
Le 21 juillet 1926 au matin, le président du Conseil français Edouard Herriot, qui vient de former un gouvernement, reçoit une lettre d'Emile Moreau, gouverneur de la Banque de France qui est alors une institution privée et indépendante. Cette lettre enjoint au président du conseil de réclamer un vote explicite du parlement pour augmenter le plafond des avances accordées par la Banque au gouvernement. Faute de quoi, la Banque cessera immédiatement ses paiements pour le compte du Trésor. La France sera alors immédiatement en faillite.
Aussitôt connue, cette lettre provoque un vent de panique chez les épargnants qui, craignant un impôt forcé sur les dépôts, se ruent aux guichets. Le franc s'effondre, il faut 235 francs pour une livre sterling (contre 25 avant la guerre et 179 un mois avant). Tous savent combien la majorité du gouvernement est fragile. En fin de journée, Edouard Herriot se présente devant la Chambre et est renversé par 290 voix contre 237. Pour sortir de l'Assemblée, il doit attendre que la police disperse la foule hostile qui entoure le Palais Bourbon. Le Cartel des gauches, élu deux ans plus tôt, a péri définitivement sous les coups d'une simple lettre d'un gouverneur de la Banque de France. Quelques jours plus tard, Raymond Poincaré, l'idole des marchés, battu en 1924, revient aux affaires.
Un souvenir de 1926...
On ignore si Mario Draghi connaît cet épisode de l'histoire de France qui a donné naissance à une expression, le "mur de l'argent". Mais les similitudes avec la situation de ce mois de février 2015 sont frappantes. Le « Cartel des gauches » avait en effet remporté - du moins en sièges sinon en voix - les élections de 1924 sur un programme qui n'est pas sans rappeler - toutes choses étant égales par ailleurs - celui d'Alexis Tsipras : rétablir l'équilibre budgétaire par l'application rigoureuse de l'impôt sur le revenu - voté en 1914 mais encore appliqué sans convictions - et renforcer les lois sociales, notamment sur le temps de travail, le respect du droit syndical et les assurances sociales.
D'emblée, ce programme déplut aux puissances économiques françaises et aux banques américaines qui font alors la pluie et le beau temps sur le marché des changes. A l'instar du programme de Syriza qui déplaît aujourd'hui aux marchés. Pendant deux ans, la pression exercée sur les gouvernements du Cartel va en réalité les empêcher d'agir réellement et aggraver les dissensions internes entre socialistes, radicaux et républicains modérés. Jusqu'à ce que, le 21 juillet 1926, la Banque centrale porte l'estocade pour le compte des milieux d'affaires par un simple ultimatum qui n'est pas sans rappeler celui du 4 février 2015.
La BCE, acteur politique
Comme en 1926, ce 4 février 2015, le mythe de l'indépendance de la BCE a volé en éclat. La BCE, en tant que seule vraie institution « fédérale » de la zone euro, se considère comme le garant d'un ordre économique qu'elle veut défendre, semble-t-il, à tout prix. Ceci est logique : la BCE est la seule force capable, via les banques grecques, d'exercer une véritable pression sur Athènes. Rappelons en effet que les traités ne prévoient rien qui ressemble à une expulsion d'un mauvais élève budgétaire de la zone euro, même en cas de défaut sur la dette.
En revanche, si la Grèce se retrouve dans l'impossibilité pratique de disposer d'assez de liquidités, elle devra de facto sortir. Le geste politique est d'autant plus éclatant que la BCE fonde sa décision de mercredi sur une simple interprétation, sur une croyance, celle qu'aucun « programme » n'est susceptible de voir le jour. A priori, une institution indépendante aurait dû attendre de constater un échec des négociations. La partie se joue donc au niveau politique entre Athènes et Francfort. Comme entre Matignon et la Banque en 1926.
De quel jeu parle-t-on ?
De quelle partie s'agit-il ? Il s'agit d'intimider le plus possible l'autre joueur pour le faire « craquer » et accepter de céder sur l'essentiel. La question centrale de ce jeu, c'est évidemment de savoir jusqu'où l'autre est prêt à aller. En réalité, le véritable enjeu qui n'est jamais évoqué directement par les parties prenantes, c'est le Grexit. Chacun fait le pari que l'autre ne le veut pas.
Là où la partie est un peu vicieuse, c'est que pour faire craquer l'autre, on avance vers le Grexit pour tenter de lui faire croire que l'on est prêt à tenter ce saut. D'où une stratégie de la tension permanente... Tout ceci se fait évidemment très diplomatiquement, jamais explicitement. La question reste de savoir si ce jeu de dupes peut mal tourner ou non.
