Dominique Perben, ministre des Transports : L'Etat envisage de revoir "ses relations avec Lagardère au sein d'EADS"

Deux semaines après le dénouement de la crise managériale au sein d'EADS, le ministre des Transports Dominique Perben doit discuter aujourd'hui avec ses homologues des pays partenaires d'Airbus (Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne) de l'avenir de l'avionneur européen à l'occasion du salon aéronautique de Farnborough. Dominique Perben souhaite obtenir un calendrier et un plan d'action précis de la nouvelle direction d'Airbus sur les programmes A380 et A350. Il confirme également que la place de l'Etat au capital d'EADS, une entreprise hautement stratégique pour la France, est pérenne. Et n'exclut pas le moment venu de revoir les relations entre l'Etat et l'actionnaire privé français Lagardère Groupe au sein d'EADS. S'agissant d'Aéroports de Paris (ADP), dont l'introduction en bourse a été un succès, il a réaffirmé que l'Etat a vocation à rester "à un niveau élevé" dans son capital. Pour l'ouverture de capital des premiers aéroports de province (Bordeaux, Lyon, Nice, Toulouse), le calendrier sera respecté pour une échéance prévue "début 2007". L'Etat, qui sera majoritaire dans un premier temps, n'exclut pas de réduire sa participation ultérieurement au profit de groupes privés et d'une montée en puissance des collectivités territoriales.

La Tribune- Qu'attendez-vous de la réunion des ministres des Transports au salon aéronautique de Farnborough à propos d'Airbus au lendemain de la crise d'EADS ?

Dominique Perben- Les quatre ministres Airbus (mes homologues allemand, espagnol ,britannique et moi-même), se réunissent aujourd'hui effectivement pour faire le point et entendre la direction d'Airbus, en particulier son nouveau PDG Christian Streiff. Il faut régler deux sujets : les retards de production et de livraison du très gros porteur A380, et le projet Airbus A350 qui doit offrir aux clients, insatisfaits du projet initial, une meilleure alternative au Boeing 787. L'A350 devra être un appareil qui consomme peu de kérosène ; ce qui est essentiel compte tenu des prix élevés du pétrole.

Les retards sur l'A380 dont la révélation du coût a fait plonger le titre EADS en bourse vous inquiètent-ils ?

Il faut évidemment y remédier. Et nous attendons de Christian Streiff qu'il nous présente dans ce but un calendrier, un plan d'action précis et nous expose les mesures concrètes déjà prises. Il est important de comprendre que les problèmes de l'A380 relèvent exclusivement de la production industrielle mais ne portent pas sur la conception de l'appareil ou sur son inadaptation à la clientèle. L'A380 est un superbe avion qui rencontre le succès et qui répond à un véritable marché. Tous les responsables, ministres des transport, patrons de compagnies aériennes que je rencontre, soulignent la pertinence de cet appareil. Les opérations de certification, tant au niveau européen qu'américain se déroulent sans problème et seront achevées d'ici à la fin de l'année. Les problèmes évoqués sur les question du sillage de l'avion sont en cours de règlement. Airbus dispose donc là d'un très beau produit qu'il faut maintenant sortir dans des délais satisfaisant la clientèle. Cela dit, la livraison du premier exemplaire maintenue pour la fin de l'année à Singapore Airlines aura une force symbolique considérable qui fera oublier les retards.

Sur le projet A350, Airbus a avancé malgré les turbulences qu'il vient de connaître ?

En terme de gamme, ce nouvel appareil est très stratégique. Dans ce contexte, les dirigeants d'Airbus doivent nous présenter aujourd'hui les décisions et les perspectives qu'ils vont définir pour cet appareil. Sur ce dossier, nous travaillerons ensemble en temps réel. Le calendrier sur ce programme est désormais le suivant : la nouvelle définition du produit, le lancement du programme et la définition des aides publiques susceptibles d'être accordées en prenant en compte les négociations internationales en cours à l'OMC (Organisation mondiale du commerce, ndlr) entre Européens et Américains.

Airbus connaît des problèmes industriels mais aussi avec sa maison-mère EADS qui sort d'une crise de gouvernance. Quels enseignements en tirez-vous ?

