Château de Versailles : les adieux à la reine Pégard

EXCLUSIF - Alors qu'elle quitte demain la présidence du château de Versailles, Catherine Pégard nous y a reçus. Bilan d’une décennie fastueuse.
Pauline Delassus
Catherine Pégard dans la cour de Marbre, le 26 février.
Catherine Pégard dans la cour de Marbre, le 26 février. (Crédits : Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

Ce sont ses derniers jours au château. Et l'on sent qu'elle pourrait en pleurer. Douze ans et cinq mois de règne, un record. Pourtant, elle ne fut jamais chez elle à Versailles. Comment apprivoiser 800 hectares de splendeurs et d'Histoire ? Toujours, elle s'est répété : « Je ne suis que de passage. » D'ailleurs, elle se perd encore dans le dédale de salons et de corridors, de portes dérobées et d'escaliers secrets. « Même dans les jardins, je dois demander mon chemin ! » s'amuse-t-elle.

La voûte de la chapelle royale fut son chantier le plus spectaculaire

Ce 26 février, lundi pluvieux de fermeture au public, Catherine Pégard nous emmène faire un tour. Du pavillon Gabriel, aile Nord construite sous Louis XV, à la Galerie de l'histoire du château, enfilade de onze pièces tout juste repensée, retraçant les quatre siècles de la noble demeure. Dans le corps central, voici la chambre, le cabinet d'angle et la bibliothèque du dauphin, récemment restaurés, et un immense globe, une merveille que Louis XVI destinait à son fils. Chaque agent de sécurité croisé tient à saluer Madame Pégard ; il y a dans les sourires et les poignées de main un peu de tristesse et de solennité. Point de révolutionnaires aux grilles, mais il s'agit bien d'adieux. Pas rapides sous la voûte de la chapelle royale, qui fut son chantier le plus spectaculaire : quatre années de travaux, poursuivis même pendant la pandémie, engagés d'urgence tant l'état du chef d'œuvre de Jules Hardouin-Mansart inquiétait.

Les escarpins de la présidente grimpent quelques marches. C'est sur ce palier en entresol qu'elle a voulu nous emmener. Une porte s'ouvre sur une pièce minuscule, vide. Seul un ouvrier met un dernier coup de pinceau aux murs couleur crème. Une fenêtre, presque une lucarne, percée dans un vitrail, donne sur l'intérieur de la chapelle. « C'est dans cet oratoire que Mme de Pompadour, la maîtresse de Louis XV, pouvait suivre la messe sans être vue, explique Catherine Pégard. Je garde un souvenir extraordinaire de la première fois que j'y suis entrée. Cet endroit est un condensé d'Histoire. En s'y tenant, on imagine tant de choses. »

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 Aucune balade en solo

Il faut justement imaginer, dans cette niche commandée au roi par l'influente marquise, des rideaux de mousseline, du velours, un tapis en poil d'ours et un prie-Dieu rouge cramoisi. Un écrin aux airs de luxueuse chambre de bonne, insolite, conçu pour observer et se dissimuler. Une bonne planque, résumerait une journaliste... Ce n'est pas un hasard si l'ancienne plume du Point s'y est attachée. Elle dit : « J'ai l'impression d'avoir fait du journalisme à Versailles, en enquêtant de manière monomaniaque sur un seul sujet : le château. La curiosité et l'ouverture d'esprit propres à mon ancien métier m'ont été précieuses. Je suis arrivée en sachant si peu, les conservateurs m'ont tout appris. Il fallait que je sois capable de devenir la porte-parole de l'établissement. »

Sur les terres de la monarchie absolue, Catherine Pégard ne s'est jamais autorisé une balade en solo. Pas d'escapade nocturne dans la galerie des Glaces, ni de découverte en solitaire des appartements privés. « Par principe, je me le suis interdit », affirme-t-elle. Pendant le premier confinement, elle se promenait tout de même quelquefois dans les allées du parc. « La solitude était telle dans cette immensité... J'ai eu le cafard ! » Elle a un faible pour le décor des favorites, ces femmes aux destinées si romanesques. Elle évoque Mme de Maintenon bien sûr, l'ancienne gouvernante des enfants royaux, érudite et pieuse, que Louis XIV épousa clandestinement et dont la longévité à Versailles fut, à l'époque déjà, inégalée. Une exposition lui a été consacrée en 2019.

