"Sans entente des pays développés, les négociations à l'OMC resteront bloquées"

La Tribune - Quels sont les enjeux majeurs du sommet ministériel que tiendra l'OMC à Cancun en septembre ?Supachai Panichpakdi - Les participants doivent s'entendre sur quatre dossiers principaux. Le premier concerne l'accès aux marchés. Un accord dans ce domaine est d'autant plus nécessaire que des menaces multiformes pèsent actuellement sur l'économie mondiale. Ce volet est de taille puisqu'il couvre l'ensemble des biens industriels et l'agriculture. Le deuxième dossier est celui des réglementations du commerce international qui devront être appliquées par l'organe de règlement des différends de l'OMC. Bien que sur ce terrain, nous ne sommes pas encore entrés dans le vif des négociations, la réunion de Cancun devra jeter les bases des futurs travaux des pays membres, notamment en matière de droit anti-dumping. Le développement économique constitue le troisième enjeu majeur de Cancun, bien qu'une partie soit déjà traitée dans le volet inhérent à l'accès aux marchés. Il couvre le traitement spécial et différencié des pays pauvres, les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce et la santé publique. Enfin, la réunion ministérielle de Cancun a aussi vocation à rappeler aux gouvernements que le cycle de Doha est censé s'achever à la fin 2004.Les membres de l'OMC n'étant toujours pas parvenus à s'entendre au sujet des médicaments, de l'agriculture ou du traitement spécial et différencié des pays pauvres, croyez-vous que le cycle s'achèvera comme prévu en 2004 ?Vu de l'extérieur, les progrès réalisés paraissent minimes et les dossiers semblent avancer lentement. Mais c'est toujours le cas, à ce stade, dans les négociations internationales sur le commerce. Dans les faits, les dossiers ont avancé et si les gouvernements parviennent à s'entendre sur l'accès aux marchés à l'occasion de Cancun, il leur sera beaucoup plus facile de négocier le reste. Je crois donc que l'échéance de 2004 peut être respectée, mais tout dépendra de Cancun.Considérez-vous que les gouvernements s'impliquent suffisamment pour faire de Cancun une réunion constructive ?Tout à fait. J'ai participé à de nombreuses réunions nationales et régionales à travers le monde et constaté que les pays membres ont compris l'intérêt qu'ils avaient à s'entendre à Cancun. Toutefois, j'encourage les gouvernements à immédiatement engager des discussions bilatérales ou en groupe pour préparer la réunion. Je leur recommande aussi d'intensifier leurs échanges avec la mission qui les représente au siège de l'OMC. Enfin, je leur demande d'agir. On parle beaucoup des efforts qui ont été réalisés en matière d'agriculture, mais j'attends encore plus des Etats membres.En particulier des Etats-Unis ?De tout le monde, surtout des pays les plus développés : les Etats-Unis, l'Europe, le Japon et le Canada. S'ils ne parviennent pas à s'entendre entre eux, les négociations resteront dans l'impasse. C'est impératif pour la suite du cycle de Doha. Il est de bon ton de considérer que les pays clefs ne devraient pas tenter de s'accorder entre eux. Il ne s'agit pas de les laisser s'entendre pour qu'ils défendent leurs intérêts, mais qu'ils donnent l'exemple. Une fois qu'ils se seront entendus, le reste du monde pourra suivre. Si les pays en voie de développement savaient au moins ce que les pays développés demandent ou sont prêts à concéder, notamment en termes de subventions, d'accès aux marchés ou d'aides aux exportations, ils pourraient préparer leur réponse. La réforme de la politique agricole commune n'a-t-elle pas constitué un geste fort de la part des européens ? A l'OMC, nous considérons qu'il s'agit au premier chef d'une réforme interne, même si nous avons conscience du fait qu'elle permettra au commissaire européen au Commerce (Pascal Lamy, ndlr.) d'avoir plus de souplesse lors des négociations agricoles. Il faut désormais que cette réforme interne puisse s'intégrer au cadre des négociations de l'OMC. Cette semaine, de nouvelles sessions de travail vont avoir lieu à Genève qui j'espère vont donner lieu à des avancées en matière agricole. Quand l'Europe, les Etats-Unis et le Japon auront fait évoluer leurs positions, les autres pays pourront alors se joindre au processus. Pour l'heure, je considère que la réforme de la Politique agricole commune était la bienvenue même si elle ne constitue pas une avancée pour les négociations à l'OMC. Cette réforme donne toutefois au gouvernement japonais une indication de ce qu'il pourrait faire de son côté, c'est le cas pour les Etats-Unis aussi bien sûr. Les négociations sur les services n'exposent-elles pas les pays en développement aux pressions des pays industrialisés ?En matière de service, tout dépend de la volonté de chaque pays. Un pays peut proposer d'ouvrir beaucoup de ses services ou très peu d'entre eux. S'il veut lui-même obtenir un bonne proposition d'un autre pays, il devra formuler de bonnes offres. Mais il est faux de dire que les gouvernements sont obligés d'ouvrir un secteur s'ils le refusent. Des pressions peuvent être exercées sur un pays mais en aucun cas elles ne viennent de nous. Pour sa part, l'OMC a vocation à aider les pays à comprendre les positions respectives et faire en sorte que chaque pays soit conscient de ses forces et de ses faiblesses au moment de négocier. Il est faux de croire que nous obligeons les pays à ouvrir leur économie, à libéraliser ou à privatiser.Certaines ONG suspectent les lobbies industriels d'influencer le cours des négociations?Les multinationales pratiquent le lobbying directement auprès des gouvernements, pas de l'OMC. Je m'autorise à rencontrer des entreprises qu'elles soient grandes ou petites. Leur point de vue compte car en définitive, c'est aussi elles qui sont soumises à nos règles. Il ne s'agit pas de lobbying mais d'échange d'information. Je les invite à être responsables, à respecter les législations et permettre aux pays hôtes de bénéficier aussi de leur présence. Ne craignez-vous pas que les litiges commerciaux qui opposent certains membres de l'OMC (acier, OGM..) ne ralentissent les négociations ?Le programme de Doha a sa propre vie, ses propres procédures et son propre contenu. De son côté, l'Organisme des réglements des différents a sa propre existence. Je n'ai jamais vu de litige avoir une influence négative sur le cours du cycle commercial. Les pays en voie de développement (PVD) craignent que les barrières non tarifaires imposées par les pays du nord constituent une nouvelle forme de protectionnisme. Qu'en pensez-vous ?J'admet que c'est un sujet important, que ce soit dans le domaine des barrières techniques au commerce ou celui des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS). L'OMC travaille avec la Banque mondiale sur un programme d'assistance technique pour renforcer la compréhension des PVD en matière de normes et de standardisation. Il s'agit pour nous de faire en sorte que les pays développés n'utilisent pas les normes aux dépends des PVD. Pour l'instant le fonds alloué à cette assistance avec la Banque mondiale est modeste, de l'ordre de 300 000 dollars. Mais ce qui compte ce sont surtout les ressources humaines.La part des 49 pays les plus pauvres dans le commerce mondial a régressé au cours des vingt dernières années. Qu'en pensez-vous ? Le commerce peut jouer un rôle dans le développement des pays pauvres mais il ne peut pas tout régler. Il existe d'autres facteurs au développement, le mode de gouvernement notamment compte aussi.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.