"La fusion Alcatel-Lucent toujours en bonne voie"

Grégory Moore, gérant de portefeuille chez Montségur Finance, ne partage pas l'opinion de Colette Neuville, présidente de l'association des actionnaires minoritaires (Adam) qui estime que la fusion entre les équipementiers de télécoms français et américain Alcatel et Lucent doit être rediscutée et propose plutôt une alliance avec le suédois Ericsson. Ce serait un non-sens industriel pour Grégory Moore qui continue, malgré les critiques qui se multiplient, d'être favorable au projet de rapprochement entre Alcatel et Lucent, sur lequel leurs actionnaires doivent se prononcer le 7 septembre.

Latribune.fr.- Un rapprochement entre Alcatel et l'équipementier suédois Ericsson ou une OPA de ce dernier sur le français seraient-ils, comme l'estime Colette Neuville, plus créateur de valeur pour les actionnaires français que le mariage d'Alcatel avec Lucent?

Grégory Moore.- Une alliance entre Alcatel et Ericsson, quelle que soit sa forme - rapprochement entre les deux parties ou OPA - ne me semble pas aussi intéressant qu'une alliance entre Alcatel et Lucent. Ericsson est présent sur les mêmes marchés géographiques qu'Alcatel, essentiellement en Europe, il n'apporte pas une présence stratégique aux États-Unis, comme avec Lucent. Alcatel, qui ne réalise pratiquement pas de chiffre d'affaires en Amérique du Nord doit se développer fortement outre-Atlantique. Réciproquement, ce rapprochement permet à Lucent de conquérir l'Europe. La répartition du chiffre d'affaires du nouvel ensemble Alcatel-Lucent sera la suivante: 34% du CA sera généré par l'Amérique du Nord, 34% en Europe de l'Ouest, 15% en Asie et 15% au Moyen-Orient et en Afrique. Les États-Unis sont aujourd'hui stratégiques. Alcatel est l'un des leaders dans l'installation de fibre optique. Il va y avoir beaucoup de chantiers de réseaux en fibre optique dans les prochaines années outre-Atlantique où l'on commence notamment à rattraper le retard par rapport au Japon. Il faut donc qu'Alcatel en profite. Les États-Unis sont le nouvel eldorado dans ce domaine.

Colette Neuville, la passionaria des petits actionnaires, peut-elle convaincre 33% des actionnaires d'Alcatel de dire non au projet de rapprochement avec Lucent?

C'est vrai qu'elle s'est illustrée sur de nombreux dossiers ces dernières années, mais je doute qu'elle arrive à convaincre autant d'actionnaires, et notamment les grands. Alcatel n'a pas d'actionnaire de référence. Ses deux premiers actionnaires sont des gestionnaires de fonds américains, en premier lieu Brandes qui contrôle plus de 10% de son capital et Fidelity qui en possède 5%. Il sera donc difficile de réunir 33% du capital. Il faut toutefois rester prudent sur une possible fronde en France. Il faut aussi surveiller les actionnaires mécontents de Lucent qui se sont manifestés aux États-Unis et qui veulent faire annuler l'assemblée générale du groupe le 7 septembre prochain. C'est vrai que les actionnaires américains ont la culture des actions collectives, les "class actions", que nous ne connaissons pas en France. Ils peuvent notamment en quelques clics déposer une "class action" par Internet, mais reste à voir s'ils arrivent à mobiliser une majorité de protestataires chez Lucent.

Malgré ces critiques, pensez-vous que le projet de fusion Alcatel-Lucent va être approuvé le 7 septembre prochain par les grands actionnaires d'Alcatel?

Je reste optimiste, car une fois encore ce rapprochement est une opportunité pour Alcatel dans la course à la taille que se livrent actuellement les différents acteurs. Le nouvel ensemble deviendra leader mondial des fabricants d'équipements de télécommunications avec un chiffre d'affaires de 18,5 milliards d'euros devant le n°2 composé de l'alliance Ericsson-Marconi (16,4 milliards d'euros) et le n°3 Siemens-Nokia (15,8 milliards d'euros). Le nouvel ensemble sera le n°1 de la convergence avec un large portefeuille d'activités. Alcatel va renforcer avec Lucent sa position dans le téléphone fixe où il est leader avec le développement des offres "triple play" et il va étendre son offre dans le téléphone mobile où il est actuellement un acteur de petite taille comparé à ses concurrents.

Les mauvais résultats de Lucent pour son dernier trimestre ont jeté un froid, y a-t-il de quoi vraiment s'inquiéter ou n'est-ce qu'un accident de parcours?

Je pense que la baisse de 80% du bénéfice net au troisième trimestre de l'exercice fiscal 2005-2006 (clos au 30 juin dernier) à 79 millions de dollars (63 millions d'euros) est un accident de parcours. Lucent a souffert notamment de difficultés en Asie. Il est certain qu'il vaut mieux aujourd'hui être actionnaire d'Alcatel que de Lucent. Cette mauvaise performance est à l'origine des critiques actuelles sur la parité du rapprochement entre Alcatel et Lucent. Alcatel qui acquiert Lucent pour 12 milliards d'euros, devrait détenir 60% de la nouvelle entité. Lucent aurait 40%. La parité d'échange des titres est donc de 1 action Alcatel pour 5 actions Lucent, ce qui paraît aujourd'hui élevé, il me semble qu'Alcatel devrait avoir plus. Ce sera donc une des questions importantes soulevées lors de l'assemblée générale des actionnaires d'Alcatel le 7 septembre prochain. 40% pour Lucent, c'est beaucoup, mais je ne veux pas me prononcer sur la proportion idéale qui devrait être adoptée.

Quelles sont les autres incertitudes qui pèsent sur ce rapprochement?

Il y a tout d'abord le problème des retraites comme l'ont souligné dans leurs critiques récentes Colette Neuville et le cabinet de conseil français Proxinvest. Alcatel va récupérer la charge des retraites des salariés de Lucent, avec dans l'avenir de nouvelles règles plus strictes dans ce domaine aux États-Unis. Nous sommes donc très attentifs sur ce point. Autre élément, Lucent a un laboratoire de recherche qui travaille pour la Défense américaine, il n'est pas sûr que le gouvernement américain autorise Lucent à mettre ce laboratoire dans la corbeille de mariage, mais rien n'est encore confirmé.

Quelles sont vos prévisions concernant l'évolution du cours d'Alcatel dans les prochains mois?

Malgré ces incertitudes sur les retraites des salariés de Lucent et l'inclusion ou pas du laboratoire de recherche, Montségur Finance reste positif sur le titre Alcatel car la fusion sera relutive dès la première année. En outre, les synergies entre les deux groupes - cela a été confirmé par la direction d'Alcatel - permettront d'économiser 1,4 milliard d'euros sur les trois prochaines années (2007-2008-2009), dès que le rapprochement sera effectif, si tout va bien à la fin de l'année. Nous pensons donc que le cours d'Alcatel pourrait grimper à 13-14 euros d'ici 12 à 18 mois. Ce qui constituerait un rebond, l'action ayant subi des baisses ces derniers mois. Elle a notamment perdu 26% depuis l'annonce du rapprochement entre Alcatel et Lucent en avril dernier. Et si l'on fait un bilan depuis le début de l'année, le titre Alcatel cotait à 10,47 euros fin décembre 2005, il est monté au plus haut à 13,82 euros en avril, au plus bas le 27 juillet dernier à 8,27 euros, et il est aujourd'hui autour de 9,79 euros. Il a donc une bonne marge d'appréciation.

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