Comment la crise a chamboulé l'activité et l'organisation des entreprises

Fermetures administratives, chute abyssale du chiffre d'affaires, mesures d'urgence, nouvelles offres commerciales, numérisation, télétravail... dans une vaste enquête menée auprès de 50.000 dirigeants, l'Insee dresse un panorama instructif des conséquences de la pandémie sur l'activité et l'organisation des entreprises depuis le premier confinement.
Grégoire Normand
Sans surprise, la décision de fermeture administrative a frappé en tout premier lieu les restaurants: 86% avaient fermé leurs portes au printemps.
Sans surprise, la décision de fermeture administrative a frappé en tout premier lieu les restaurants: 86% avaient fermé leurs portes au printemps. (Crédits : Benoit Tessier)

La propagation du virus a bousculé profondément l'organisation de milliers d'entreprises en France. En seulement quelques jours, beaucoup de dirigeants ont dû baisser le rideau de leur société et des millions de salariés ont basculé en travail à distance, souvent dans la précipitation et l'impréparation. Dans une étude publiée ce jeudi 10 décembre, l'Insee revient en détail sur les répercussions importantes du confinement sur l'activité au travers d'une large enquête réalisée à l'automne auprès de 50.000 entreprises. "Un tiers des sociétés a fermé pendant le premier confinement. Une minorité de sociétés a alterné entre des ouvertures et des fermetures. Les résultats de l'enquête sont une photographie à l'automne. Si on refaisait l'enquête maintenant, les résultats seraient encore différents", a expliqué Sylvain Moreau, directeur des statistiques d'entreprises à l'institut public lors d'un point presse.

La dégradation de la situation sanitaire à l'automne et la saturation des services de santé ont obligé le gouvernement à mettre en oeuvre de nouvelles mesures de restriction (couvre-feu, confinement, limitation des déplacements) qui devraient avoir un impact moins sévère que le premier confinement du printemps. Beaucoup d'entreprises se sont adaptées en développant par exemple le click and collect, et les salariés avaient déjà eu l'expérience du télétravail. Cet "effet d'apprentissage" devrait limiter les dégâts sur l'économie au dernier trimestre.

Les petites entreprises plus touchées par les fermetures

La mise sous cloche de l'économie tricolore n'a pas eu les mêmes conséquences selon la taille et le secteur des entreprises. En effet, les fermetures ont principalement concerné les établissements de moins de 50 salariés (36% contre 20% pour les entreprises de plus de 50 salariés). Le contraste est encore plus saisissant pour les firmes de plus de 250 salariés. Ainsi, seules 13% d'entre elles ont connu des fermetures.

Par secteur, ce sont les entreprises qui nécessitent des interactions physiques ou sociales qui ont été les plus durement frappées. Sans surprise, la décision de fermeture administrative a frappé en tout premier lieu les restaurants: 86% avaient fermé leurs portes au printemps.

Viennent ensuite les hôtels (68%), les services à la personne (56%) ou les activités culturelles ou récréatives. Dans le commerce de détail, les fermetures sont moins répandues (35%), même si beaucoup de commerçants jugés "non essentiels" ont été obligés de fermer.

Dans l'industrie (26%) et les transports (19%), les fermetures étaient bien moins généralisées. En revanche, la construction a subi de plein fouet le confinement avec 52% des établissements fermés.

Au total, 57% de jours de fermeture en moyenne ont été comptabilisés par les services de l'Insee.

Des pertes d'activité abyssales dans certains secteurs

Le tableau précis dressé par l'institut de statistiques permet de se faire une idée de l'ampleur du choc subi par les entreprises au printemps.

"Lors du premier confinement, un tiers des entreprises ont connu une baisse d'activité supérieure à 50%", a déclaré Sylvain Moreau, et 80% des entreprises interrogées déclarent avoir enregistré une diminution de l'activité comprise entre 10% et 50%.

"Les sociétés de 10 à 49 salariés sont les plus touchées par cet effondrement de l'activité (36% ont connu une baisse supérieure à 50%, contre 28% pour celles de 250 salariés ou plus). De même, certaines activités ont été plus touchées que d'autres : l'hébergement et les activités culturelles (avec une perte d'activité de plus de 50% pour plus de 7 sociétés sur 10), de même que la restauration", indiquent les auteurs de l'étude.

Interrogées en septembre avant le second confinement, les entreprises étaient déjà guère optimistes sur l'avenir. Les dirigeants anticipaient une baisse du chiffre d'affaires de l'ordre de 10% au cours du second semestre malgré le très fort rebond de l'économie au troisième trimestre (18,7%). Le moral était au plus bas dans l'hébergement (-40%), dans les activités culturelles (-30%) et  dans la restauration (-23%).

