Fiat : le clan Agnelli sous enquête pour manipulation de marché

Le holding financier Ifil de la famille Agnelli n'est pas obligé, selon la Consob, de lancer une OPA sur Fiat, dont il détient 30%. Mais son "equity swap" avec Merrill Lynch pourrait être sanctionné pour manipulation du marché.

L'opération boursière acrobatique grâce à laquelle le clan Agnelli a réussi en septembre dernier à maintenir sa mainmise sur Fiat n'en finit pas d'agiter la place financière milanaise: la Consob, le gendarme de la Bourse italienne, vient de transmettre au parquet différents éléments recueillis sur les opérations financières montées l'année dernière par le groupe.

Le holding Ifil, coté à la Bourse de Milan et contrôlé par la famille Agnelli, avait en effet mis sur pied un montage financier complexe pour maintenir son rang de premier actionnaire de Fiat avec 30,06% du capital.

Par la conversion de leur prêt convertible à Fiat de 2002 (trois milliards d'euros) en actions, les banques créditrices du constructeur automobile italien, Banca Intesa, Unicredito, Capitalia, Sanpaolo IMI, BNL, Montepaschi di Siena, ABN Amro et BNP Paribas, devaient reléguer en septembre dernier les Agnelli à seulement 22% dans leur groupe.

Pour éviter cette dilution au capital du groupe fondé il y a 106 ans par leur ancêtre, les Agnelli ont acquis 82 millions de titres Fiat auprès de leur propre filiale Exor (voir La Tribune du 19 septembre 2005, "Les Agnelli gardent le contrôle de Fiat"). Comme Ifil, contrôlé par la société à commandite Giovanni Agnelli (62 % des parts), détenait déjà 30 % de Fiat, l'achat de titres supplémentaires devait déclencher le lancement d'une OPA sur le reste du capital du constructeur automobile italien. Selon la législation italienne, en effet, une fois le seuil des 30% dépassés, il y a obligation de lancer une OPA sur le reste du capital.

OPA à 6 milliards d'euros

Depuis l'annonce de l'opération le 15 septembre dernier, le gendarme boursier italien, la Consob, enquêtait notamment pour savoir s'il devait donc obliger Ifil à lancer une Offre Publique d'Achat (OPA) sur la totalité du capital de Fiat. Ce qui obligerait Ifil à débourser au cours actuel de Fiat près de 6,2 milliards d'euros! Pour sa décision, la Consob devait évaluer quand à proprement parler Ifil a fait l'acquisition des 82 millions de titres Fiat.

Le montage financier a en effet vu le jour dès avril. Le 20 avril dernier, Merrill Lynch a proposé à Tiberto Ruy Brandolini d'Adda, administrateur délégué du holding luxembourgeois Exor Group (contrôlé à 70% par la société G. Agnelli) et PDG de Sequana (ex Worms & Cie, contrôlé par Ifil), d'acquérir 82 millions de titres Fiat sans en prendre la propriété juridique (equity swap). Acceptée par le conseil d'administration d'Exor, ce holding contrôlé donc par les Agnelli, l'opération conduisit Merrill Lynch à acheter les titres Fiat sur le marché entre le 26 avril et le 7 juin. Aux dires du président d'Ifil, Gianluigi Gabetti, ce n'est que début septembre que "naquit l'hypothèse d'une opération impliquant Ifil". Pourtant, le même Gabetti cumule les casquettes de président d'Exor et de la société à commandite Giovanni Agnelli, d'Ifi et d'Ifil...

Cela fait supposer que l'equity swap avec Merrill Lynch n'était pas une simple opération financière au hasard, indépendante de l'enjeu de la perte du rang de premier actionnaire de Fiat, et que donc dès le printemps Ifil avait virtuellement sous son contrôle ses 30% de Fiat et les parts achetées sur le marché à son intention par Merrill Lynch.

Curieusement, le gendarme boursier italien a indiqué mardi soir dans un communiqué succinct ne pas avoir trouvé "d'éléments" vérifiant un dépassement du seuil des 30% obligeant Ifil à lancer une OPA sur Fiat. Evidemment une bonne nouvelle pour les actionnaires d'Ifil... mais les dirigeants de ce dernier n'en sont pas quitte pour autant.

Manque d'information

Car sur l'autre volet de l'affaire, la communication au marché de ces complexes opérations, le clan Agnelli risque gros. Car la mauvaise nouvelle pour les dirigeants d'Ifil, c'est que la Consob a au même moment indiqué avoir transmis les informations qu'elle a recueillies, notamment auprès de ses homologues à Londres (FSA) et au Luxembourg, aux parquets de Turin et Milan qui enquêtent sur l'opération. Aucune montée au capital de Fiat ne fut en effet signalée à la Consob et donc au marché par Merrill Lynch ou Ifil avant le 15 septembre alors que les achats de titres avaient duré de fin avril à juin.

"L'equity swap n'a pas à être communiqué", argumente le président d'Ifil, Gianluigi Gabetti. De plus, le 13 août, l'avocat Franzo Grande Stevens, administrateur d'Ifil tout comme Brandolini, consulta "à titre personnel et professionnel" la Consob pour savoir si un transfert de titres Fiat d'Exor à l'Ifil poserait problème. Malgré ce plan en tête, Ifil informa le 24 août dans un communiqué "ne pas avoir entrepris ni étudié aucune initiative en liaison avec l'échéance du prêt convertible" alors que le titre Fiat faisait l'objet de vives spéculations en Bourse.

L'opération de transfert des titres d'Exor à Ifil ne fut dévoilée que le 15 septembre, au grand dam d'ailleurs des banques créditrices, et suscita aussitôt le soupçon d'une manipulation du marché. L'opacité de l'opération a pour le moins vivement ému dans la Péninsule, le quotidien des affaires Il Sole 24 Ore parlant par exemple de "fausse note" de la part du groupe de la famille Agnelli.

Le président d'Ifil, Gianluigi Gabetti, âgé de 81 ans et un des piliers historiques du clan Agnelli, jure les beaux diables, malgré son silence de quatre mois sur la transaction, que "l'opération est parfaitement correcte". Mais si vérifiée, cette manipulation de marché est punie pénalement d'un à six ans de prison et administrativement (par la Consob) de 100.000 euros à 25 millions d'euros.

La Consob devrait sous peu ouvrir une enquête administrative proprement dite, devant aboutir dans moins d'un an à une sanction ou un non-lieu.

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