Le coup grec et la réplique de la BCE
Ainsi, vendredi, la Grèce avait pris l'initiative en « tuant » la troïka. Elle mettait une pression certaine sur la BCE qui a conditionné le soutien à la Grèce à un accord avec la troïka. Dès lors, le choix pour Mario Draghi était soit d'accepter le fait accompli et d'engager des négociations, mais alors sur la base grecque et acceptant la mort d'une troïka dont elle fait partie, soit de répondre au coup de force par un autre coup de force, celui de menacer de couper les vivres à Athènes. C'est cette dernière voie qu'elle a emprunté. L'équilibre est donc rétabli.
Un jeu de bluff
Certes, si on y regarde de près, les deux joueurs, tout en durcissant leur jeu, laissent des portes ouvertes à un accord, à un « match nul » par accord mutuel, comme il en existe aux échecs. Athènes a ainsi fait des propositions lundi et la BCE n'a pas coupé le robinet puisqu'elle a maintenu jusqu'au 28 février l'accès du système financier grec au programme d'accès à la liquidité d'urgence (ELA). Mais si les ponts ne sont pas coupés, à chaque fois qu'un joueur tente un coup de bluff, on se rapproche d'une fin que ni l'un, ni l'autre ne souhaite officiellement : que la table soit renversée. La BCE menace désormais clairement Athènes d'un Grexit, comme Athènes a menacé d'un défaut unilatéral vendredi.
La situation grecque
Après la décision de la BCE, la balle est dans le camp d'Alexis Tsipras. La question est de savoir si, comme le disait le ministre des Finances Yanis Varoufakis, « le gouvernement Syriza ne se comportera pas comme le gouvernement irlandais en 2010. » Autrement dit, s'il cédera comme Dublin voici 4 ans ou comme Edouard Herriot en juillet 1926. Mais la situation du nouveau Premier ministre grec semble plus forte. Il vient d'être élu, 70 % des Grecs le soutiennent et il dispose d'une majorité parlementaire qui semble solide et unie sur la question européenne. Cette force lui donne des obligations : celle de ne pas faiblir. S'il le faisait, il perdrait la confiance d'une partie de son électorat et sans doute de son allié de droite et d'une partie de son propre parti. S'il cède trop, il pourrait certes s'allier avec les « pro-européens », mais il sanctionnerait alors sa conversion en nouveau George Papandréou et celle de Syriza en nouveau Pasok. Le parti communiste et les néo-nazis pourront se frotter les mains. Compte tenu de ses forces intérieures, Alexis Tsipras ne peut guère faiblir. Mais s'il joue le durcissement, le gouvernement grec devra désormais préparer concrètement les esprits au Grexit - sans en parler ouvertement pour ne pas couper les ponts - pour faire croire qu'il ne bluffe pas. Au risque de se laisser emmener plus loin qu'il ne voudrait...
La situation de la BCE
La BCE est-elle mieux lotie ? Pour le moment, oui. Mais à mesure que la date du 28 février s'approchera et le risque du Grexit se précisera, la pression deviendra de plus en plus forte sur Mario Draghi dont on voit mal comment il pourrait accepter la responsabilité d'une rupture de l'irréversibilité de l'euro. La position de force de la BCE n'est que temporaire. Et Athènes pourrait être tentée de jouer la montre pour réduire les exigences de Francfort qui, du coup, sortirait perdante de l'affaire, surtout si elle doit accepter une renégociation de la dette et une remise en cause de l'austérité. Mario Draghi devra aussi prendre garde à ne pas apparaître comme le bourreau de la démocratie, mais il ne pourra pas non plus donner l'impression d'avoir trop reculé après s'être montré ferme. La crédibilité de la BCE est en permanence sous l'œil des marchés.
Le jeu est donc plus équilibré qu'en 1926. Il est aussi plus confus. Les deux parties recherchent sans doute un compromis, mais à leur avantage. Et la marge de manœuvre des deux acteurs est fort limitée. Un « Happy End » n'est pas certain dans ce jeu grec.
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a le à :
Ceci en dit long sur l importance du sujet pour la population.
Varoufakis n est pas reparti les mains vides : Schäuble lui a offert de lui déléguer gratuitement 500 spécialistes de son ministere des finances dont la mission sera de mettre de l ordre dans le systeme fiscal grec. N est ce pas une offre sympa de la par des allemands ?? Va t il refuser cette offre ?
Je n'ai vu aucune compassion chez Mr Schauble. Merci, mais non.
Quelle serait la mesure de son indépendance ? Le fait de se livrer à des marchandages politiques pour plaire à une des parties ?
En tout les cas, il est triste de voir dans les commentaires plus avant les gens se laisser aller à leur plus bas instincts.
Personnellement je pense que ce gouvernement a la stratégie et la légitimité populaire pour sortir de l'Euro : quitte à rester dans l'austérité, autant avoir l'austérité avec la souveraineté....
Il ne cherchait plus qu'un prétexte, il commence à l'avoir avec ce dernier geste de la BCE ...
En effet ce qu'il va advenir est très ouvert....
Quand bien même, les grecs sont rentrés dans l'Euro par effraction... s'ils en sortent, ce ne sera que justice !
C'est pas gagné !