Airbus sort de plusieurs années flamboyantes et les commandes engrangées le conduisent à revoir aujourd'hui à la hausse ses cadences industrielles, en recrutant des ingénieurs, des techniciens... Sur les problèmes de gouvernance rencontrés par EADS, je ne suis pas convaincu qu'ils soient liés à la cogestion franco-allemande du groupe. C'est une question d'entente, de communication et de cohésion au sein de l'équipe dirigeante qui a abouti au départ de Noël Forgeard - à qui une mission de six mois sur les difficultés d'Airbus a été confiée- et de Gustav Humbert, PDG d'Airbus. J'ai toutes les raisons de penser que cela se passera très bien avec le tandem Enders-Streiff. Ce dernier a l'énorme avantage d'être un homme de biculture française et allemande, qui s'entendra parfaitement avec nos partenaires allemands au sein d'EADS.

Pour résoudre la crise, vous avez du laisser partir Louis Gallois de la direction de la SNCF pour qu'il devienne le co-président exécutif français d'EADS aux côtés de Thomas Enders côté allemand.

Louis Gallois a très bien réussi à la SNCF. Il y a passé dix ans ce qui est une période longue. Et il présentait l'avantage d'avoir dirigé de grandes entreprises dans l'aéronautique, Snecma puis Aerospatiale. Il était aussi administrateur d'EADS.

Le gouvernement semblait être à la manoeuvre dans cette crise, contrairement à son actionnaire privé EADS, le groupe Lagardère. L'Etat français a-t-il vocation à rester au capital du groupe ?

Absolument, l'Etat français reste dans le capital d'EADS. Il y sera de façon pérenne. C'est un groupe éminemment stratégique, à la fois civil et militaire. En cas de crise, l'Etat doit jouer son rôle de régulateur. Quant à nos relations avec Lagardère au sein de notre holding commun la Sogeade qui porte nos participations communes dans EADS, elles ont été fixées dans une structure montée à un moment donné en fonction des priorités et des partenaires du moment. Il va falloir vérifier que ces priorités sont toujours les mêmes. La crise est passée. C'est le genre de sujet qu'il vaut mieux traiter à froid.

L'Etat est aussi très présent dans le capital d'ADP, Aéroports de Paris. Etes-vous satisfait par l'ouverture du capital qui vient d'intervenir via la bourse ?

Tout à fait. Le but de l'opération n'était pas que l'Etat réduise sa participation dans le capital d'ADP qui est désormais de 70 % mais de donner à cette entreprise les moyens de financer les 2,7 milliards d'euros qu'elle doit absolument investir pour développer ses infrastructures et notamment l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, alors que le trafic aérien est en pleine croissance.

Etes-vous tenté de céder une tranche supplémentaire de capital ?

Il n'y a pas de raison ni de nécessité de le faire. L'Etat a de toute façon vocation à rester à un niveau élevé dans le capital d'ADP.

Craignez vous le verdict sur les recours engagés contre le plan de taxes aéroportuaires fixés dans le cadre du programme pluriannuel d'ADP qui a précédé sa mise en Bourse ?

Non, pas du tout. Je ne vois pas au nom de quoi il pourrait y avoir annulation du Conseil d'Etat qui donnerait raison aux contestations des compagnies aériennes. Sur le plan de la forme, nous avons suivi les indications de la loi. Sur le fond, j'ai pris une décision conforme à l'intérêt général. Fixer une hausse des redevances aéroportuaires pour ADP de 3,25 % par an à laquelle s'ajoute l'inflation me paraît tout à fait raisonnable (soit au total 5 % inflation comprise, ndlr). C'est un contrat équilibré entre la société aéroportuaire et les compagnies aériennes.

Quand le Conseil d'Etat doit-il rendre sa réponse ?

Compte tenu des délais d'instruction contradictoires, la réponse interviendra au plus tôt à la fin de l'année.

Toujours dans l'aérien, il y a des négociations apparemment très compliquées entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur l'open sky, quand espérez-vous parvenir à un accord ?

En réalité, nous sommes d'accord sur l'aspect trafic aérien. Ce qui bloque au Congrès américain, c'est la réciprocité demandée par l'Europe aux Etats-Unis sur la possibilité pour les compagnies européennes d'investir dans les compagnies américaines. L'idéal serait que les autorités américaines nous permettent de conclure un accord en octobre.

