Covid-19 : ce que proposent les économistes face au cataclysme

Par Grégoire Normand  |   |  2106  mots
(Crédits : Reuters)
Plan de relance, annulation des créances fiscales et sociales pour les entreprises en grande difficulté, accompagnement renforcé des personnes non éligibles à l'assurance-chômage...lors d'un séminaire la semaine dernière, plusieurs économistes et chercheurs du conseil d'analyse économique (CAE) ont fait de multiples propositions pour limiter la casse économique et sociale provoquée par la pandémie.

Plan de relance, mesures de soutien aux entreprises et aux ménages, garanties de prêts bancaires par l'Etat, assurance-chômage....l'expansion de la crise du coronavirus donne du fil à retordre aux économistes. La combinaison d'un choc d'offre et d'un choc de demande bouscule les modèles des statisticiens et les réponses à apporter pour tenter de limiter la casse économique et sociale. Les organismes de statistiques bouleversent leurs méthodes et leurs sources pour tenter de mieux appréhender les répercussions de cette pandémie sur les économies.

Depuis maintenant plusieurs semaines, le gouvernement fait appel à plusieurs économistes issus de divers organismes de recherche et institutions. L'un des objectifs et d'apporter un diagnostic et de mettre des solutions sur la table. Lors d'un point presse jeudi 9 avril, l'économiste et président du conseil d'analyse économique (CAE) Philippe Martin a déclaré que "le CAE joue son rôle d'intersection entre les universitaires, le pouvoir et le public. Le conseil est composé d'universitaires indépendant du pouvoir de l'exécutif. Ce que l'on dit ne reflète pas ce que dit l'exécutif. Nous avons des discussions très libres avec les cabinets ministériels et les ministères. Les discussions sont confidentielles mais les échanges sont libres". Un mois après le début du confinement, l'exécutif s'interroge sur la meilleure stratégie économique à adopter.

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L'économie mise sous cloche

Le prolongement du confinement et ses conséquences sur l'économie suscite parfois des débats sur la nécessité de reprendre une activité économique rapidement. Pour l'économiste responsable du centre d'analyse rattaché à Matignon, il n'y a pas à ce stade d'autre solution.

"Pour l'instant, nous n'avons le choix de mettre l'économie sous cloche. C'est au moment de la reprise que les choix devront se faire. Il faudra faire des expériences avec sûrement des prises de risque. Il faut énormément de données pour définir les paramètres de cet arbitrage". Lundi soir, Emmanuel Macron a expliqué que le confinement sera prolongé jusqu'au 11 mai prochain avec une réouverture de certaines activités.

Le plan de relance divise encore

Le plan de relance est loin de faire l'unanimité parmi les économistes. Dans un entretien accordé aux Echos jeudi 9 avril, les ministres Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont fait des annonces pour muscler leurs mesures de soutien destinées à compenser les pertes pour les entreprises et les salariés. En revanche, le ministre de l'Economie a déclaré que "c'est encore trop tôt pour détailler un plan de relance précis. Mais ce qui est sûr, c'est que ce plan devra répondre à trois principes. Le premier : priorité absolue à l'investissement. Le deuxième principe : mettre en place des soutiens spécifiques pour certains secteurs. Le troisième principe, c'est la coordination de nos plans de relance au niveau européen".

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De son côté Philippe Martin estime qu'"il ne faut pas exclure la nécessité d'un plan de relance [...] Il faut peut être le cibler sur les personnes les plus fragiles et ne pas faire l'erreur de faire un réajustement budgétaire trop tôt comme lors de la dernière crise. Il faut sûrement une politique de relance la fois du côté de l'offre et de la demande. Je faisais partie de ceux qui pensaient qu'il fallait baisser les impôts de production sur les entreprises mais il faut peut être mieux cibler sur certaines entreprises en grande difficulté".

Un diagnostic consensuel sur l'ampleur des dégâts

Même s'il reste beaucoup d'incertitude sur l'impact macroéconomique de la crise actuelle, les premières évaluations menées par l'Insee, la Banque de France ou encore l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) aboutissent à des résultats relativement proches, même s'ils utilisent des modèles et des sources divergentes. Le président de l'OFCE, Xavier Ragot a rappelé ce relatif consensus.

