Le Portugal coincé entre forte dette et croissance potentielle faible

Le Portugal vote dans un an. Le retour à la croissance en 2014 ne doit pas cacher les faiblesses structurelles d'un pays en convalescence.
Le Portugal votera en 2015.

Dans un an, en octobre 2015, le Portugal devrait à nouveau voter pour renouveler l'assemblée de la République, la chambre des parlementaires. Après quatre ans d'austérité et « d'ajustement », la situation économique du pays reste encore très incertaine. Les données macroéconomiques portugaises semblent très difficiles à lire. La croissance trimestrielle a très fortement chuté au premier trimestre (-0,9 %) avant de remonter de 0,6 % lors du trimestre suivant. « Les chiffres des exportations provenant des deux grandes raffineries du pays qui ont connu des épisodes de maintenance sont assez volatils », explique Bénédicte Kukla, économiste chez Crédit Agricole SA.

Au final, la croissance annuelle serait évaluée, pour le moment, à 0,9 % ou 1 % par la plupart des économistes pour cette année, ce serait la première année de croissance depuis 2010. Mais ce « rebond » reste évidemment limité après un recul du PIB en trois ans de 5,8 %. Si le chiffre de 1 % se confirme, le recul de la richesse nationale sur 4 ans demeurera proche de 5 %.

Un moteur intérieur ?

Surtout, les moteurs de la croissance portugaise demeurent encore incertains. La demande intérieure semble avoir pris le relais des exportations au premier semestre. Pour deux raisons. D'abord, à l'approche des élections et après une lourde défaite aux municipales de juin 2013 qui avait failli l'emporter dans une crise politique, le gouvernement de centre-droit de Pedro Passos Coelho a levé le pied sur les mesures d'austérité. D'autres éléments ont contribué à cette reprise de la demande intérieure. « Comme en Espagne, il y a eu, après une période de forte austérité, un effet de rattrapage d'une demande interne qui a été longtemps comprimée », souligne Bénédicte Kukla qui ne croit guère à un effet durable de ce phénomène. Plusieurs raisons expliquent ce relatif pessimisme.

Les pressions sur la demande intérieure

Certes, la crise de la Banque Espirito Santo n'a pas eu de répercussions considérables, mais la santé du secteur bancaire portugais demeure sous surveillance. La faiblesse des prêts à l'économie portugaise conduit ainsi l'investissement à un redressement inférieur à celui de l'Espagne. Par ailleurs, la question de l'austérité devrait revenir après la campagne électorale. « Il y a encore des réformes à faire dans le domaine des dépenses, et notamment dans la réorganisation de la fonction publique, c'est une différence notable avec l'Espagne et l'Irlande », indique Bénédicte Kukla, qui poursuit : « jusqu'ici, l'austérité a surtout frappé le secteur privé au Portugal. » Enfin, la chute spectaculaire du chômage qui est passée de 17 % à 14 % est due moins directement à la « reprise » qu'à la forte baisse de la main d'œuvre disponible (près de 300.000 personnes en moins entre 2008 et 2014), alimentée par une forte émigration (le solde migratoire portugais a été négatif de 31.000 personnes en 2013). Au reste, les effets de l'austérité sur la société portugaise risquent de demeurer longtemps et de limiter la croissance de la consommation.

Exportations sans entrain

Et les exportations ? Elles sont plutôt en berne depuis six mois. Si le Portugal bénéficie de la reprise espagnole et britannique, deux importants partenaires commerciaux, « il doit compter avec un ralentissement de la demande de l'Amérique latine et de l'Afrique, qui avaient portées ses exportations l'an passé », indique Bénédicte Kukla. Par ailleurs, le ralentissement de la zone euro - notamment de l'Allemagne - pourrait encore nuire au moteur externe de l'économie portugaise.

Mais alors, les baisses des coûts du travail n'ont-ils pas apporté cette amélioration de la compétitivité promises ? En trois ans, les coûts unitaires du travail ont reculé de près de 8 %. « La baisse du coût du travail s'est concentrée sur les services, ce qui a eu un effet positif sur le secteur du tourisme qui est assez sensible à l'effet coût », relève un économiste. Pour le reste, le Portugal n'a guère de potentiel compte tenu de plusieurs années de désinvestissement et de la destruction du capital causé par la crise. L'industrie portugaise est encore loin de pouvoir servir de fer de lance à l'export à son économie.

