Macron veut montrer qu'il poursuit les réformes, quoi qu'il en coûte. Lors d'une ultime séance d'une concertation entamée en septembre avec les partenaires sociaux, Elisabeth Borne a dévoilé mardi les arbitrages de l'exécutif pour "adapter" cette réforme suspendue depuis la crise Covid. Mais ces assouplissements n'ont pas suffi à convaincre les syndicats. "Ce ne sont pas les règles de 2019 qui étaient encore plus dures mais c'est une réforme qui va faire beaucoup de mal. C'est un choix politique pour faire la réforme pour la cocher mais ça paraît un peu hors sol", a critiqué à l'AFP Laurent Berger (CFDT).
Reconnaissant "des désaccords de fond", Elisabeth Borne a estimé avoir "maintenu le cap de la réforme, lutter contre la précarité et réduire les inégalités de traitement entre demandeurs d'emploi", alors qu'elle était interpellée à l'Assemblée nationale par plusieurs députés de gauche dénonçant une réforme "rétrograde".
Faire des économies
Décidée en juillet 2019 après l'échec d'une négociation sociale très encadrée par l'exécutif, la réforme visait à réaliser de 1 à 1,3 milliard d'économies par an en durcissant les règles d'indemnisation et en luttant contre les recours excessifs aux contrats courts, le tout dans un marché de l'emploi alors dynamique. Le principal aménagement introduit est le lien fait avec l'amélioration du marché de l'emploi, une clause de "retour à meilleure fortune" jugée "intelligente" par Eric Chevée (CPME).
Le durcissement de l'ouverture et du rechargement des droits (de 4 à 6 mois de travail sur les 24 derniers augmentés d'une période de neutralisation liée aux confinements) dépendra ainsi de deux indicateurs, appréciés à partir du 1er avril. Il faudra qu'il y ait à la fois une baisse du nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A de 130.000 sur six mois et 2,7 millions d'embauches de plus d'un mois sur quatre mois. Ce durcissement ne pourra donc être décidé qu'au plus tôt fin octobre, si la conjoncture le permet.
La dégressivité de l'allocation pour les hautes rémunérations (plus de 4.500 euros mensuels brut pour les moins de 57 ans) interviendra au 9e mois à partir du 1er juillet, délai ramené au 7e mois en fonction également des deux indicateurs cités.
Mais la disposition la plus contestée par les syndicats, la modification du calcul du salaire journalier de référence (base de l'allocation), entrera en vigueur dès juillet. Elisabeth Borne y voit "un enjeu d'équité" car l'indemnisation est actuellement plus favorable aux personnes alternant contrats courts et inactivité qu'à celles travaillant en continu. Le ministère reconnaît que plus de 800.000 futurs chômeurs auront une indemnisation mensuelle inférieure, en moyenne de plus de 20% selon l'Unédic, à ce qu'ils auraient touché avec les règles actuelles. Elisabeth Borne fait valoir que leurs droits seront inchangés car la durée d'indemnisation potentielle sera plus longue et un plancher a été introduit pour limiter la baisse maximale.
Cette modification permettrait de réaliser près d'un milliard d'euros d'économies en année pleine selon l'Unédic, dont le déficit (17,4 milliards en 2020) a explosé avec la crise. "Le report des autres dispositions sert à faire passer la pilule de la baisse de l'indemnisation", juge Michel Beaugas (FO). Denis Gravouil (CGT) dénonce un gouvernement "complètement déconnecté de la réalité" des précaires.
Les syndicats ont reçu l'appui inattendu de l'un des artisans de la réforme, Antoine Foucher, l'ex-directeur de cabinet de la ministre Muriel Pénicaud, qui dans un message sur Linkedin estime que "tant qu'on y voit pas clair sur l'état réel du marché du travail" cela "ressemble à un coup de dé".
Côté entreprises, le bonus-malus sur la cotisation chômage dans sept secteurs grands consommateurs de contrats courts, promesse de campagne d'Emmanuel Macron vivement combattue par le patronat, sera appliqué en septembre 2022 après une période d'un an d'observation du comportement des entreprises.
Alors qu'une mission IGAS-IGF doit rendre prochainement un rapport sur le sujet, "la ministre a évoqué en séance un élargissement possible du nombre de secteurs. Cela nous a surpris et sera un gros point de vigilance pour nous", a réagi Patrick Martin (Medef). Si les syndicats approuvent le bonus-malus, ils en relativisent la portée dans la mesure où une renégociation de la convention d'assurance chômage devra être lancée dès l'automne 2022. Et de prévenir qu'ils envisagent un nouveau recours au Conseil d'Etat sur le projet de décret qui sera publié en mars.
