La Grande-Bretagne en avance sur l'Europe continentale pour sa réforme bancaire

L'Europe des banques est aussi diverse que son économie réelle. Expliquant que l'urgence de réformer le système bancaire n'est pas ressentie partout avec la même acuité.
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Grande-Bretagne

Étrange paradoxe : le pays de la City est devenu l'un des plus durs contre ses banques, l'un des rares à avoir choisi un changement profond pour ses grands établissements bancaires. Le gouvernement a décidé le mois dernier de scinder partiellement les grandes banques, en plaçant leur partie « casino » (la banque d'investissement) derrière une filiale « muraille de Chine » qui aura ses capitaux propres. La partie « réelle », les dépôts, serait ainsi mieux protégée en cas de crise sur les marchés. Il est vrai que les détails de cette réforme, qui n'entrera pas en vigueur avant 2019, sont loin d'être définis. Néanmoins, Londres est le premier État européen à avoir pris cette voie. Grâce, en particulier, à deux personnages : Adair Turner, le président de la FSA (régulateur britannique), a déclaré qu'une grande partie de l'activité de la City était « socialement inutile », et Mervyn King, le président de la Banque d'Angleterre, qui s'est dit surpris que la colère contre les banquiers ne soit pas plus forte. L'opinion est pourtant très remontée. Le sauvetage des banques a de fait coûté très cher aux finances publiques : 150 milliards d'euros, sans oublier les 450 milliards d'euros de garanties. Soit l'équivalent de 75 % du budget de l'État !

À cette exaspération de l'opinion est venu s'ajouter le calendrier politique. Pour les élections législatives de mai 2010, les conservateurs voulaient se détacher de leur image d'amis de la City. Parallèlement, les libéraux-démocrates préconisaient une séparation complète des banques. Aussi, le premier geste de cette coalition a-t-il été de mettre sur pied une commission d'experts indépendante, sous la présidence de l'économiste John Vickers, qui a remis son rapport le mois dernier, ouvrant la voie à une profonde réforme bancaire.

Espagne

Avec l'approche des élections législatives en novembre, la réforme du système financier espagnol a pris un tour beaucoup plus politique. Le Parti populaire (conservateur), qui avait d'abord soutenu le gouvernement socialiste en la matière, a d'abord critiqué le processus de recapitalisation imposé en 2011. Il promet aujourd'hui d'engager une profonde restructuration du secteur après les élections en cas de victoire. Le chantier a pourtant bien avancé, entre fusions, normes comptables et prudentielles plus exigeantes, sans oublier la recapitalisation forcée des caisses d'épargne, fortement exposées à l'immobilier. Quatre « cajas » ont été nationalisées et 7,5 milliards d'euros de fonds publics injectés. Le nombre de caisses est passé de 45 à 15. Cela ne devrait pas s'arrêter là, car une nouvelle vague de fusions est attendue dans le secteur privé et mutualiste.

Italie

« Les banques italiennes sont solides et disposent d'un niveau de capitalisation absolument adapté aux standards européens. » En fin de semaine dernière, le directeur général de la Banque d'Italie, Fabrizio Saccomanni, a tenu à rassurer les marchés sur la situation des instituts de la péninsule et n'a pas évoqué de réforme du secteur en perspective. D'ailleurs, la question de la séparation des métiers de la banque n'est pas sur la table. Ni sur celle des organes de régulation du secteur, ni même sur celle des politiques. Car, en Italie, conformément à une loi datant des années 1930, les activités ont été strictement séparées. Ce n'est qu'après une réforme du début des années 1990 que les banques italiennes ont pu élargir leurs activités. Si le secteur bancaire italien a si bien résisté à la crise de 2008, c'est parce qu'il est entré sur le marché des actifs à risque avec retard. Seul UniCredit, qui a beaucoup investi en Europe de l'Est, a un peu tangué. Aucune banque n'a eu besoin de recourir aux fonds publics. Du coup, la séparation des métiers de la banque ne fait pas débat.

Allemagne

Depuis la crise financière de 2008, les autorités allemandes sont intervenues à plusieurs reprises à la fois pour sauver des banques du pays et pour légiférer. Un fonds public a été créé en octobre 2008, le Soffin, pour venir en aide aux établissements bancaires en difficulté. Il pouvait offrir jusqu'à 480 milliards d'euros de garanties, dont 80 milliards d'aide financière, mais a été fermé fin 2010, toute sa dotation n'ayant pas été utilisée. L'essentiel de son activité a été de prendre progressivement le contrôle total d'Hypo Real Estate (HRE), la banque spécialisée dans les prêts immobiliers, qui sombra avec la crise de 2008 (elle contrôlait aussi la Dexia allemande, la Depfa). Mais la séparation des métiers de la banque fait peu débat en Allemagne, où les grandes banques de réseau - caisses d'épargne et banques mutualistes - ont historiquement « sous-traité » leur activité d'investissement à des entités juridiquement séparées, comme les Landesbanken par exemple. Il est intéressant de noter que cette séparation n'a pas empêché ces banques d'investissement de prendre des risques inconsidérés avec l'argent des déposants, ces derniers ayant besoin d'investir leur épargne dans des produits offrant de généreux rendements. D'ailleurs, en plein coeur de la crise, la Deutsche Bank, qui était peu présente sur le marché de la banque commerciale, a racheté la Postbank, numéro trois du marché des particuliers, pour rééquilibrer son modèle en adoptant le profil de... banque universelle !

