
Malgré le tollé général, la Commission de Bruxelles reste droite dans ses bottes : « La décision a été prise. Nous ne voyons pas de raison de reconsidérer », a déclaré la porte-parole de la Commission européenne Dana Spinant à propos du recrutement par la Commission de l'Américaine Fiona Scott Morton, universitaire, lobbyiste et ancienne cadre de l'administration Obama, à un poste-clé pour la régulation des grandes entreprises de la tech. C'est en début de semaine qu'on a appris la nomination par le Collège des Commissaires européens de cette lobbyiste américaine qui a travaillé par le passé pour Amazon, Microsoft ou encore Apple. Son poste ? Chef économiste de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne.
En quelques heures, la nouvelle a provoqué un tollé. L'ensemble des eurodéputés de tout bord politique sont montés au créneau. Ces derniers pourraient créer une commission d'enquête sur le sujet ainsi que saisir la médiatrice européenne, Emily O'Reilly. En France, plusieurs ministres, dont la ministre des Affaires étrangères ont exprimé leur opposition à une tel recrutement qu'on doit à la fois à la Commissaire de la Concurrence, Margrethe Vestager, et à la patronne de la Commission, Ursula von der Leyen, dont le mandat arrive à échéance fin 2024 et qui aurait l'ambition de devenir la future secrétaire générale de l'OTAN.
Pour les services de Bruxelles, ce recrutement tombe au plus mal, alors que les prochaines élections européennes se profilent, et quelques mois après l'adoption par l'Union européenne du DMA (Digital Market Act) et du DSA (Digital Services Act) visant à encadrer les activités des géants du numérique. D'autant que Fiona Scott Morton avant d'être une universitaire est bien une lobbyiste qui a travaillé notamment pour trois cabinets bien connus à Bruxelles, Charles River Associates, dont elle a été salariée entre 2006 et 2011, mais aussi pour Bates White et Cornerstone. Cerise sur le gâteau : Scott Morton a également travaillé par le passé pour le Department of Justice (DOJ) américain.
Si la Commission décide pour l'instant de confirmer ce recrutement, le tollé est tel que rien ne dit qu'elle ne reviendra pas sur sa décision la semaine prochaine. En effet, en France, même le Medef a décidé de s'associer au front anti Scott Morton. Vendredi soir, dans un communiqué particulièrement salé, l'organisation patronale souligne avec pertinence : « Au-delà de sa nationalité, c'est le fait qu'elle ait auparavant travaillé pour des entreprises technologiques américaines, puis pour le department of Justice américain à la division antitrust, qui aurait dû pousser les services de la Commission à plus de prudence. » Et d'ajouter : « Le Medef souligne également que c'est le department of Justice qui, s'appuyant sur le principe contestable de l'extraterritorialité du droit américain, et sur la suprématie du dollar américain, a condamné un grand nombre d'entreprises européennes et françaises, au premier rang desquelles BNP Paribas ou Airbus, à de lourdes sanctions financières, tout en épargnant généralement les entreprises américaines. »
Dans son communiqué, l'organisation patronale, qui rappelle d'ailleurs que le Parlement européen vient de recruter un DRH britannique, n'hésite pas à attaquer d'une manière frontale la Commission de Bruxelles, soulignant qu'il « est regrettable de retrouver dans l'administration bruxelloise toujours autant de naïveté et d'indifférence, voire de mépris pour l'opinion publique européenne à quelques mois de futures élections majeures pour l'avenir de l'UE. » Naïveté, indifférence, ou plus précisément idéologie et choix de carrière ? Alors que les discours se sont multipliés depuis quelques années sur la nécessité d'une « Europe puissance » face à la Chine et les États Unis, cet épisode montre une nouvelle fois que Bruxelles est encore très loin d'avoir fait sa révolution culturelle.
Marc Endeweld.