Une chute impressionnante de la demande

Cette maladie infectieuse a provoqué un choc sur l'offre mais également sur la demande. Ainsi, deux tiers des entreprises ont signalé une chute de la demande pendant le premier confinement.

Outre la demande empêchée par la fermeture de nombreux commerces, la dégradation de la situation économique devrait peser sur la consommation des ménages, notamment chez les plus modestes. En effet, de nombreux travaux et études ont montré que ce sont d'abord les familles situées en bas de la distribution des revenus qui ont été les plus affectés par la récession alors que ce sont eux qui ont la plus forte propension à consommer.

À l'inverse, les ménages situés en haut de l'échelle ont subi de moindres pertes de revenus et ont accumulé une montagne d'épargne comme le rappelait une note du conseil d'analyse économique publiée en octobre.

> Lire aussi : La consommation à nouveau menacée, l'épargne au sommet pour les plus aisés

4 entreprises sur 5 ont recouru aux mesures d'urgences sanitaires

Prêts garantis par l'État, chômage partiel, fonds de solidarité, moratoire sur les échéances fiscales et sociales... face au marasme, le gouvernement a déployé un arsenal de mesures d'urgence pour tenter de préserver le tissu productif tricolore. Selon l'enquête menée par l'organisme de statistiques, environ 4 entreprises sur 5 ont eu recours aux différents dispositifs mis en œuvre par l'exécutif.

"Quelle que soit l'activité, au moins les deux tiers des sociétés y ont recouru, avec un pic pour la restauration (97%), le commerce et la réparation automobiles (96%), l'hébergement (95%) et les activités culturelles et récréatives (94%) ; seule l'énergie fait exception (36%)", précise l'Insee.

Alors qu'il avait été très peu utilisé au cours de la précédente crise économique mondiale, en 2008-2009, le chômage partiel a été largement déployé cette année. 70% des entreprises déclarent avoir eu recours à l'activité partielle.

Les demandes adressées à l'Urssaf pour le report des échéances sociales ont également décollé (51%). Enfin, les demandes de prêts garantis par l'État concernent 41% des répondants. Les entreprises de moins de 250 salariés ont eu plus souvent recours à tous ces dispositifs que les entreprises de taille intermédiaire ou les grandes entreprises.

La crise a obligé les entreprises à modifier leurs offres

La pandémie a bouleversé les stratégies d'entreprises en matière d'offre commerciale ou de logistique.

"20% des sociétés ont modifié leur offre de produit. Généralement, cela passe par du téléenseignement, ou de la vente à emporter dans la restauration, par exemple. Près de 50% des entreprises qui ont proposé de nouveaux produits ont adopté des systèmes de commercialisation sur internet" a affirmé Sylvain Moreau.

Et ces changements pourraient avoir des conséquences structurelles à plus long terme. "Près de 62% des entreprises qui ont modifié leur offre pendant le confinement déclarent qu'elles vont poursuivre après le confinement", a-t-il ajouté.

Les consignes sanitaires ont engendré des coûts directs et indirects

La crise sanitaire a obligé les entreprises à mettre en oeuvre des protocoles relativement stricts pour tenter d'endiguer la propagation du virus et éviter les foyers de contamination.

La multiplication de tous ces dispositifs a entraîné des coût directs liés à "l'achat de gel, de masques, de plaques en plexiglas. Ces coûts directs sont différents en fonction des secteurs. Il y a également des coûts indirects liés à l'accueil limité du public ou le nombre d'ouvriers ou d'employés sur site", a expliqué le statisticien.

Au final, 44% des sociétés interrogées ont mis en œuvre des mesures de gestes barrières. En moyenne, les dirigeants estiment "à 3% du chiffre d'affaires le coût direct des achats de masques, gel hydroalcoolique, etc. Ces coûts atteignent 5% dans l'hébergement, la restauration ou les activités relatives à la santé humaine".

Montée en puissance du télétravail

La mise sous cloche de l'économie a entraîné une montée en puissance du travail à distance pour des millions de salariés.

"L'organisation du travail a été modifiée en profondeur. Moins d'un tiers des salariés ont continué à travailler sur site pendant le premier confinement hormis quelques secteurs comme l'agroalimentaire. À l'issue du premier confinement, un tiers des entreprises ont déclaré vouloir poursuivre le télétravail", a indiqué Sylvain Moreau.

"Il s'est surtout imposé dans les grandes sociétés et dans les services, qui nécessitent moins un travail en présentiel : information et communication (64%), activités de conseil (53%), enseignement (35%). En revanche, il est demeuré marginal dans la plupart des activités industrielles ou de services à la personne", signalent les statisticiens.

La recrudescence du virus à l'automne et la peur d'une troisième vague, en attendant l'arrivée du vaccin en France, pourraient conforter certaines entreprises et beaucoup de salariés de continuer en télétravail.

> Lire aussi : Télétravail : quel impact économique et social ?

Grégoire Normand
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