Après des nuits d'émeutes, Emmanuel Macron a tenté de reprendre la main cette semaine sur le front de la communication. Mardi, alors que 250 maires étaient reçus à l'Élysée, le président a glissé qu'il n'y avait « pas de solution miracle ». Et d'expliquer qu'il n'était pas question d'un « quoi qu'il en coûte » pour les banlieues : « La santé est gratuite, l'école est gratuite, et on a parfois le sentiment que ce n'est jamais assez », affirmait Emmanuel Macron devant les élus locaux. Jeudi, alors que le calme était globalement revenu dans les « quartiers », le président s'est déplacé à Pau, dans le fief de François Bayrou, son « allié » au parlement depuis 2017. « L'ordre a été rétabli », s'est-il alors félicité. Devant les élus locaux, Emmanuel Macron a toutefois lancé : « J'ai besoin de vous ».
Le président a précisé ensuite sa pensée : « La réponse ne viendra pas du président ou du gouvernement. Elle viendra d'une capacité à mettre en vibrations le pays dans toutes ses strates ». Et d'évoquer une nouvelle perspective de décentralisation « pour éviter que ce soit « toujours sur [sa] pomme que ça retombe », tout en soulignant : « D'évidence, nous avons un problème d'autorité, qui commence par la famille (...) les politiques publiques ne peuvent pas tout prendre. C'est une culture profonde qu'il faut rebâtir ». Des propos dans la droite ligne de la loi contre le « séparatisme » de 2021.
Il est loin le temps où Emmanuel Macron tentait de séduire la jeunesse lorsqu'il était jeune ministre de l'Économie de François Hollande. Qui se souvient encore aujourd'hui du discours qu'il a donné, une semaine à peine les terribles attentats du 13 novembre 2015, à la cinquième université des Gracques, ce groupe de hauts fonctionnaires qui militait pour un rapprochement entre le centre-gauche et le centre-droit ? Alors que le pays est encore sous le choc, Emmanuel Macron promeut une lecture globale et pas uniquement sécuritaire, se différenciant de Manuel Valls et François Hollande : « Il y a un terreau que nous avons laissé constituer, et ce terreau, c'est notre responsabilité. Alors si la sécurité, la violence légitime de l'État, est évidemment la première réponse à apporter à ce qui s'est passé vendredi dernier - et notre devoir absolu, parce que c'est le mandat premier de l'État -, notre responsabilité est aussi d'accepter l'idée que nous avons une part de responsabilité, parce que ce totalitarisme se nourrit de la défiance que nous avons laissé s'installer dans la société (...) Nous devons reconnaître que lorsque nous avons accepté de ne pas voir, nous avons enfermé certains de nos concitoyens dans leurs propres difficultés, dans les murs qui s'étaient créés autour d'eux ».
Le jeune Macron évoque alors sa volonté de transformer la société pour permettre davantage de « mobilité sociale », et de pointer de nouveau « la responsabilité des élites », lesquelles devraient « accepter de laisser la place à d'autres, d'arrêter, de passer le relais, de laisser les plus jeunes, les plus en difficulté parfois dire et faire, changer cette société en l'ouvrant ».
Et Emmanuel Macron d'insister : « Nous sommes une société - et je le dis ici puisque nous sommes les premiers coupables collectivement -, nous sommes une société de plus en plus endogame, nous sommes une société où les élites se ressemblent de plus en plus, nous sommes une société où nous avons construit la capacité à fermer la porte ».
Près de huit ans plus tard, la porte a-t-elle été ouverte ? Les chiffres sont terribles. Les quartiers classés en « politique de la ville » sont passés d'environ 200 au milieu des années 1990 à plus de 1.400 vingt-cinq ans plus tard, malgré les promesses récurrentes de retour au droit commun. 8% de la population française y résident (et 13% des Franciliens).
En 1996, le « plan Marshall » pour les banlieues avait pour objectif de résorber la crise urbaine, multipliant zones franches et dispositifs dérogatoires qui ne devaient durer qu'un temps. Puis sont venus les programmes de rénovation urbaine engagés par Jean-Louis Borloo dans les années 2003-2004 qui vont changer la physionomie et la qualité des immeubles résidentiels, en améliorant aussi très sensiblement les équipements publics des quartiers défavorisés.
Mais ces politiques publiques ne parviennent pas pour autant à enrayer la concentration de la pauvreté dans les mêmes quartiers des principales conurbations françaises. Le bâti change, non la composition sociologique. A l'automne 2005, des centaines de quartiers sensibles s'embrasent à la suite d'incidents dramatiques survenus à Clichy-sous-Bois. Durant trois semaines d'émeutes, 10.000 véhicules et 230 bâtiments publics avaient été alors incendiés ou dégradés, 200 membres des forces de l'ordre blessés, 3.000 personnes arrêtées.
Avant les émeutes de la semaine dernière, tout le monde semblait l'avoir oublié. Et on a aujourd'hui le sentiment amer d'un éternel recommencement. Il y a dix huit ans, le président Jacques Chirac tenait à rappeler : « Je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines : ils sont tous les filles et les fils de la République. »
Marc Endeweld