Les principales mesures de la réforme contestée
Ouverture des droits, calcul de l'indemnisation, dégressivité pour les cadres, bonus-malus... Les principaux changements dévoilés mardi par le gouvernement sur sa réforme de l'assurance-chômage.
Nouveau calcul de l'indemnisation
La modification du calcul du salaire journalier de référence (SJR, base de l'allocation) entrera en vigueur en juillet. L'exécutif défend "un enjeu d'équité" car l'indemnisation est actuellement plus favorable aux personnes alternant contrats courts et inactivité qu'à celles travaillant en continu, car elle est calculée en divisant les revenus par les seuls jours travaillés pendant la période de référence. La réforme initiale prévoyait que le SJR soit calculé en divisant les salaires perçus au cours des 24 mois précédant la situation de chômage, par l'ensemble des jours -travaillés ou non- entre le premier et le dernier jour d'emploi de cette période de 24 mois.
Mécaniquement, cela aurait baissé fortement le montant de l'allocation de ceux, souvent précaires, qui alternent contrats courts et chômage. Pour corriger le dispositif, le ministère a prévu un plancher garantissant une allocation minimale. Le nombre de jours non travaillés pris en compte sera plafonné à un maximum de 13 jours non travaillés sur 30. Le ministère a donné l'exemple d'une personne ayant travaillé huit mois sur les 24 derniers mois payée au Smic. Elle aurait bénéficié d'une allocation de 985 euros pendant huit mois avec les règles de 2017. Avec la réforme de 2019, elle aurait perçu 389 euros versés 24 mois. Avec la nouvelle version de la réforme, l'allocation serait de 667 euros versée pendant 14 mois.
Le ministère estime que "plus de 800.000 personnes" seraient concernées par une baisse du SJR par rapport au système de 2017. Mais il souligne qu'"elles vont arriver progressivement" au fur et à mesure des fins de contrat et que "les droits ne sont pas diminués" car ils sont ouverts "plus longtemps".
Pour qui et pour quand le bonus-malus ?
La réforme crée un "bonus-malus" sur la cotisation d'assurance-chômage payée par les entreprises de plus de 11 salariés dans sept secteurs grands consommateurs de contrats précaires (hébergement-restauration, agroalimentaire, transports...).
A partir du 1er juillet, le comportement des entreprises sera observé et le bonus-malus appliqué à partir de septembre 2022.
Pour ces entreprises, on calculera sur une année leur taux de séparation, soit le nombre de fins de contrats - CDI, CDD ou intérim - divisé par leur effectif. En fonction de la comparaison avec le taux médian du secteur, l'entreprise verra l'année suivante sa cotisation varier entre 3 et 5,05% de sa masse salariale, contre un taux de 4,05% aujourd'hui. Certains secteurs particulièrement touchés par la crise, comme l'hôtellerie-restauration, seront dans un premier temps exemptés.
Combien de mois de travail pour ouvrir des droits ?
La réforme prévoyait initialement de travailler au moins six mois sur les 24 derniers pour ouvrir des droits à l'assurance-chômage, au lieu de quatre mois sur les 28 derniers. Le seuil permettant un rechargement des droits, lorsqu'on travaille pendant sa période de chômage, a été aussi durci, passant d'un à six mois. Ce durcissement pénalisait particulièrement des jeunes ou des saisonniers qui multiplient les contrats courts (CDD ou mission d'intérim), souvent avec le même employeur qui les réembauche.
Il a été appliqué de novembre 2019 à juillet 2020 avant d'être en partie suspendu du fait de la crise (retour à 4 mois pour ouvrir des droits mais aussi pour les recharger).
Le gouvernement a annoncé mardi le maintien du seuil à 4 mois pour tous les demandeurs d'emploi tant que la situation économique est dégradée. Le durcissement de l'ouverture des droits de 4 à 6 mois se fera selon une clause de "retour à meilleure fortune" appréciée sur six mois à partir du 1er avril: il faudra qu'il y ait à la fois une baisse du nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A de 130.000 sur six mois et 2,7 millions embauches de plus d'un mois en cumul sur quatre mois.
Quelle dégressivité pour les cadres ?
Les salariés de moins de 57 ans qui avaient un revenu du travail supérieur à 4.500 euros brut par mois - soit environ 3.500 euros net - devaient voir leur indemnisation réduite de 30% à partir du septième mois. Alors que les offres d'emploi ont chuté pour les cadres, le gouvernement a décidé que cette dégressivité, qui aurait concerné 90.000 personnes par an, ne s'appliquerait qu'à partir du neuvième mois jusqu'au "retour à meilleure fortune". Comme pour l'éligibilité, le durcissement au 7e mois interviendra en fonction de l'amélioration des deux indicateurs cités.