2011 : le retour des vieux démons de 2008

Inflation, hausse galopante des prix du pétrole et des matières premières... le scénario de 2008 (à la veille de la crise) semble se reproduire en 2011. Avec, toutefois, quelques bémols au niveau de la valorisation des entreprises, toujours en retrait. Les anticipations des experts demeurent très mesurées.
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L'histoire se répète, disait Lénine. Faut-il voir dans les grandes tendances macroéconomiques du moment un mouvement parallèle à celui connu en 2008 ? Est-on en train de connaître le même scénario que celui qui a précédé la chute de la banque Lehman Brothers avec toutes les conséquences que l'on sait ? À en juger par une série de chiffres, on serait tenté de le penser : la croissance mondiale dépasse 4 % comme au premier semestre 2008 ; l'indice de confiance du monde des affaires se situe autour des 54 points, comme au début de 2007. Quant au volume du commerce international, il a dépassé son plus-haut de 2008, de même que la production industrielle. L'inflation mondiale, qui tutoyait 6 % en 2008, est, elle aussi, poussée à la hausse par les prix des matières premières, mais reste largement en deçà, à 3,5 %.

Pour autant, si la situation économique apparaît dans ses grandes lignes sur la même longueur d'onde qu'il y a trois ans, d'autres paramètres viennent troubler cet effet miroir. À commencer par la valorisation des entreprises, globalement encore très inférieure à celle de 2008, déjà en très nette baisse par rapport au pic de juillet 2007. Avec ce bémol : si en Europe, les indices boursiers n'ont pas encore retrouvé les niveaux enregistrés avant la chute de la banque américaine (hormis ceux de la place de Francfort), il n'en va pas de même aux États-Unis où le Nasdaq et le S&P 500 ont renoué avec les niveaux de 2008.

À la lumière de ces données, on pourrait en conclure que, cette fois, la crise a été absorbée, que les mesures contra-cycliques prises par l'ensemble des gouvernements de la planète ont évité les conséquences de la pire crise économique connue depuis la grande dépression de 1929. Il reste toutefois certains points noirs. Il y a d'abord le chômage mondial, dont le taux a surgi de quelque 5,5 % à la mi-2008 et à 8,5 % fin 2010. S'il est passé ces derniers temps sous la barre des 8 %, sa décrue est lente, trop lente.

Ensuite, la crise a bien rebattu certaines cartes. La zone euro, le poumon de l'Union européenne, traverse une crise de la dette souveraine qui met sa cohésion à rude épreuve. Malgré les aides et les plans d'austérité pour assainir les finances publiques, l'Europe est à la peine. Un problème que les États-Unis vont devoir aussi affronter. En outre, le rôle croissant des pays émergents sur la scène internationale, Chine en tête, les oblige à devoir s'impliquer dans la gestion des déséquilibres mondiaux - via le G20 -, tout en gérant leurs propres problèmes, comme celui d'une inflation galopante.

Des événements nuisibles

Enfin, deux événements sont venus rappeler la fragilité de cette reprise. Le premier n'est autre que le « printemps arabe », dont les aspirations encore très utopiques n'ont pas encore donné leurs fruits promis, loin s'en faut. Elles ont même créé des menaces comme celle d'un afflux massif de populations vers l'Europe et d'une hausse des prix du pétrole, dont la région est riche. Le deuxième est l'accident de Fukushima au Japon entraîné par un tsunami. Avec cette double menace : des conséquences majeures pour cette économie majeure et la remise en cause du développement du nucléaire à travers le monde. « Ces chocs ont tous, au moins à court terme, des conséquences négatives pour l'activité économique. Soit parce qu'ils perturbent la chaîne de production et d'échange. Soit parce qu'ils poussent à la hausse l'une des variables clés des équilibres économiques, à savoir le prix de l'énergie. Soit enfin parce qu'ils créent de l'incertitude, facteur d'attentisme pour les comportements des agents privés en termes d'investissement et d'embauche », rappelle Bruno Cavalier, chez Oddo Securities.

 

La trajectoire du baril de pétrole s'approche à nouveau de son plus-haut

Le parallèle est frappant, presque parfait. Sur les quatre premiers mois de l'année, l'évolution du baril de pétrole du panier de l'Opep de 90 à 120 dollars réplique le chemin parcouru en 2008, à quelque 10 voire 15 dollars de plus. Et la saisonnalité n'y est pas pour grand-chose, même si la demande de pétrole progresse en hiver en raison de l'utilisation de fioul pour le chauffage dans l'hémisphère Nord. En 2009 et 2010, les courbes avaient plutôt baissé. Les motifs de cette évolution parallèle sont aussi divergents. L'accélération de la demande constatée en ce début d'année, si elle est réelle, est nettement moins prononcée qu'en 2008. Elle est aussi moins forte qu'en 2010, année qui a scellé le redémarrage économique et industriel avec une violente reprise de la consommation de pétrole. Soit 3 millions de barils brûlés chaque jour en plus. Pour 2011, on anticipe une progression de 1,5 million de barils par jour. Les motifs de la hausse doivent donc être cherchés ailleurs. Les incertitudes géopolitiques, qui font craindre pour l'offre, en font largement partie. La politique monétaire très souple de la Fed aux États-Unis, qui injecte toujours plus de liquidités dans les circuits financiers, y contribue également. Si les raisons de l'envolée des prix semblent plus complexes qu'en 2008, le résultat est en revanche strictement identique. La hausse du pétrole est ainsi en train d'enrayer l'essor de la demande, et aussi d'entamer la croissance économique.