Château de Versailles : les adieux à la reine Pégard

La présidente du château de Versailles, au pavillon Gabriel. (Crédits : Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

Trois mandats prolongés de deux ans

La présidente rend aussi possible la visite de l'appartement de Mme du Barry, qui remplaça la Pompadour dans le lit de Louis XV. Ces quatorze pièces donnant sur la cour de Marbre sont refaites à neuf grâce au don du groupe Axa. La maison de la Reine, dans le hameau de Marie-Antoinette, rouvre ses portes, après une restauration financée par Dior. Ce qu'elle a contribué à faire ressusciter emporte son affection, elle qui, en trois mandats prolongés de deux ans sur décision de l'Élysée, a levé près de 150 millions d'euros auprès de mécènes. Elle a appris à convaincre les fortunés, trouvant pour chacun d'eux une raison de motiver leurs dons. Comment ? « En m'informant ! lance-t-elle. On apprend plein de choses en lisant les journaux. Il faut essayer de débusquer les goûts des uns et des autres. » À Bernard Arnault, l'un des plus généreux donateurs, elle ne peut rien apprendre sur Versailles. L'homme en est passionné et connaîtrait parfaitement les lieux.

À Johnny Depp, croisé perruqué et cigarette aux lèvres lors d'un tournage, elle propose un tour des salons de Louis XV. Au couple Kim Kardashian et Kanye West, impressionné par le faste, elle suggère une visite guidée, et insiste : ils n'auront que la permission de minuit. Parmi ses charges, il y eut la remise en état du bassin de Latone, une priorité comprend-elle à sa nomination, pour lequel elle sollicite la fondation suisse Philanthropia. Dix ans plus tard, celui d'Apollon s'abîme dangereusement. Pour cet élément central du jardin, elle pense à Rodolphe Saadé (propriétaire de La Tribune Dimanche), à la tête de CMA-CGM, société de transports maritimes. « Pour restaurer un bassin, cela avait un sens ! » glisse l'habile. Œuvre méconnue, le Buffet d'eau, fontaine en marbre voulue par Louis XIV à Trianon, rejaillit grâce à la Fondation Bru. Plus récemment, le styliste Simon Porte Jacquemus, après avoir organisé un défilé dans les jardins, s'est engagé à restaurer une partie des berges du Grand Canal.

Le secret de ma longévité ? Le travail, rien d'autre

Catherine Pégard

L'argent, le nerf de la guerre

L'argent, le nerf de la guerre à Versailles depuis Colbert... Le modèle économique du château repose sur la billetterie (plus de 550 millions d'euros en douze ans), le mécénat et les caisses de l'État, sollicité par exemple pour protéger du risque incendie les grands appartements. En novembre, la Cour des comptes a estimé que « l'organisation et le fonctionnement de l'établissement sont globalement solides mais perfectibles ». Le bilan est positif, la fréquentation ayant retrouvé son dynamisme d'avant Covid, soit 8,2 millions de visiteurs en 2023, pour un budget annuel de 120 millions d'euros. Les reproches de la Cour sont plus sévères concernant la filiale Spectacles, dirigée par Laurent Brunner, qui s'est vu accorder 10 millions d'euros par l'État pour affronter les contraintes liées à la pandémie. Dans leur rapport sur cette société, à qui il faut notamment attribuer le succès des Grandes Eaux musicales, Pierre Moscovici et la ministre Rima Abdul-Malak notent à l'époque « la persistance de dysfonctionnements de gestion » et la nécessité de « retracer précisément l'usage qui a été fait de cette subvention ». Mais la polémique se concentre sur la prolongation du dernier mandat de Catherine Pégard.

Château de Versailles : les adieux à la reine Pégard

Ci-contre, le château vu du parterre d'Eau. (Crédits : Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

Soupçons d'abus de pouvoir et de favoritisme sont évoqués quand, en octobre 2022, Emmanuel Macron la nomme par intérim à sa propre succession, alors qu'elle a dépassé la limite d'âge, fixée à 67 ans. Si la loi prévoit ce maintien en fonction « à titre intérimaire », la Cour des comptes a craint que les décisions de la présidente puissent « être contestées devant les tribunaux ». « Emmanuel Macron avait dans l'idée que je pouvais rester en intérim, je l'ai accepté, j'ai fait mon travail sans discontinuer jusqu'à la semaine dernière, se défend la concernée, bon soldat. La loi parle d'un prolongement "raisonnable" du délai. C'est le mot. À quel moment le délai n'est plus raisonnable ? C'est une question d'appréciation. » Elle confie tout de même qu'elle aurait préféré que « ça se joue autrement ». La période qui suit est inconfortable, la voilà cible en son palais. Être étiquetée favorite de la République l'a blessée.

 Un brin désabusée, lucide surtout

« Le secret de ma longévité ? Le travail, rien d'autre », assure celle qui a connu nos trois derniers présidents et qui - exploit ! - a plu de la droite à la gauche. Nicolas Sarkozy la nomme en octobre 2011, alors qu'elle fait partie de ses conseillers à l'Élysée. « Mais je l'ai rencontré bien avant, raconte-t-elle. En 1978, quand il était président des jeunes RPR de Neuilly et moi stagiaire au Quotidien de Paris. » Élu en 2012, François Hollande la reconduit sans hésiter. Joint, le président socialiste se remémore : « Je n'ai eu sur son travail que des retours positifs. Elle avait considérablement ouvert le château et réglé plusieurs problèmes. Les chiffres étaient bons. En somme, il n'y avait aucune raison de ne pas la confirmer. » En 2017, Emmanuel Macron décide lui aussi de la maintenir. Catherine Pégard a fait la connaissance de ce dernier dès 2007, quand le futur chef de l'État était membre de la commission Attali sur la croissance économique. Elle a sympathisé avec son épouse, Brigitte Macron, en 2014, « quand ils étaient à Bercy », précise-t-elle.

