« Il ne faut pas être bon garçon. Il faut être moins propre sur soi. Moi, je prends mon risque. » Mercredi, Bruno Le Maire déjeune avec une bonne trentaine de députés Renaissance réunis à la questure de l'Assemblée nationale et au sein du club Concorde, positionné à la droite de la majorité. « En politique, on existe quand on est attaqué, donc moi je me porte très bien depuis dix jours », poursuit, bravache, le ministre des Finances. Le matin, à l'occasion du petit déjeuner de la majorité à Matignon, il a déjà tenu à faire bonne figure: « Je ne joue à aucun jeu. Les deux choses qui m'empêchent de dormir en ce moment, c'est l'endettement du pays et son rapport avec les créanciers, ainsi que la guerre. »
Les jours précédents, Bruno Le Maire a été au cœur de l'orage. Emmanuel Macron l'a spectaculairement recadré. Lundi, le chef de l'État s'est exceptionnellement invité à la réunion hebdomadaire de coordination, qui réunit les principaux cadres de la majorité, comme l'a rapporté Le Figaro. « J'entends parler de PLFR [projet de loi de finances rectificatives]. Je n'en vois pas l'intérêt », a-t-il asséné, intimant à son camp de clore le débat sur la question des finances publiques, qui l'anime depuis leur brutale dégradation. Tous les présents comprennent qui la colère présidentielle foudroie ainsi. Le matin même, le locataire de Bercy a encore appelé Laurent Marcangeli, le président du groupe Horizons, pour le convaincre de la nécessité de passer par un tel texte en juillet, afin notamment de moins subir le chantage de LR. La veille, son conseiller parlementaire a envoyé un message à une poignée de députés et de collaborateurs pour relayer les arguments du ministre des Finances et les inciter ainsi à faire pression sur l'exécutif, comme l'ont révélé Les Échos: « Nous devons renouer avec ce que nous sommes et partir du réel. Être courageux et audacieux. Faire des économies, les annoncer et aller au Parlement en débattre. » Après le rappel à l'ordre du chef de l'État, Bruno Le Maire rentrera dans le rang : « J'ai proposé quelque chose. Je n'ai pas été suivi. Dont acte. »
« Il a ouvert le parachute »
Depuis sept ans, la relation entre le président et son ministre de l'Économie n'a jamais été simple à décrypter. Combien de fois l'entourage du premier a-t-il fait part de l'agacement de celui-ci à l'encontre du second ? Le second a, lui, toujours constaté que, malgré toutes ces médisances, le premier n'avait cessé de le renforcer dans ses habits de grand argentier au gré des remaniements. Jeudi, il a encore noté avoir eu droit à une attention présidentielle. À l'issue du dîner du travail organisé à l'Élysée avec le vice-Premier ministre de Singapour, auquel il participait (et d'une journée commune de déplacement en Dordogne), Emmanuel Macron l'a retenu pour partager en tête à tête un whisky avec lui. L'Ange et la Bête, c'est le titre qu'avait donné, en 2021, Bruno Le Maire au livre qu'il avait alors publié...
Le mois dernier, il en a sorti un autre, La Voie française (Flammarion). Est-ce à partir de là que tout a dérapé ? Au sein du gouvernement, dans la majorité, beaucoup n'ont pas compris à quel jeu le ministre des Finances s'était mis à jouer. Dans son ouvrage, il dénonce l'absence de volonté de s'attaquer à l'endettement, alors qu'il est aux responsabilités. Tandis que la perspective d'une dégradation de la France par les agences de notation se profile, il donne le sentiment de davantage penser à préserver son destin personnel. « Il a ouvert le parachute », constate un de ses ex-collègues. « J'ai l'impression de discuter avec Anne Hidalgo qui me dit que les trottoirs de Paris sont sales », lui lance un de ses amis, perplexe. En librairies, La Voie française ne convainc pas plus: il ne s'est vendu qu'à 1 400 exemplaires en deux semaines et demie.
« Du Mozart au tocard »
Pour Bruno Le Maire - 55 ans demain -, tout a-t-il désormais changé ? Aujourd'hui, à l'Élysée, on lui impute le décrochage sondagier enregistré par la liste de la majorité conduite par Valérie Hayer pour les élections européennes. « La séquence sur les finances publiques nous a abîmés collectivement, assène un proche du chef de l'État. On a perdu notre crédibilité sur l'économie. On est passé du Mozart au tocard. Bruno Le Maire a remis en question les fondamentaux du macronisme. »
Avec Gabriel Attal, ses rapports se sont spectaculairement dégradés. « Bruno Le Maire est celui avec qui cela se passe le mieux », se félicitait il y a un mois le Premier ministre. Le 9 mars, ils rentrent ensemble du premier meeting de Valérie Hayer à Lille. Dans le TGV, les rires fusent. Dorénavant, quand ils sont ensemble, on n'en entend plus. Le 4 avril, le ministre des Finances se voit interdire par Matignon de donner une interview à La Provence. Durant toute cette séquence, Gabriel Attal l'aura soupçonné de manœuvrer pour donner l'opportunité aux députés LR de faire tomber le gouvernement: un PLFR en juillet, comme le patron de Bercy le défendait, n'était-ce pas l'occasion rêvée pour eux de déposer une motion de censure ?
Qui en doute encore dans la majorité ? Bruno Le Maire est déterminé à jouer sa carte pour la présidentielle. Depuis quelques mois, discrètement, il s'y prépare. À la différence d'Édouard Philippe, il « ne croit pas à la longue marche ». C'est pourquoi le locataire de Bercy a toujours affirmé souhaiter demeurer en poste jusqu'en 2026. Est-ce encore possible ?