« Aux États-Unis, où le pétrole atteint 3,90 dollars par gallon, la consommation risque de chuter rapidement, d'autant que les salaires n'augmentent pas. Ou alors les consommateurs américains sacrifieront d'autres dépenses, ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour la croissance mondiale », assure Harry Tchilinguirian, responsable de la recherche sur les matières premières chez BNP Paribas.

Le jeu des banques centrales des émergents

Selon l'expert, l'évolution du baril de pétrole devrait largement dépendre, dans les prochains mois, de l'attitude des banques centrales des pays émergents. Si elles adoptent, à l'instar de la Chine, des politiques monétaires de plus en plus restrictives pour contenir l'inflation, l'envolée du baril devrait être bridée, puisque les économies émergentes représentent l'essentiel de la croissance de la consommation de pétrole. En revanche, en cas de politiques monétaires laxistes, le schéma de 2008 pourrait bien se reproduire. Mais en pire : avec un baril non pas à 148, mais à 160 dollars.


La création monétaire débridée alimente la hausse des prix partout dans le monde

En mars 2011, l'inflation mondiale a atteint + 4,7 % sur un an. C'est son plus haut niveau depuis l'été 2008 où, en glissement annuel, elle avait approché 6 % (5,5 % sur l'ensemble de l'année 2008). Si la hausse des prix est plus modeste qu'alors dans les pays de l'OCDE, elle est aujourd'hui au moins égale à celle de la moyenne de 2008 dans les grands émergents comme la Chine, l'Inde et le Brésil. Comme à l'époque, l'inflation est aiguillonnée par la progression des cours du pétrole et celle des matières premières, notamment agricoles (voir ci-contre). L'indice des prix alimentaires de la FAO, organisme dépendant de la Banque mondiale, signale même que la hausse actuelle est plus forte que celle de 2008 (ils ont progressé de 110 % par rapport à la période 2002-2004, alors que ce n'était que de 70 % au pic de l'été 2008).

L'inflation peut être déclenchée soit par une hausse de la demande, soit par une progression de la quantité de monnaie en circulation (des taux d'intérêt faibles). À l'évidence, les deux facteurs jouaient en 2008. Aujourd'hui, c'est plutôt le second qui opère, car la demande mondiale reste relativement modeste dans les pays de l'OCDE, qui constituent encore une part prévalente de l'économie mondiale, et elle a tendance à fléchir. Comme en 2008, la poussée inflationniste est suivie de près par les banques centrales, dont la mission est de préserver la valeur de la monnaie. Des quatre grands instituts d'émission mondiaux, seuls deux ont initié une remontée des taux d'intérêt, la Banque centrale européenne (BCE) il y a quelques jours et la Chine à plusieurs reprises, USA et Japon laissant leur politique très accommodante inchangée. Là encore, la situation ressemble à celle de l'été 2008. Tout début juillet 2008, Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, relevait ses taux d'intérêt en expliquant que la croissance allait s'intensifier, soutenue par l'investissement et la consommation... Quelques semaines plus tard, c'était la faillite de Lehman Brothers, qui déclenchait une crise financière sans précédent de mémoire d'homme.


Le risque de surchauffe alarme les marchés émergents

La thèse du « découplage » entre économies émergentes et pays industrialisés a vécu avec la grande récession de la fin des années 2000. Au printemps 2011, une nouvelle forme de « découplage » oppose certains économistes et de grandes institutions internationales à de nombreux opérateurs de marché : les premiers crient à la surchauffe des émergents et craignent un net ralentissement de leur croissance - voire une crise - liée à l'inflation et à une chute brutale du prix d'actifs financiers et immobiliers surévalués. Les seconds jugent en revanche que les gouvernements et les banques centrales, notamment dans les Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine), maîtrisent adroitement ce risque et que les marchés boursiers émergents sont amenés à poursuivre leur essor.

Canaliser l'inflation et la spéculation

La semaine dernière, l'écart entre la nervosité des uns et l'optimisme des autres était manifeste. Le Fonds monétaire international (FMI) s'est alarmé de l'afflux de capitaux vers l'Asie émergente, un « sujet d'inquiétude majeur ». Dans le même temps, l'indice boursier MSCI Emerging Markets a regagné son plus haut niveau depuis juin 2008. Selon Morgan Stanley Research, après s'être inquiété des risques géopolitiques et des pressions inflationnistes, le marché est à nouveau « bullish » : les flux de capitaux à destination des fonds investis en actions de ces pays ont bondi de 13,8 milliards de dollars au cours des cinq dernières semaines, portant les actifs gérés dans cette classe d'actifs au record de 749 milliards de dollars. Alors que les grands pays émergents ont pris des mesures pour canaliser inflation et spéculation, Ashley Davies, analyste chez Commerzbank, a indiqué jeudi à ses clients que le « marché chinois immobilier était certes exubérant mais ne constituait pas une véritable bulle ». « Il faut poursuivre la libéralisation des marchés de capitaux tout en maintenant une main de fer sur l'immobilier. Or c'est exactement l'approche qu'ont choisie les autorités » chinoises.

 

Une nouvelle flambée des prix alimentaires

Manger n'a jamais été aussi coûteux. C'est la FAO (Food and Agriculture Organization) qui le dit, en s'appuyant sur son indice des prix alimentaires qui a touché un record en février. La précédente crise alimentaire, entre fin 2007 et début 2008, avait néanmoins été plus aiguë. Le prix des denrées n'a pas brusquement bondi de 70 % comme il l'avait fait entre juin 2007 et avril 2008. Mais il était parti d'un niveau plus élevé. La demande croissante des pays émergents, notamment de maïs et de soja destinés à l'alimentation animale, ainsi que l'emprise progressive du secteur des biocarburants sur les terres arables contribuent à créer la rareté. La crise actuelle est aussi liée aux caprices de la météo en 2010, qui avait ravagé de nombreuses récoltes.

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