Quelle part pourraient demander les compagnies européennes souhaitant entrer au capital des compagnies américaines ?

Autour de 25 %. Mais en fait, le débat porte essentiellement sur ce que les groupes européens pourront contrôler dans les compagnies américaines. Les Américains sont en train de différencier les fonctions stratégiques et commerciales. Les opposants américains font également valoir que les compagnies aériennes peuvent être soumises à réquisition en cas de crise grave. Le débat militaire-sécurité entre donc dans le débat. Cela ne nous gêne en aucun cas puisque la position européenne n'est pas motivée par ce paramètre. Pour les compagnies européennes, l'objectif n'est pas d'entrer dans le capital des compagnies américaines.

Est-ce que l'Etat compte conserver une participation dans Air France ?

On a vocation à la garder. Le caractère national du pavillon est important dans le transport aérien.

Globalement, quel est votre sentiment sur la fusion Air France-KLM ?

Je ferai deux observations : d'une part, Jean-Cyril Spinetta et son équipe ont très bien réussi la fusion avec KLM. Ce qui n'était pas évident compte tenu des cultures très différentes des deux compagnies. D'autre part, la stratégie d'Air France-KLM avec ses alliés dans SkyTeam est très pertinente car elle a permis de maximiser l'efficacité des réseaux des différentes compagnies et leur pénétration commerciale. Bien sûr, Air France doit continuer à moderniser sa flotte pour avoir des appareils plus économes et doit gérer ses coûts de manière à faire face à l'augmentation de la facture pétrolière.

A propos de la liste noire des compagnies aériennes, comment a-t-elle évoluée ?

J'avais pris l'initiative de publier la liste noire française l'été dernier. Cette initiative a permis de déclencher un processus européen puisque les Belges et les Suisses ont suivi. Et après avoir remis un mémorandum à Jacques Barrot en novembre dernier sur le transport aérien, l'Europe a sorti à son tour une liste noire qui comprend maintenant une douzaine de compagnies ainsi que toutes celles de cinq pays, soit 160 compagnies en tout. La première liste sortie en mars comprenait 92 compagnies.

Où en est le dossier sur la privatisation des aéroports de province ?

Le projet de loi portant sur la mise en place des sociétés d'exploitation est en cours de discussions. C'est une vrai révolution culturelle. Les aéroports sur lesquels nous sommes le plus en avance sont ceux de Lyon, Toulouse, Nice et Bordeaux dont le capital sera ouvert début 2007.

Dans ce cadre, l'Etat conserverait-il des participations majoritaires ?

Tout à fait, l'Etat détiendra dans un premier temps 60 % des sociétés aéroportuaires, le solde étant réparti à hauteur de 25 % pour les chambres de commerce et d'industrie et de 15 % pour les collectivités territoriales. C'est ce qui était prévu mais ces structures pourront évoluer ultérieurement pour laisser entrer des capitaux privés. Ce qui pourrait amener l'Etat à diminuer sa participation d'autant plus que nous avons une très forte demande des collectivités territoriales, notamment des régions qui souhaitent être très présentes dans ces sociétés.

Combien cette opération rapportera à l'Etat ?

Il est difficile de faire les comptes aujourd'hui. Tout va dépendre des perspectives économiques de ces aéroports à terme. Ce n'est qu'à ce moment là que la question se posera. D'autant qu'il y a des incertitudes sur un certain nombre d'aéroports liées au développement du TGV.

Ryanair a du quitter l'aéroport de Mulhouse suite à une plainte d'Air France. Quel est votre sentiment sur la polémique entre le développement des compagnies low cost dans les aéroports de province ?

Je comprend qu'Air France défende ses intérêts. Mais il ne faut pas que la France et les voyageurs français soient interdits de compagnies à bas prix. C'est un autre service. C'est pourquoi, je conseille aux aéroports, lorsqu'ils fixent leurs tarifications, de veiller à ce que les différences de tarifs soient justifiées par des différences de prestations et à respecter les recommandations de la Commission européenne. A partir de là, il ne doit pas y avoir de difficultés juridiques.

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