Dans quelques années, quand on se retournera sur le quinquennat Macron, l'affaire Griveaux tiendra assurément une place de choix au côté de la non moins célèbre affaire Benalla. Toutes les deux, malgré leurs différences, ont en commun d'avoir suscité une déflagration au cœur même de la macronie. Toutes les deux ont également provoqué un emballement médiatique, laissant nombre de Français perplexes, entre sidération et amusement. Les futurs historiens pourront y trouver matière sur l'état d'esprit pour le moins embrumé des élites françaises face aux bouleversements du monde. Quelques heures avant le renoncement de Benjamin Griveaux à la course à la mairie de Paris, la macronie bruisse déjà de rumeurs. Entre les ministres, députés, et responsables LREM, les échanges par messageries et SMS fusent, annonçant à l'avance la mise à mort politique de l'intéressé.
Évidemment, les journalistes sont les premiers destinataires de ces messages issus du cœur du pouvoir : « Il va bientôt annoncer sa démission ! », nous déclare au téléphone un pilier de la campagne, le soir précédent l'annonce fatidique. Étrangement, dans l'adversité, les pro-Griveaux, comme les antiGriveaux, se retrouvent dans une unité qu'on pensait perdue au cours de ces municipales. Une unité de façade, bien sûr, laissant poindre, c'est selon, un certain esprit de vengeance - « c'est bien fait pour lui, c'était un mauvais candidat », nous lâche un supporter de Cédric Villani - comme une grande inquiétude : « Et si le président était en fait visé ? » se demande un autre militant. Le mot « déstabilisation » est alors sur toutes les lèvres. Et, comme souvent en macronie, on évoque rapidement l'existence d'un « complot ».
Rapidement, la personnalité de Piotr Pavlenski, l'activiste russe au cœur du scandale, est au centre de toutes les attentions. La radicalité de ce réfugié politique, opposant à Vladimir Poutine, tranche avec le pacifisme souvent porté en bandoulière par les plus jeunes députés ou élus LREM, cette « bienveillance » revendiquée par le futur président au cours de sa campagne. Son anarchisme brut de décoffrage issu tout droit du XIXe siècle russe les a particulièrement perturbés. Au point que le bruit a rapidement couru que toute cette affaire ne pouvait qu'être téléguidée par les Russes... Pour en rajouter dans la confusion, quelques heures plus tard, à la conférence de Munich sur la sécurité, le président français vise alors clairement la Russie qui, prévient-il, va « continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales. Il est désormais établi que la campagne d'Emmanuel Macron en 2017 a été la cible de hackers russes.
La crise existentielle de LREM
Mais cette déclaration est surprenante au regard du contexte diplomatique de ces derniers mois entre les deux pays. Le président français a en effet entamé un dialogue avec Vladimir Poutine. Le 9 mai prochain, il sera ainsi présent sur la place Rouge, pour les commémorations de la capitulation de l'Allemagne nazie en 1945. Dans une ambiance de paranoïa, certains proches du président pensent davantage à une opération venue de la France : « C'est encore un coup d'Alexandre Djouhri! [intermédiaire proche de la droite française poursuivi par la justice, actuellement en détention à Fresnes, ndlr] », avance l'un, sans apporter aucun élément de preuve. On se demande bien quel est le rapport avec les prochaines élections municipales... D'autres encore s'interrogent sur les messages Twitter d'Alexandre Benalla. Bref, comme lors de « l'affaire d'été » de 2018, chacun y va de ses hypothèses au sujet de l'affaire Griveaux et de son origine.
À quelques semaines des municipales, on ressent ainsi une très grande fébrilité au sein des rangs macronistes. Après trois ans au pouvoir, La République en marche est même tout au bord de la crise de nerfs. Comme si les difficultés politiques attendues fissuraient encore un peu plus l'unité autour du président. Lui est pourtant « anormalement zen », selon l'un de ses proches. À l'Élysée, le prochain départ du conseiller spécial Philippe Grangeon, proche de la CFDT, moins d'un an après son arrivée, inquiète « l'aile gauche » de la majorité, même si l'intéressé a expliqué qu'il s'agissait pour lui de se reposer. Dans ce contexte, l'Élysée a pesé de tout son poids pour propulser Agnès Buzyn, en pleine crise des hôpitaux et du Covid-19, comme candidate de remplacement à Paris. Un pari de la dernière chance ? « C'est un risque énorme de nationalisation du résultat, remarque un macroniste. Cela nous prépare un vrai big bang. »