Ce lien amical noué avec la première dame lui vaut, à Paris comme à Versailles, quolibets et jalousies d'un autre temps. « Je connais Mme Macron, oui, répond-elle. Je la vois parfois, mais pas au château. Maintenant que j'ai dit ça, on peut sous-entendre beaucoup de choses... » Un brin désabusée, lucide surtout. Agacée que l'on fantasme tant de connivences. La résidence de la Lanterne, installée sur le domaine, où les présidents se retirent quand ils peuvent, à la manière des monarques d'autrefois, suscite le plus de rumeurs. « Personne ne me croit, mais je n'y suis allée qu'une seule fois, quand j'étais conseillère de Nicolas Sarkozy ! indique-t-elle. La propriété est gérée par l'Élysée, sa sécurité par le préfet. La présidente du château n'a aucune raison de s'y rendre. »

Son entregent, ce talent indéniable pour le réseau, lui vaut de savoir naviguer dans les eaux troubles du pouvoir

Reste que son entregent, ce talent indéniable pour le réseau, sans doute hérité de vingt-cinq ans de journalisme, lui vaut de savoir naviguer dans les eaux troubles du pouvoir, dont Versailles est un port d'attache. « Le château est l'un des lieux officiels de la République, confirme celle qui y a accueilli cinq visites d'État. Son activité ne s'est pas arrêtée en 1789. C'est une erreur de le cantonner au passé. » Elle se souvient de Vladimir Poutine, venu découvrir l'exposition consacrée à Pierre le Grand, à l'époque où il était encore possible de dialoguer sur « notre passé commun ». Cite avec fierté la transformation de l'Orangerie en centre de vaccination anti-Covid, à son initiative, exemple de ce qui lui a tenu à cœur : inscrire le château dans le présent et le tourner vers l'avenir. C'est lors de ces grands événements qu'elle s'autorise à prendre des notes. « J'ai écrit toute ma vie, à l'Élysée aussi, sans m'en cacher. Mais ici j'ai compris que je ne pouvais pas, je n'étais plus une observatrice. »

Versailles

 Catherine Pégard dans la Galerie de l'histoire du château. (Crédits : Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

Son logement de fonction, qui fut celui du surintendant Louvois, est installé dans l'aile des Ministres et permet de recevoir mécènes et collaborateurs. Les meubles qu'elle a choisis proviennent des réserves du château - « sauf le lit ! » - et forment un ensemble bourgeois, « ambiance manoir de campagne », juge-t-elle : « Je ne voulais pas que ça fasse Versailles. » Elle en rendra les clés ce lundi 4 mars, jour de prise de fonction de son successeur, l'historien d'art Christophe Leribault, jusque-là directeur du musée d'Orsay. Jour historique de surcroît qui verra le Congrès se réunir au château pour entériner l'inscription de l'IVG dans la Constitution. L'organisation des épreuves d'équitation des JO attend aussi le nouveau président. C'est dans la presse que Catherine Pégard a appris son remplacement, l'information ayant fuité avant qu'Emmanuel Macron ne la prévienne personnellement. « Mon départ n'est pas une sanction, dit-elle. Pour certains, j'ai déjà été trop longtemps là. Il faut bien que cet intérim ait une fin. Il n'y a rien de brutal, mais je me sépare de ce que j'ai aimé. » Sa vie d'après ? À Paris, où elle a conservé une adresse. Retrouver l'écriture, peut-être. Une certitude : « Je suis incapable de rester sans rien faire. »

Le successeur

C'est un professionnel de la culture, au CV impressionnant et au profil plus classique que sa prédécesseure. Conservateur général du patrimoine, docteur en histoire de l'art, Christophe Leribault était depuis 2021 président des musées d'Orsay et de l'Orangerie, où on lui doit le succès des expositions Edvard Munch et Van Gogh.

À 60 ans, ce spécialiste de la peinture et du dessin des XVIIIe et XIXe siècles a aussi dirigé le Petit Palais ainsi que le musée Delacroix

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Pauline Delassus
Commentaire 1
à écrit le 03/03/2024 à 22:20
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Présidente ou reine? Jusqu'ici, on n'avait ni présidente ni reine, sauf la Reine d'Angleterre. Peut-être aurons nous, un jour, UNE Président de la république (bananière); nous avons progressé avec Une Premier Ministre et UNE Président de l'Assemblée ...

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