Au sortir de "L'affaire Makropoulos", les lumières sont crues et la plainte du métro plus agressive que jamais. "Innocents, vous avez tellement de chance... Heureux, grâce à ce hasard absurde qui fait que vous pouvez mourir demain". Le monologue final d'Elina Makropoulos, incarnée par l'époustouflante soprano Angela Denoke, résonne encore longtemps après le tomber du rideau.

Grâce à un filtre que lui administra son alchimiste de père dans la Prague du XVIe siècle, Elina Makropoulos (alias Ellian MacGregor, Elsa Müller, Eugenia Montez, Ekaterina Myschkina...) entre dans sa 337e année. En trois siècles, elle a eu de nombreuses vies, joué de nombreux rôles, jusqu'à devenir Emilia Marty, une femme fatale, une diva, au sommet de son art et de ses artifices, prête à tout pour récupérer la recette de l'élixir, perdue dans une succession litigieuse.

Le livret est adapté d'une pièce "futuriste" de Karel Capek, auteur de romans d'anticipation et père du mot "robot" (de "robota", la "corvée" en tchèque). L'héroïne est ici un monstre, une créature, mais également une victime, comme le furent avant elle le Golem et Frankenstein. Et la mise en scène de Krzysztof Warlikowski enfonce le clou, jouant habilement avec l'image de la star piégée par le désir de l'autre et le mythe de la jeunesse éternelle.

Le décor principal est un cinéma. Sur l'écran sont projetés les sous-titres de l'opéra et des extraits de films en noir et blanc. On assiste ainsi à la gloire et aux derniers jours de Marilyn, à la grandeur et aux décadences d'Hollywood. King Kong lui-même est de la fête.

La musique du compositeur tchèque Leos Janacek (1854-1928), réputée difficilement abordable, est ici magnifiquement prenante. Elle est de surcroît servie par une excellente distribution (notamment Vincent Le Texier en Jaroslav Prus et David Kuebler en Vitek) et dirigée de main de maître par le tchèque Tomas Hanus.


"L'affaire Makropoulos", à l'Opéra Bastille à Paris. Les 4, 8, 11, 14, 16 et 18 mai. www.operadeparis.fr. Tél: 08.92.89.90.90 Caroline Mazodier