Cela faisait des semaines que le microcosme politico-médiatique bruissait de rumeurs sur un « remaniement » ministériel tant annoncé par les observateurs de la cour. Comme à son habitude, Emmanuel Macron ne disait mot, et laissait ses soutiens s'écharper en coulisses pour ceux qui voulaient décrocher la timbale. Jouer avec le temps, c'est bien évidemment le péché mignon d'un président qui a su si bien, par le passé, le défier (avec sa victoire initiale en 2017). Aujourd'hui, il continue de s'en délecter comme pour mieux donner l'impression qu'il conserve le pouvoir en ce deuxième quinquennat, rappelons-le, sans majorité au Parlement. Alors que les soubresauts se sont multipliés ces derniers mois dans le pays (oppositions au projet sur les retraites, émeutes des banlieues...), et que la situation internationale est plus que jamais précaire, on cherche encore une vision pour la suite de l'histoire.
En ce mois de juillet, dans une capitale vide de parisiens déjà partis en vacances, on a donc assisté à un remaniement « technique », comme il était annoncé en « off » par les conseillers du président ces derniers jours. On pourrait même dire un remaniement managérial, loin des préoccupations des Français. Histoire de gagner du temps se dit le président, de conserver une carte ultérieure. Exit donc les mauvais élèves pour sauver les apparences (du type Pap Ndiaye ou Marlène Schiappa), et belle promotion des plus ambitieux pour mieux conserver leur « fidélité » (Comme Gabriel Attal qui décroche le mammouth de l'Éducation Nationale à 34 ans à peine, ou Aurore Bergé propulsée ministre des Solidarités, elle qui piaffait d'impatience depuis 2017 de récupérer un maroquin).
Au cœur de la macronie, ces dernières semaines ont pourtant été éprouvantes. En coulisses, les petits soldats du nouveau monde n'ont pas hésité à s'envoyer de nombreuses peaux de banane (notamment via les réseaux sociaux), avec pour résultat final de se disqualifier entre eux. Objectif atteint de l'Élysée : l'équilibre de la terreur continue de contenir les ambitions des uns et des autres. C'est ainsi que la campagne active de Gérald Darmanin pour atterrir à Matignon a fini par se fracasser sur l'inflexibilité présidentielle. Fin de non recevoir. Ces derniers jours, le ministre de l'Intérieur s'était pourtant démené : multiples coups de téléphone au « coach » Nicolas Sarkozy, et surtout deux rencontres confidentielles depuis la fin juin avec François Bayrou, le leader du Modem, pour s'assurer d'une arrivée confortable devant l'Assemblée. Las. Tous ses efforts n'auront servi à rien. De la même manière, les rêves d'alliance de Sarkozy entre LR et Renaissance se sont une nouvelle fois évaporés dans la brume, « l'état gazeux » du macronisme version 2.
De fait, les commentateurs, en particulier les chaînes d'info, ont eu bien du mal à trouver un storytelling politique pour accompagner ce remaniement « technique ». D'autant que l'Élysée n'y a pas mis du sien. Après un dîner à l'Élysée en présence de tous les anciens ministres pour confirmer Elisabeth Borne à son poste, le Château n'a pas voulu mettre en scène les nouvelles nominations et les départs. Résultat, dans les heures qui ont précédé l'annonce officielle du nouveau gouvernement (une annonce faite par communiqué, et non, comme le veut la tradition par une allocution sur le perron de l'Élysée du secrétaire général), c'est par la presse qu'on apprenait la nomination de tel ou tel, et souvent, ce sont les intéressés eux-mêmes qui ont confirmé aux journalistes leur statut. Cette impression de cacophonie est plutôt mal venue en ces temps déjà troublés. Là encore, on se demande : où va pouvoir aller le gouvernement d'Elisabeth Borne dans les prochains mois ? « Ce gouvernement ne passera pas l'hiver », commente, blasé, un ancien de l'aventure macroniste. Et on peine à trouver dans toute cette agitation un sens politique.
Deux nominations retiennent toutefois l'attention. Celle d'Aurélien Rousseau comme ministre de la Santé. Ce haut fonctionnaire, énarque et d'origine communiste (la petite originalité de celui qui a grandi dans le Gard), avait été propulsé directeur de cabinet de Borne depuis mai 2022. Chouchou du président, il est finalement l'ultime symbole d'une politique qui se recroqueville sur une posture technocratique. À sa décharge, Rousseau est sûrement très compétent (il fut notamment patron de l'ARS Île-de-France), et par ailleurs, il est peu dépaysé : sa femme, Marguerite Cazeneuve, cette ex HEC et McKinsey, ancienne conseillère à l'Élysée, et qui fut la coordinatrice du programme 2022 santé, protection sociale et retraites du candidat Macron, n'est autre que l'actuelle directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins à la Caisse nationale de l'assurance maladie. Par ailleurs, la belle mère d'Aurélien Rousseau est une ancienne haut cadre du laboratoire pharmaceutique Eli Lilly (elle a pris sa retraite en juin 2023).
Enfin, comme ministre de la Ville (rattachée à l'Intérieur), Elisabeth Borne a décidé de nommer une très proche du couple Macron, la députée marseillaise Sabrina Agresti-Roubache, cette co-productrice de la série télévisée « Marseille », qui a su ces dernières années mobiliser les réseaux de la cité phocéenne pour soutenir le président, saura, c'est une évidence, monter au front quand il le faudra. Bref, promotion des technos et snipers, voilà un bon résumé de ce remaniement... managérial.