"L'objectif de tous ces travaux est d'avoir un état des lieux de l'économie avec de nouvelles méthodes. Elles aboutissent toutes à une chute du PIB de l'ordre de 30% avec un confinement sur un mois. Un tiers de l'économie est à l'arrêt"

La difficulté dans les prochaines semaines sera d'avoir "une meilleure compréhension des impacts sectoriels pour voir qui souffre le plus. On connaît les secteurs les plus touchés comme les services marchands, l'industrie, la construction, les services non marchands, puis l'agriculture". Cela permettra entre autres d'avoir des réponses plus ciblées et un meilleur accompagnement. Pour le chercheur, il reste que "à ce stade, le choc de demande est prédominant" et que la sortie de crise devrait être périlleuse. Il anticipe "un impact important sur les sociétés non financières. Certaines activités vont souffrir durablement malgré les mesures microéconomiques".

Un marché du travail sous pression

La mise à l'arrêt de pans entiers de l'économie a entraîné une hausse explosive des inscriptions au chômage partiel. En France, plus de 8 millions de salariés sont désormais concernés par ce dispositif et le rythme des inscriptions ne faiblit pas selon les données régulièrement communiquées par le ministère du Travail. Pour le professeur à la London School of Economics (LSE), Camille Landais, "l'explosion du chômage concerne tous les pays développés. Face à ce défi, il faut répondre à trois objectifs majeurs. Avec le confinement, les Etats doivent cryogéniser les revenus dépendant du travail avec les mesures de chômage partiel [...] Il est nécessaire de préserver l'emploi pendant le confinement. Enfin, il faut éviter une persistance du chômage à la sortie de crise". Pour l'enseignant,  "la bonne nouvelle est que certains instruments sont connus. Ils sont mis en place dans la plupart des pays de l'OCDE. Dorénavant, il s'agit surtout d'éviter les trous dans la raquette."

Face à tous ces risques de hausse du chômage, Camille Landais a fait de multiples propositions pour permettre une meilleure reprise et éviter l'exclusion prolongée de certains profils sur le marché du travail."Cela doit passer par l'assouplissement des règles de l'assurance-chômage pour les contrats courts, les personnes en période d'essai par exemple. Il reste une grande partie de la population inéligible comme les jeunes qui viennent de rentrer sur le marché du travail ou ceux qui vont rentrer. Il est également possible de mettre en place des aides forfaitaires pour les personnes non éligibles".

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Concernant le chômage partiel, il rappelle que ce mécanisme "est plébiscité par l'ensemble des pays européens [...] Cette solution est très avantageuse pour les entreprises. Nous ne pensons pas que les vannes ont été trop ouvertes. Il faut absolument préserver le tissu de PME". Il suggère en outre que "en phase de reprise, une participation des entreprises pourrait être envisagée pour le chômage partiel"

Pour la sortie de crise, certains secteurs vont détruire des emplois quand d'autres vont être sous tensions. "Il faut mettre en place des mesures d'incitations de retour à l'emploi en gérant la répartition des emplois selon les secteurs. Ce qui devrait être très complexe. Enfin, il faut assurer la sécurisation sanitaire des lieux de travail, il faut prendre en compte la responsabilité des entreprises" conclut-il.

Une sortie de crise périlleuse

La perspective du déconfinement et la sortie de crise s'annoncent périlleuses. Le gouvernement français planche actuellement sur plusieurs options avec des scientifiques. Les expériences étrangères peuvent être sur ce point éclairantes. En Chine,le déconfinement prématuré fait craindre le risque d'une seconde vague dans les premiers foyers de l'épidémie. A Taiwan par exemple, la cité-Etat, souvent montrée comme exemplaire dans la gestion de la crise, a été obligée la semaine dernière d'annoncer de nouvelles mesures de restriction après avoir constaté une hausse soudaine des infections.

