stratégie consistant à « réduire les impôts maintenant et les dépenses plus tard » est donc possible. Bien qu'une telle stratégie reste difficile à mettre en œuvre et à faire respecter, elle pourrait être crédible et rester compatible avec la responsabilité financière, à condition d'être étayée par des mécanismes d'engagement solides aux niveaux national et européen.

Bien sûr, tout le monde n'est pas d'accord sur la nécessité d'une telle stratégie. Mais ça, c'est une tout autre histoire.

Traduit de l'anglais par Timothée Demont

Jean Pisani-Ferry est professeur à la Hertie School of Governance de Berlin, et est actuellement Commissaire général du gouvernement français pour la planification des politiques. Il est l'ancien directeur de Bruegel, le think tank économique basé à Bruxelles.

Copyright: Project Syndicate, 2014.
www.project-syndicate.org

Commentaires 5
à écrit le 13/10/2014 à 11:31
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sortons de cette eurocrassie avant qu il ne soit trop tard , mais cela n empêche pas les bons échange commerciaux. avant ça marcher très bien , depuis qu ils ont fait l europe et euro tout ce casse la figure , en plus ces agences de notation pourr...

à écrit le 13/10/2014 à 10:18
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Pensez vous vraiment que le "privé" va investir dans la croissance quand il s'aperçoit que le "public" investit dans la décroissance? La confiance est pourtant le seul moteur d'une reprise!

à écrit le 13/10/2014 à 9:34
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"les gouvernements peuvent-ils s'engager de manière crédible à réduire les dépenses publiques dans le futur, tout en limitant les coupes immédiates ?"...........c´est toujours du Keynnes et donc continuer la depense encore et encore. Non, la soluti...

à écrit le 12/10/2014 à 12:11
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qui de l'oeuf ou de la poule? il se trouve que la france n'ayant fait aucune reforme, personne ne veut bouger sa ligne pour que les francais tapent encore plus dans la gamelle collective au nom de l'exception culturelle! quand la france aura reforme ...

le 13/10/2014 à 10:20
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A chacun sa gamelle et tout le monde s'entendra mieux, que ce communisme européen!

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