' le gouvernement populaire grec met a genou la banque centrale ultra liberale et allemande, qui expie et implore la mansuetude du petit timonier hellene beni des astres et des elements celestes'
Dans la zone euro, l'ensemble des pays devrait pouvoir emprunter au même taux, l'échec du système est lattent.
Au lieu de nous faire une guerre économique interne, il serait temps de réfléchir et de mettre en place un système cohérent, et, démocratique.
C'est justement parce que la Grèce pouvait emprunter au taux allemand pour se moderniser, et l'a fait pour consommer, qu'ils sont dans la panade...
les Peuples du Portugal, d'Espagne, d'Italie, d’Irlande et de France sont derrière le Peuple Grecque pour mettre les voyous de la finance au pas de la raison
- les voyous de la finance doivent restituer tous les intérêts MAL ACQUIS qu'ils ont subtilisé aux Peuples grâce à la connivence des politicards bandits et traitres de leurs Nations.
Les banksters devront prendre leurs pertes dans la plus grande docilité, comme l'avait suggéré DSK,
sinon ces banksters et leurs affidés politicards bandits vont devoir faire face à des révoltes Populaires qui reprendront leurs biens et les enverrons à l'échafaud, à la pendaison, voir à d'autres fins.
Les vrais bankster sont les Pigasse(s) de la banque Lazard qui ont conseillé les gouvernements socialistes grecs sur la meilleure façon de maquiller les comptes pour entrer dans l'Europe. Maintenant , toujours conseillés du gouvernement grec, les Pigasse(s), actionnaire de presse SVP(!), demandent un abandon de créance et ceci payé par les contribuables français (il n'y a plus actionnaires, pas fous eux ne prêtent plus). Les Pigasse(s) ont-ils abandonné les deniers du salaire qu'ils extorquent chaque fin de mois à la Grèce ?
Quand vous dîtes ou écrivez les Grecs, vous devriez écrire ou dire les socio-démocrates et libéraux grecs, ce serait plus juste.
Mais laissons le benefice du doute au nouveau premier ministre. Apres tout au contraire de l ancien, il n a jamais ete au pouvoir et donc pas pu loger les copains a des postes juteux
Mais creer un etat viable et extirper des habitudes seculaires, ca necessite plus de 1 mois ...
Heu, c'est quoi d'autre l'Etat Providence, le Socialisme, que le clientélisme ???
Ils sont contre le clientélisme ? Qu'il démentel l'Etat ! Plus la moindre allocation, subvention, et flat taxe pour tout le monde !
Sur le clientélisme, il s'agissait en fait en Grèce en fonction des partis détenant le pouvoir de montrer patte blanche soit, à la famille Karamanlis (conservateurs) soit à la famille Papaandréou (socialistes...ou prétendus tels), voilà pour le clientélisme. En fait, il faut qu'ils mettent un système juridique bordé pour leur fonction publique (si j'ai bien compris).
Du style, tu veux faire prof agrégé , tu passes un concours, ta copie est anonyme, tu plantes tu repasses l'année d'après, t'es mal classé tu prends ce qui reste, t'es au top, c'est toi qui a le poste au top. Je dis bien "du style" pour que chacun comprenne bien, l'exemple que je choisis ne valant peut-être pas pour la forme mais pour le fond.
Je laisse de côté la question du nombre, du poids dans le budget, de la surface de ce nouveau service public grec dans la société pour le moment....en gros, déjà avoir un service public démocratiquement conforme à ce que le public peut attendre.
Les grecs ont cru que la stratégie du parti majoritaire allait les faire gagner et qu'ils pourraient continuer à se servir dans la caisse.
Le problème pour les grecs, c'est qu'ils n'ont pas les clés du coffre et qu'il faudra en passer par ceux en ont la clé... ou s'assumer seul.
Les belles promesses risquent se transformer dans du "sang et des larmes", surtout si les grecs prennent la porte de sortie.
Entraidons nous les uns les autres au lieu de nous chamailler
Entraidons nous les uns les autres au lieu de nous chamailler
Diviser pour mieux régner ne disent-ils pas ?
Riions ensemble et non pas les uns des autres.
Si j'ai bien compris (on s'y perd un peu), les Grecs ont annoncé qu'ils ne reconnaissaient plus la Troïka (et donc la BCE puisqu'elle ne fait partie) mais c'est en partie la BCE qui finance... Donc, la BCE coupe le robinets: ce n'est pas un acte politique; c'est une relation client/fournisseur.
A mon humble avis, c'est beaucoup plus simple que monsieur Romaric Godin le suggère: si les Grecs veulent partir de la zone Euro, ils en ont la possibilité malgré le traité car ils sont responsables de leur destin et je crois que la zone Euro s'en remettra. La Grande-Bretagne et le Danemark ne font pas partie de la zone Euro et cela marche très bien.
Ceci étant écrit, quelle que soit l'issue, les Grecs ne paieront jamais.
Cordialement