Banques systémiques : les Suisses serrent la vis

Si le régulateur suisse exige déjà des ratios de fonds propres durs (Core Tier One) supérieurs à 7 % pour l'ensemble des établissements du pays, les plus importants d'entre eux se verront imposer des mesures plus contraignantes que dans le reste du monde. Le Parlement a voté la semaine dernière la loi sur les banques dites « Too big to fail ». Les deux grands établissements helvétiques, UBS et Credit Suisse, devront se doter d'un ratio de fonds propres durs à 19 % du total des actifs pondérés en fonction des risques. Une exigence bien plus sévère que celle prévue dans le cadre de Bâle III qui envisage un Core Tier One minimal compris entre 8 et 9,5 % pour les banques d'importance systémique. Julien Bonnet

Aux États-Unis, la réforme ne convainc personne

La loi Dodd-Frank ne va pas assez loin, selon les indignés de Wall Street. « Si vous voulez mettre des gens en prison, commencez donc par Barney Frank et Chris Dodd ! » Comme Newt Gingrich, les candidats à l'investiture républicaine pour l'élection présidentielle de 2012 ne se sont pas trompés de cible mardi soir, lors d'un débat consacré à l'économie et organisé par Bloomberg TV. Quelle belle occasion en effet de taper sur les deux élus démocrates à l'origine de la réforme de la régulation financière qui empoisonne depuis deux ans Wall Street. Et qui menace désormais d'affecter grandement les profits des principales banques américaines, avec l'entrée en vigueur en juillet prochain de la « Volcker Rule », cette mesure, dont le premier projet a été rendu public mardi, qui limitera à terme le trading pour compte propre.

Trahison

Quelques heures avant ce débat, un autre type de mécontentement s'était fait entendre. Celui du mouvement Occupy Wall Street, parti manifester dans le richissime quartier new-yorkais de l'Upper East Side où résident les grands banquiers de la place. Avec un slogan : « Les banques ont été sauvées, nous avons été trahis. » Coincé entre sa volonté de réformer le système et la nécessité de ménager le secteur financier qui contribue généreusement à sa campagne, Barack Obama tente désormais d'assurer le service après-vente de la réforme Dodd-Frank, que continuent de rédiger les régulateurs américains. La profession bancaire est toujours vent debout contre cette réforme, jugée inapplicable et lourde de menaces pour l'emploi, alors qu'une part croissante de l'opinion, y compris dans la frange la plus conservatrice, juge que le secteur financier n'a pas assez payé pour ses erreurs et regrette même qu'« aucun banquier ne soit allé en prison après la crise financière ».Jérôme Marin, à New York

Ni débats, ni remise en question en France

La Banque de France estime que le modèle tricolore est performant. Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, le répète à l'envi : le modèle de banque universelle des grandes banques françaises a démontré sa résilience face à la crise financière. Et la ministre du Budget, Valérie Pécresse, a réaffirmé mercredi « n'avoir aucun doute sur la solidité des banques françaises ». Ni les régulateurs ni les pouvoirs politiques, notamment le Parlement, n'ont jugé utile de lancer un débat de fond sur le fonctionnement des banques depuis la chute de Lehman Brothers. Parmi les travaux parlementaires, on peut cependant trouver une commission d'enquête à l'Assemblée nationale, présidée par Henri Emmanuelli, sur la « spéculation » ou une mission d'information au Sénat sur « la crise financière et bancaire en Irlande ». En revanche, pas de commission d'experts indépendants, ni de débats parlementaires sur la meilleure façon de réguler les banques.

Contrôle « plus intrusif »

Cependant, la loi « de régulation financière et bancaire » de 2010 a créé une nouvelle autorité de surveillance, l'Autorité de contrôle prudentiel, aux pouvoirs étendus et qui rassemble, sous une même autorité, le contrôle des banques, des assureurs et la commercialisation des produits financiers. De fait, le contrôle des services de la Banque de France est jugé « plus intrusif » que celui opéré dans d'autres pays, notamment en Grande-Bretagne, avec une vérification sur pièces des encours pondérés et de la qualité des fonds propres. Ainsi, les experts de la Banque de France peuvent inciter les banques à se séparer d'activités jugées trop risquées en exigeant davantage de fonds propres. Le régulateur table finalement sur les nouvelles contraintes réglementaires pour forcer les banques à modifier leur modèle économique, à réduire leur profil de risque, voire à alléger leur bilan. E. B.

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