Laurence Parisot : "pour favoriser l'emploi des seniors, il faut repousser l'âge légal de la retraite"

La Tribune publie une interview exclusive de Laurence Parisot, président du Medef, à l'occasion de l'ouverture de la Convention annuelle de l'organisation patronale à Bruxelles, ainsi que "Cartes sur Table", le document de référence du Medef sur l'économie française et les réformes.

"Mettez un tigre dans l'offre France"! Après "Besoin d'Air", le livre-programme du Medef, c'est le nouveau slogan par lequel Laurence Parisot appelle, dans l'édition 2008 de "Cartes sur Table", qui sera distribué aujourd'hui lors de la convention annuelle de l'organisation patronale, à "structurer, fortifier, dynamiser, réinventer le potentiel économique de la France". En 90 pages, c'est la contribution du Medef aux réflexions pour relancer la croissance en France.

Dans son entretien avec les journalistes de La Tribune, Laurence Parisot estime que "Nicolas Sarkozy a mis la France en mouvement". Pour favoriser l'emploi des seniors, "il faut repousser l'âge légal de la retraite", demande-t-elle. Elle s'oppose au transfert des cotisations Unedic vers les cotisations retraites et revient sur toutes les réformes en cours.

Quel jugement portez-vous sur les huit premiers mois du mandat de Nicolas Sarkozy ?

Le fait majeur est que le président de la République et son gouvernement sont dans l'action. Nous nous étions endormis, ces dernières années, nous ne vivions plus au même rythme que le reste du monde. Nicolas Sarkozy a mis la France en mouvement puisque, dans de nombreux domaines, des transformations sont en cours pour nous moderniser et nous adapter. Mais si nous allons dans la bonne direction, il faut toutefois veiller à ne pas se priver de donner à chacune des mesures toute son amplitude. Je donne un exemple : la fusion entre les ANPE et les Assedic. Nous l'avons soutenue car c'est une excellente chose pour améliorer le marché du travail en France. Mais nous regrettons que dans la loi, il soit prévu que 10 % au moins des recettes de l'Unedic seront affectées aux frais de fonctionnement du nouvel ensemble. Pourquoi avoir fixé dès la loi un plancher de frais de fonctionnement alors que nous savons qu'un des défis que va devoir relever cette nouvelle entité est justement d'avoir un coût de fonctionnement moindre que le coût actuel des deux entités existantes ? Si nous sommes dans la bonne direction, ne nous arrêtons pas à 90 % du chemin, mais allons à 100 % pour favoriser l'impact significatif et rapide de la mesure engagée.

Les revendications salariales montent dans les entreprises. Quelle est votre réponse ?

Le problème du pouvoir d'achat est une vraie question, très angoissante pour beaucoup de familles françaises. Dans les années soixante, une famille française pouvait espérer en une génération voir son niveau de vie doubler alors qu'aujourd'hui, il faut au moins trois générations. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Le principal vient de la mise en place des 35 heures. Aujourd'hui, que se passe-t-il ? La rémunération moyenne des Français augmente, mais plus vite que la production, comme cela ne se voit dans aucun autre pays en Europe. Nous ne créons donc pas les richesses suffisantes pour soutenir cette augmentation des rémunérations. Deuxième constat spectaculaire : ces dernières années, et notamment depuis 2002, l'augmentation de la rémunération brute a été plus forte que l'augmentation de la rémunération nette. Si les Français voient leur pouvoir d'achat n'augmenter que très faiblement, voire stagner, c'est d'abord parce que les prélèvements obligatoires ont augmenté très significativement. Il faut prendre les choses à l'envers et d'abord créer plus de richesses, augmenter la production, avoir une croissance plus soutenue, et faire baisser significativement et durablement le chômage. Si l'on pense résoudre le problème du pouvoir d'achat en commençant directement par les salaires, on va fragiliser encore plus notre système de production.

