1933-2013 : Quand Berlin regarde son histoire en face...

Commémorer l'arrivée d'Hitler au pouvoir, en janvier 1933 ? La ville de Berlin s'y est risquée, en organisant une série d'expositions et d'installations, sur la voie publique et dans des musées, sur le thème de la "Diversité Détruite". Une façon assez inédite d'inviter les Allemands à regarder leur histoire en face, à la fois individuellement et collectivement.
Porte de Brandebourg, Berlin, février 2013... (F.R.)

 Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler était nommé chancelier. L'une de ses premières décisions est de dissoudre l'assemblée et de convoquer de nouvelles élections. Elles se dérouleront le 5 mars, peu après l'incendie du Reichstag et seront la dernière consultation électorale libre en Allemagne avant la seconde guerre mondiale. Le parti national-socialiste (NSDAP) obtient 288 sièges sur 647 (contre 120 au SPD et 81 au Parti communiste). Ces élections fournissent l'occasion aux Nazis de lancer la « mise au pas » ou la « coordination » (Gleichschaltung) de tout le pays par le biais de manifestations menaçantes des SA et SS, de l'accrochage symbolique du drapeau à croix gammée dans les hôtels de ville, de la nomination imposée des chefs de la police et du maintien de l'ordre et de violences de toutes sortes contre les opposants, socialistes et communistes et contre les juifs...

Comment, en janvier 2013, l'Allemagne évoque-t-elle cet événement ?

Il faut aller à Berlin pour s'en rendre compte. La capitale allemande a en effet choisi de faire du 80ème anniversaire de l'accession de Hitler au pouvoir et du 75ème anniversaire des pogroms de 1938 (la nuit de cristal des 9 et 10 novembre 1938) son « Themenjahr », ou Thème de l'année. Partout dans Berlin se déroulent des expositions, installations, évènements, débats publics qui évoquent la prise de contrôle de l'Allemagne par des Nazis à partir de 1933 et la destruction systématique de Berlin comme capitale intellectuelle, scientifique et culturelle. Le titre sous lequel est regroupé cette initiative exprime assez bien l'idée centrale : Zerstörte Vielfalt, ou « la diversité détruite ». A la fin des années 20, Berlin est la troisième ville du monde par le nombre d'habitants, un haut lieu de la liberté d'expression, de la presse, avec de nombreux kiosques à journaux mobiles. C' était une métropole de la culture et de la science, le centre de recherche le plus actif du monde avec des institutions comme l'Université de Berlin, le collège technique de Charlottenburg, l'institut de recherche médicale La Charité, la Kaiser Wilhelm Society, où s'illustraient des chercheurs comme Max Planck, Albert Einstein, Fritz Haber, Otto Warburg, Otto Hahn, tous Prix Nobel, mais aussi la grande physicienne d'origine autrichienne Lise Meitner, élève de Max Planck et qui joua un rôle décisif dans la découverte de la fission nucléaire.

Mais Berlin était aussi la capitale européenne de la musique, avec huit salles de concert de plus de 1 000 places, deux opéras, cinquante orchestres symphoniques. On y croisait des compositeurs comme Arnold Schönberg, Paul Hindermith, Vladimir Vogel mais aussi des artistes en tournée comme Josephine Baker et Sam Gooding, le créateur de la fameuse revue Chocolate Kiddies, écrite par Duke Ellington. Même dynamisme dans le domaine économique. Siemenstadt, un quartier entier de Berlin qui abrite le siège de Siemens et les habitations des employés ( à la construction desquelles participa le grand architecte du Bauhaus,  Walter Gropius), est le symbole de la puissance et du rayonnement économique de la capitale de l'Allemagne.

A partir de 1933, la ville commence à se vider de ses talents qui sont contraints d'émigrer d'abord dans d'autres pays d'Europe, puis au fur et à mesure que les Nazis avancent sur le continent, beaucoup cherchent à traverser l'Atlantique pour rejoindre les Etats-Unis ou l'Aùérique Latine. En l'honneur des artistes, chercheurs, créateurs, écrivains, intellectuels qui ont dû fuir l'Allemagne dans les années 30, ou qui n'ont pas voulu ou eu le temps de s'échapper et qui l'on payé de leur vie, la ville de Berlin, dans le cadre de Zerstörte Vielfalt , a installé, en différents endroits sylmboliques de la ville comme la Porte de Brandebourg, des grandes colonnes, rappelant chacune la vie et l'oeuvre de ces symboles de la diversité. Certains sont très connus du public français comme Paul Hindermith, Lise Meitner, Walter Gropius, Robert Musil, Albert Einstein, Heinrich Mann, Hannah Arendt, Fritz Lang, Kurt Weill, Berthold Brecht, Walter Benjamin ou Erich-Maria Remarque. Au total, ce sont près de 300 portraits de femmes et d'hommes dont les Berlinois sont invités à se remémorer de l'influence qu'ils ont eue sur la science et la vie intellectuelle de l'Allemagne avant l'arrivée des Nazis.

Cette exposition pas tout à fait comme les autres permet de se rendre compte de l'intensité de la vie intellectuelle sous la République de Weimar, de prendre conscience du rayonnement considérable de la ville de Berlin, du centre d'attraction qu'elle constituait avant-guerre (même si on la surnommait Parvenupolis, en raison du nombre de nouveaux riches qu'elle engendrait...). Mais Zerstörte Vielfalt nous donne aussi une autre leçon : sans ses élites intellectuelles, sans ses créateurs, sans ses artistes, sans la liberté de créer, une nation est nue et elle devient la proie facile des dictateurs et autres psychopathes. Grâce à cet ensemble d'expositions et de panneaux d'information qui retracent la montée en puissance des Nazis entre 1933 et 1938, l'histoire descend dans la rue et chacun est invité à la regarder en face, sans éluder la moindre question. 

>>Retrouvez l'ensemble des articles du blog Un Voyage en Allemagne

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Commentaire 1
à écrit le 17/03/2013 à 7:44
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Loin de moi l'idée de défendre le régime nazi, mais la moindre honnêteté intellectuelle imposerait de mentionner l'évolution de la situation Allemande entre 1920 et 1933 ! Car cette évolution négative est la cause principale de l'arrivée de Hitler et...

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