Faible croissance potentielle

Les économistes de BNP Paribas, assez optimistes sur l'avenir de la demande intérieure portugaise, conviennent donc cependant de la faiblesse de la croissance potentielle du pays qu'ils estiment à pas davantage que 0,7 % jusqu'au milieu des années 2020, s'opposant à l'optimisme de l'OCDE qui prévoit une croissance potentielle à 2 % en 2020. « Ce n'est pas un phénomène nouveau, estime Bénédicte Kukla, qui met en avant le facteur démographique très négatif et la faiblesse du progrès technique. » L'économiste considère que les réformes engagées pourraient améliorer cet état de fait, mais cela prendra du temps.

Poids de la dette

Or, le Portugal n'en a guère. La dette publique de 129 % du PIB à fin 2013 pèse lourd dans le budget national et risque de peser lourd sur la croissance. Certes, le gouvernement devrait parvenir à réduire son déficit public à 4 % du PIB en 2014, puis, selon le budget 2015, à 2,5 % du PIB. Mais les remboursements à la fin des années 2010 et surtout dans les années 2020 seront considérables. Avec une faible croissance nominale et une inflation encore plus faible, le poids de la dette risque de demeurer immense et proprement intenable. Ce sera le grand enjeu du Portugal de la fin des années 2010 de trouver une voie moyenne entre la réduction des dépenses, le remboursement de la dette et la montée en puissance de la croissance. Un pari en réalité très difficile à tenir. Déjà, l'agence Fitch qui, à la surprise générale, n'a pas relever la note du Portugal le 13 octobre, veut se montrer prudente.

Situation politique stable

En revanche, le Portugal peut, pour le moment compter sur une certaine stabilité politique. Si le parti social-démocrate de Pedro Passos Coelho pourrait perdre sa majorité l'an prochain au profit du Parti socialiste, il n'y aura pas de tournant radical. Le PS avait engagé en 2010-2011 l'austérité. Il a mené dès les années 1970 des politiques de ce type. Sans doute voudra-t-il marqué sa différence en réduisant la baisse des dépenses, mais la direction devrait être tenue. Le souvenir de la dictature bloque la voie à toute émergence de l'extrême-droite. L'extrême-gauche reste forte (17,3 % aux dernières européennes), mais elle a reculé par rapport à 2009. Le parti qui a émergé lors des Européennes, le Parti de la Terre (Partido de la Terra) est en fait un parti de centre-droit qui a mobilisé les déçus du PSD. Bref, il n'y a pas de phénomènes Podemos comme en Espagne ou Syriza comme en Grèce. « Cette stabilité politique est le point fort du Portugal et peut rassurer les investisseurs étrangers », explique Bénédicte Kukla. A moins que, durant la campagne, la donne change. Car il y a eu une résistance portugaise à l'austérité avec la grande manifestation de mai 2013 et les censures des politiques d'austérité par la Cour constitutionnelle. Mais cette résistance n'a pas encore trouvé de traduction politique.

Commentaires 7
à écrit le 19/10/2014 à 21:16
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La solution passe par la croissance interne pour qu'elle puisse faire un effet de levier et accroitre les exportations... C'est la seule solution et le parti socialiste la compris... Reste à attendre les élections...

à écrit le 16/10/2014 à 22:21
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La croissance potentielle ne pourra pas augmenter puisque les gouvernements (tous les européens) mettent en œuvre les mêmes politiques économiques que dans le passé (dumping social, baisse des coûts salariaux, dumping fiscal, baisse des dépenses d'éd...

à écrit le 16/10/2014 à 21:14
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M. Godin, vous ne vous fatiguez pas de faire votre éternel bashing au Portugal, à la Chine, de la Grèce, à l'Espagne, à l'Allemagne, à la Russie….. ? balayez plutôt devant votre porte, y a de quoi se faire des soucis, de gros soucis….

le 17/10/2014 à 21:38
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Que voulez-vous, c'est sa profession, celle de Maître-bashing ! :-)

le 17/10/2014 à 22:45
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Jean à raison, il est effectivement plus facile de critiquer ce qui se passe ailleurs. Les gents ne sont pas forcement au fait de ce qui est dit puisqu'ils ne savent pas ce qui s'y passe réellement. Ils ont tendance à le croire et du coup se disent q...

le 09/11/2014 à 21:58
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M Godin fait son boulot, l'article est objectif et argumenté. Ce n'est pas parceque ça ne va pas bien en France qu'il doit dire que ça va bien au Portugal...

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