Nicolas Sarkozy veut réserver les allègements de charges aux entreprises faisant des efforts sur la politique salariale. Soutenez-vous cette mesure ?

Dans certaines limites. Que les allégements de charges soient conditionnés à l'ouverture de négociations dans les branches ou dans les entreprises. Oui, cela me semble normal. Qu'en revanche elles soient conditionnées à la conclusion d'accords de branches ou d'entreprises, non. Je rappelle en effet que ces allègements de charges ne sont pas des aides, mais des indemnisations, et que chaque entreprise les a reçues pour compenser les pertes liées aux 35 heures.

Le chef de l'Etat souhaite la fin des 35 heures mais affirme que cette durée légale sera maintenue. Quelle est votre position ?

Je me réjouis qu'il souhaite la fin des 35 heures. Il est évident qu'il faut introduire de la souplesse dans le système, tout en respectant les positions des uns et des autres. La meilleure façon d'y parvenir à mes yeux, serait que la durée du travail soit déterminée par accord entre patronat et syndicat, soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de la branche. Je serais favorable à ce que nous ouvrions une négociation avec les organisations syndicales au niveau interprofessionnel pour déterminer les modalités possibles de cette approche pragmatique au cas par cas.

Le président de la République a souhaité que ce soit évoqué en même temps que la réforme de la représentativité. Qu'en pensez-vous ?

Tous ces sujets sont compliqués, et je pense qu'il vaut mieux traiter en premier la question de la représentativité. Je serais favorable à ce qu'ensuite, nous entamions une phase de délibération sociale sur la durée du travail. La méthode de la délibération sociale a fait ses preuves dans la réforme du marché du travail. Pourquoi ne pas l'utiliser de nouveau sur cette question très délicate et sensible qu'est la durée du travail ?

Donc, vous ne souhaitez pas que le gouvernement légifère sur la durée du travail pour l'instant ?

D'une manière générale, j'estime que, sur les questions économiques et sociales, plus nous pouvons avancer par discussions, voire par négociations et accords entre partenaires sociaux, et mieux cela vaut. Le gouvernement a sur cette question déjà levé des blocages, en favorisant les heures supplémentaires et le rachat des jours de RTT. Si nous voulons aller plus loin et aboutir à ce qu'il n'y ait plus une durée du travail uniforme, unique, tous secteurs confondus, il faut se donner le temps de la délibération.

Pourquoi, sur la représentativité, ne souhaitez-vous pas ouvrir le chantier de la représentativité patronale ?

Les deux questions ne sont pas symétriques. Le chantier de la représentativité syndicale a été ouvert parce que les organisations syndicales elles-mêmes l'ont demandé. Nous avons décidé ensemble, syndicats et patronat, d'ouvrir une négociation sur ce thème et ce, avant même que le gouvernement ne nous l'ait demandé. La question de la représentativité des organisations patronales ne se pose pas du tout dans les mêmes termes. Pourquoi ? Parce que le point de départ de la relation sociale est l'entreprise, et que dans l'entreprise, il peut y avoir une concurrence, et une pluralité de représentations syndicales, mais pas une concurrence, ni une pluralité de représentations patronales. Par ailleurs, l'appartenance aux organisations patronales n'est pas régi par des alternatives exclusives comme dans le monde des organisations syndicales. Ainsi, une très petite entreprise peut être à la fois adhérente de l'UPA par sa branche, et adhérente d'un MEDEF territorial par son engagement. Certaines fédérations professionnelles sont à la fois adhérentes à la CGPME et au MEDEF. Cela dit, nous sommes profondément démocrates avec les débats qu'il faut et quand il faut.

Pour financer la réforme des retraites, le gouvernement envisage d'effectuer un transfert des cotisations chômage vers les cotisations retraite. Etes-vous favorable à cette idée ?

