Pourquoi le télétravail obligatoire est un véritable risque psychosocial

OPINION. Pour contrer l'épidémie, le gouvernement préconise le « télétravail à 100% pour tous ceux qui le peuvent ». Mais face à cette injonction, la situation des personnes « éligibles » n'est pas homogène et mérite d'être évaluée. (*) Par François Cochet, Président de la Fédération des Intervenants en Risques Psychosociaux (FIRPS), Directeur des activités Santé au travail de SECAFI.
(Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Une proportion significative de salariés est très favorable au télétravail. Examinons les raisons invoquées. D'abord les transports lorsqu'ils sont longs et coûteux, d'autant que le masque accroît leur pénibilité. La crainte de la contagion est plus ou moins forte selon les personnes, celles réputées « à risque » ont pris la pleine mesure de leur situation, ainsi que les salariés qui cohabitent avec elles.

Il existe ensuite de moins bonnes raisons à la préférence pour le télétravail. Derrière la proximité potentiellement contagieuse des collègues, il y a le bruit qui empêche de se concentrer. C'est donc aussi pour fuir la promiscuité des open-space et l'impossibilité de se concentrer que nombre de salariés « préfèrent » le télétravail. Enfin, et ce n'est pas anecdotique, c'est également parfois pour fuir leurs collègues ou leur management que certains salariés apprécient de rester à la maison. De ce point de vue, la préférence pour le télétravail est parfois le reflet inversé de l'ambiance de travail en présentiel.

Le gouvernement a stigmatisé un peu vite les employeurs réticents à imposer le télétravail à 100%. En réalité, une partie significative des travailleurs déteste le télétravail pour des raisons toutes aussi recevables que celles qui poussent les autres à le plébisciter.

La première cause de ce rejet, reflet des inégalités sociales face au logement, est l'impossibilité d'aménager un espace de travail correct à leur domicile. Mais d'autres causes sont tout aussi légitimes. Pour les personnes isolées dans leur vie personnelle, les relations avec les collègues sont essentielles. Et beaucoup d'entre eux ne vont pas bien. Tous les spécialistes de la santé mentale ont alerté sur les effets du premier confinement. Tous constatent aujourd'hui que la situation se dégrade encore plus rapidement cet automne. Toutes les recherches confirment que la pandémie a un « impact dévastateur » sur la santé mentale comme l'OMS l'a déclaré.  Une étude récente du cabinet GAE (*) a montré l'accroissement des risques d'addiction en situation de télétravail : tabac, alcool, substances, dégradation de l'alimentation et réduction des pratiques sportives.

Les ergonomes pointent aussi d'autres risques sur le travail lui-même et sur les compétences. Résoudre chaque difficulté mineure dans le travail prend plus de temps alors que la proximité permet d'obtenir l'aide immédiate d'un collègue, en particulier pour les fonctions non cadres. Certains se noient dans le travail qui envahit toute leur journée. Mais combien de témoignages  évoquent également pour d'autres la « difficulté à s'y mettre » et à avancer vraiment dans leurs tâches pour nombre de télétravailleurs. La préférence pour les tâches routinières est encouragée, alors que la créativité et l'innovation ont besoin de la confrontation permanente aux autres.

Une condition indispensable au télétravail est l'autonomie. Dans ces situations, les moyens d'agir pour l'encadrement à distance sont limités. Une faible ou sur productivité est difficile à identifier, les actions possible pour rectifier sont limitées. Les inquiétudes des employeurs sur la productivité ne sont pas une lubie. Et, pour les travailleurs, passer de longues heures en télétravail en finissant leurs journées avec le sentiment de n'avoir pas avancé est un risque psychosocial majeur. Le travail perd de son sens jusqu'à pouvoir devenir  un objet de honte. L'inquiétude sur ses propres performances est aggravée par le contexte de restructurations : si je n'y arrive pas, serais-je le premier sur « la liste » ? Enfin, et a contrario de la situation précédente, il existe aussi un frein puissant au télétravail dans les entreprises où les conditions de travail sont agréables, où l'ambiance de travail est bonne et favorable à la coopération et à l'entraide, là où les collègues constituent une ressource essentielle pour bien travailler.

Le gouvernement a mis en scène son dilemme comme un choix entre risque sanitaire et risque économique. Mais il y aussi un choix à faire entre deux risques sanitaires : d'une part la Covid et, d'autre part,  les effets psychosociaux délétères du télétravail à 100 % pour une partie des salariés.

Des arbitrages fins, prenant en compte la singularité de chacun, examinant chaque situation de travail, mesurant la disparité des aspirations individuelles et des avis qui diffèrent, non par caprice mais pour de bonnes raisons, ne pourront se mettre en place qu'en faisant confiance au dialogue social sur le terrain. Les partenaires sociaux doivent fixer des règles protectrices autant pour ceux qui souhaitent télé-travailler que pour ceux qui s'y refusent.

(*) Étude Odoxa pour GAE Conseil «  Impact du télétravail sur les pratiques addictives des Français en entreprise »parue en novembre 2020.

télé

Lire aussi : Comment encourager le travail collaboratif aux temps du télétravail

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Commentaires 3
à écrit le 26/11/2020 à 8:47
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Non ce n'est pas ça, les médias de masse afin de manipuler les citoyens que nous sommes imposent les phénomènes sous forme binaire, soit il faut être pour, soit il faut être contre éliminant toute nuance or votre article est nuancé demandant de faire...

à écrit le 25/11/2020 à 19:07
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Le bilan actuel du coronavirus est de 1 412 949 morts, souvent décédés, malgré les efforts des soignants, dans des conditions épouvantables de souffrance physique et morale (isolement). Parmi les guéris, certains garderont des séquelles graves, notam...

le 26/11/2020 à 9:47
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"Tom Goldschmidt, Bruxelles" Juste un secrétaire de Rédaction chez RTBF ,tu parles

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