Sur le plan économique, les scénarios d'une reprise en V avec un redémarrage vigoureux des moteurs de l'économie sont de moins en moins crédibles aux yeux d'un grand nombre d'économistes. Dans cette perspective, Xavier Ragot juge "qu'il est nécessaire de repenser la politique de l'offre avec une redéfinition des outils pour éviter les faillites. Cette redéfinition est très différente des débats fiscaux." Il pense plutôt à "des injections de capitaux dans des entreprises comme Airbus par exemple". Pour l'enseignant à Sciences-Po Paris, "la question de l'accompagnement efficace du tissu productif est essentiel. Il existe plusieurs options comme l'annulation de certaines créances fiscales et sociales selon les secteurs. Beaucoup de PME et TPE ne pourront pas payer ces créances. Il est possible de socialiser ces créances dans les dettes publiques. Il faut également songer à une prise en charge des coûts fixes." Pour le directeur de recherche au CNRS, "la stratégie optimale est le confinement intense et déconfinement graduel".

L'expérience décevante de la Chine

L'économie chinoise est la première a avoir été frappée de plein fouet par le coronavirus. Le géant asiatique avait bloqué une grande partie de son économie en début d'année pour tenter de limiter les risques de propagation. Les autorités ont décidé de lever le confinement mais les usines ont repris leur activité progressivement. Lors de cette réunion avec d'autres économistes, le directeur du centre d'études prospectives et d'études internationales (CEPII), Sébastien Jean, a livré une vision mitigée de la stratégie chinoise.

"Le confinement a été levé à Wuhan après 11 semaines. Il existe des différences très importantes en termes de protection sociale. La réponse de l'Etat n'a pas été de même nature. Un certain nombre de mesures ont été partagées comme le soutien aux entreprises, l'assouplissement monétaire (de moindre ampleur qu'en Europe et aux Etats-Unis). Les autorités ont également annoncé une politique de relance dans les infrastructures  mais il est relativement faible par rapport au PIB (0,6%), Les marges de manoeuvre sont beaucoup moins importantes que lors de la crise financière de 2008."

Du côté des ménages, la stratégie adoptée par les autorités chinoises pourraient laisser de côté un grand nombre de travailleurs. "L'autre grande différence est qu'il n'y avait pas de mesure ciblée sur les ménages. Beaucoup d'employés travaillent dans des entreprises d'Etat et leurs revenus sont maintenus. En revanche, il y a beaucoup de travailleurs précaires. Ils ont a priori perdu leur emploi mais il est difficile d'avoir des chiffres fiables. Certains ont subi la crise de manière violente. Il reste beaucoup de doutes sur les statistiques" ajoute l'économiste. La fin du confinement est loin d'avoir permis à la société chinoise de retrouver un fonctionnement similaire à celui d'avant crise."A la sortie du confinement, ce n'est pas un retour à la normale en termes de distanciation sociale. Il y a de très fortes restrictions  avec de nouvelles mises en quarantaine". Au niveau économique, la reprise est loin de marquer une forte accélération.

"Les indicateurs montrent un retour au travail. Une grande partie des entreprises ont repris leurs activités avec un rebond des indices PMI (indice des directeurs d'achats) dans les services et la construction. La demande reste relativement atone dans la reprise. Les comportements sont marqués par beaucoup de précautions. Beaucoup de consommateurs veulent limiter leurs achats mais veulent aussi augmenter leur temps de travail pour compenser la perte de revenus pendant la crise. Un grand nombre de citoyens ont peur d'une seconde vague".

La situation critique des pays émergents

L'autre point d'inquiétude concerne les pays émergents. "La situation sanitaire est la première préoccupation pour ces pays. Les capacités de ces des systèmes de santé à faire face pose question" ajoute Sébastien Jean. Parmi les conséquences économiques, "les recettes de ces pays sont directement affectées par la crise, notamment les pays exportateurs de pétrole, les pays exportateurs de matières premières, ou le tourisme en Thaïlande" ajoute le chercheur. En Afrique, les institutions internationales redoutent une explosion de la pauvreté dans les mois à venir si le virus se propage sur le continent.