J'y suis totalement opposée. Je vois tout l'intérêt qu'il y aurait à faire autrement, à montrer et à démontrer qu'un régime social peut être durablement équilibré. C'est cette position que je vais défendre, d'autant plus que nous savons que, nous ne résoudrions pas le vrai problème des retraites, quand bien même s'effectuerait un transfert des cotisations Unedic vers les cotisations retraite.

Cela éviterait de créer un prélèvement nouveau.

Là est le fond du problème : nous sommes au maximum de ce que notre pays peut accepter en termes de prélèvements obligatoires tant sur les entreprises que sur les salariés. Il faut donc trouver d'autres voies. La seule solution est de créer plus de richesses. Mais, on se l'interdit si l'on continue à raisonner comme ces dernières années.

Seriez-vous favorable à un transfert des cotisations sur la TVA sociale ?

Il ne faut pas écarter cette piste, mais je pense que nous nous enfermons dans une impasse si nous posons la question uniquement en termes de transfert. Il faut avoir un raisonnement dynamique, et non statique, et se demander ce qu'il faut faire pour créer beaucoup plus de richesses en France. Car c'est en créant beaucoup plus de richesses qu'on pourra augmenter les salaires et combler les déficits sociaux. La deuxième piste à explorer est la réduction des dépenses. Je préférerais que l'on travaille prioritairement sur ces deux pistes-là, quitte à se donner une feuille de route sur cinq ans pour booster la croissance par une politique de l'offre, qui stimule la production et nous permettra d'engranger des recettes supplémentaires.

Pour favoriser l'emploi des seniors, le gouvernement envisage d'instaurer un bonus-malus. Qu'en pensez-vous ?

Ne recommençons pas les erreurs du passé ! Le bonus-malus ressemble à ce qu'on appelait la contribution Delalande dont on a mesuré les effets pervers dans le passé. Avec ce dispositif, plus personne ne voulait embaucher des personnes âgées de plus de 45 ans car en cas de rupture, l'entreprise payait un malus. Pour encourager le maintien des seniors en activité, les directions des ressources humaines doivent engager une réflexion et faire évoluer les fonctions occupées par les salariés d'un certain âge. Ensuite, faisons le benchmark des situations européennes. Les pays ayant les plus forts taux d'activité des seniors sont ceux où l'âge de la retraite est le plus élevé ! Quand vous savez que la ligne d'horizon est tout près, la motivation faiblit. Donc, si nous voulons augmenter le taux d'activité de ceux qui sont aujourd'hui âgés de plus de 55 ans, la meilleure façon est de repousser l'âge légal de départ à la retraite.

Au-delà de 65 ans alors ?

Dans un premier temps, je souhaiterais qu'on cesse de considérer que cet âge légal de 60 ans est un symbole intouchable. Ce serait bien déjà de reconnaître qu'on peut partir progressivement à 62 ou 63 ans.

Etes-vous satisfaite de l'accord sur la modernisation du marché du travail ?

C'est un accord majeur parce qu'il établit une égalité entre l'employé et l'employeur. En cela, il est une véritable innovation dans la conception des relations sociales en France. Les quatre syndicats et même dans une certaine mesure la CGT et nous-mêmes, le patronat, avons adopté une attitude radicalement nouvelle dans cette négociation, celle du compromis à l'allemande. Nous renonçons à une part de nos demandes parce que nous considérons qu'y renoncer nous permet d'obtenir quelque chose de plus intéressant collectivement.

Etes-vous favorable à toutes les propositions du rapport Attali ?

Je crois qu'il faut continuer à réfléchir sur la question de l'immigration. Au Medef, nous sommes très favorables à la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne, en incluant les nouveaux entrants. Au-delà, il nous faut regarder ce qui s'est passé dans notre pays depuis vingt ou trente ans. Nous voyons bien que nous n'avons pas réussi pleinement l'intégration de plusieurs générations d'immigrants et que nous avons encore beaucoup de progrès à faire. Tant que nous n'avons pas résolu cette question délicate de l'intégration, il faut être prudent.

Que pensez-vous de l'affaire Société Générale ?

Sur l'affaire elle-même, je ne me prononcerai pas. Mais je suis très surprise des généralisations faites à partir de là pour désigner un bouc émissaire, le capitalisme financier. Je voudrais expliquer aux Français qu'il n'y a pas plusieurs capitalismes séparés, mais qu'il y a à l'intérieur du capitalisme une mosaïque de pratiques interdépendantes. Le capitalisme entrepreneurial ne peut pas fonctionner sans au moins un peu de capitalisme financier. De plus, à l'heure où le problème majeur est la survie de la planète, où les entreprises vont avoir un rôle décisif à jouer, où elles doivent innover, trouver de nouvelles technologies, créer et multiplier les énergies renouvelables, elles auront besoin d'investir massivement pour éviter la grande catastrophe, et elles auront besoin pour cela du capitalisme financier.

La crise ouverte par l'affaire de l'UIMM a-t-elle des répercussions sur la gouvernance du Medef ?

Ce qui s'est passé concernait une fédération professionnelle, et à aucun moment, je n'ai pensé qu'il y avait une crise qui nous concernait, nous. D'autant plus qu'au MEDEF, nous nous caractérisons par deux choses. Premièrement, notre gouvernance est démocratique. Je vous rappelle que j'ai été élue et je crois que dans peu d'institutions comparables existe un processus de sélection du représentant principal par des voix de façon aussi démocratique. Deuxième caractéristique, notre transparence financière est totale. Nous avons pu montrer, dès les premiers soubresauts de l'affaire UIMM, que nos comptes étaient publics, accessibles et très facilement décryptables. Il ne fait cependant aucun doute que cette affaire doit inciter toutes les associations représentant les entrepreneurs à adopter un comportement digne du monde d'aujourd'hui, c'est à dire ouvert, transparent, respectueux de tous nos interlocuteurs. Le patronat doit avoir un esprit face-book, participatif, communiquer, se raconter, accepter d'être en relation directe avec tout le monde, bref tout le contraire d'autrefois quand la règle était "pour vivre bien, vivons cachés".

Après l'affaire UIMM, êtes-vous favorable au projet de loi sur la certification des comptes des organisations ?

Oui. Le conseil exécutif a adopté en décembre 2007 la réforme de nos statuts, qui oblige toute association adhérente du Medef, fédération professionnelle ou Medef territorial, à présenter dès 2008des comptes certifiés. Je demande cette certification des comptes pour nous-mêmes, pour nos adhérents, pour les organisations syndicales, pour les ONG, pour les associations de consommateurs.

Quels sont les thèmes forts de votre Convention qui s'ouvre aujourd'hui ?

L'innovation majeure est que nous tenons une convention hors de France, à Bruxelles. Nous avons voulu montrer que la France a besoin d'air et doit s'imprégner de ce qui se passe hors de ses frontières. Nous avons aussi voulu donner un signal fort à l'égard des institutions européennes, à tous ceux qui depuis longtemps s'investissent sans compter et avec courage pour la construction européenne.

Qu'attendez-vous de la présidence française ?

La question du développement durable doit être une priorité. Je souhaiterais aussi qu'à cette occasion, nous montrions pleinement que l'Europe veut être un partenaire important de la mondialisation. Je voudrais que nous ayons une attitude extrêmement ouverte à l'égard du reste du monde. Ce serait également formidable d'aboutir à la négociation du cycle de Doha !

Allez-vous vous présenter à votre propre succession d'ici deux ans et demi ?

La réponse est plutôt oui, parce que j'estime qu'il y a beaucoup de choses à faire. J'ai mille idées pour nos entreprises et pour l'économie de notre pays. Mais cette question me semble prématurée. Je suis dans l'action au jour le jour et elle ne se posera que mi-2010...

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