C'est une économie à la fois dopée et bridée pour reprendre les termes de l'Insee. Selon la dernière livraison de l'institut de statistiques publiée ce mercredi 30 septembre, la consommation des ménages a bondi au mois d'août de 2,3%. Le déconfinement et l'amélioration de la situation sanitaire durant l'été ont permis aux chiffres de la consommation de retrouver des couleurs. La plupart des indicateurs économiques illustrent un redressement de l'activité au cours de cette période estivale.
Malgré cet embellissement, la résurgence de l'épidémie depuis la rentrée, avec la multiplication des foyers de contamination et le durcissement des conditions sanitaires pour freiner la propagation du virus, pèse sur le rebond des moteurs traditionnels de l'économie tricolore. "En France, on a observé un redressement très rapide depuis la sortie du confinement. Le retour à la normale se fait de manière asymptotique [...]. Quand on regarde les indicateurs d'activité, il y a eu un redémarrage vigoureux mais incomplet lié aux incertitudes sanitaires", a expliqué l'économiste de BNP-Paribas, Hélène Baudchon, lors d'un point presse ce mercredi matin.
Une amélioration de la consommation des ménages
Le rebond plus fort que prévu de l'économie tricolore s'explique en partie par un redémarrage de la consommation. L'Insee indique que la hausse des dépenses est particulièrement portée par l'augmentation des achats alimentaires (+2,4%) et surtout celle de la consommation en biens fabriqués (3,6%). Le décalage des soldes en raison de la pandémie peut expliquer ce dernier chiffre.
Dans le détail, les Français ont augmenté leurs dépenses en habillement-textile au cours du mois d'août. En revanche, les dépenses de consommation pour l'énergie ont enregistré une diminution. "L'indicateur sur achat des vêtements a fortement rebondi et celui sur l'achat d'automobile a fortement baissé. Cette baisse était attendue après un fort rebond. Le rebond de la consommation en août est plus qu'honorable. C'est un signal positif de la consommation des ménages", a expliqué Hélène Baudchon."Derrière les chiffres de la consommation des ménages, il y a une vraie dynamique mais là encore il y a une hétérogénéité des postes de consommation", ajoute-t-elle.
Une montagne d'épargne
La mise sous cloche de l'économie française et les mesures drastiques de confinement au printemps ont entraîné une accumulation spectaculaire d'épargne chez les Français. Au total, la population a accumulé environ plus de 86 milliards d'euros d'épargne "forcée" depuis la mi-mars. "Une récente enquête de la Banque centrale européenne (BCE) montre que c'est principalement de l'épargne "forcée" au premier semestre 2020. Il n'y a pas d'épargne de "précaution". En revanche, c'est une question importante pour la suite" a expliqué l'économiste. En effet, le prolongement de la crise, la résurgence de l'épidémie et la multiplication des menaces sur l'emploi freinent le retour à la confiance des consommateurs. En outre, la montée en puissance des difficultés pour les entreprises (remboursement des prêts garanties par l'Etat, baisse du chiffre d'affaires et échéances des prélèvements obligatoires) pourrait fait bondir le chômage dans les semaines à venir avec un risque de "zombification" de l'économie.
Un plan de relance attendu
Lors de la présentation de son projet de loi de finances pour 2021 le lundi 28 septembre, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a rappelé qu'il entendait poursuivre sa politique de l'offre entamée depuis le début du quinquennat. La baisse de fiscalité pour les entreprises doit s'amplifier avec la diminution des impôts de production d'environ 10 milliards d'euros pour l'année prochaine et la réduction de l'impôt sur les sociétés.
Sur l'impact macroéconomique, le ministre a déclaré que "l'objectif de ce budget, c'est de renforcer le niveau d'activité de 4 points de PIB dont 1,5 point dès 2021. Notre objectif, c'est de créer jusqu'à 240.000 emplois d'ici 2022". Il reste que ce plan de relance, même si le chiffre de 100 milliards d'euros est spectaculaire, devrait s'étaler sur plusieurs années. En outre, Hélène Baudchon a pointé plusieurs risques.
"C'est plus un plan de soutien qu'un plan de relance. Il vise à la fois à amortir les effets de la crise, doper la croissance à court terme, et la croissance à plus long terme (France 2030). Il y a un accent important sur les mesures d'aide aux entreprises. Les mesures de chômage partiel peuvent être perçues comme des mesures hybrides d'aide aux entreprises et d'aide aux ménages [...]. Le plan de relance cherche à améliorer un grand nombre de faiblesses de l'économie tricolore. Il peut y avoir un effet de dilution et de déperdition. D'autres mesures sur la demande pourraient être attendues."
D'autres économistes évoquent un effet de "saupoudrage" sans réelle stratégie et pointent des déséquilibres entre les mesures d'offre et de demande. Ce qui serait préjudiciable à un moment où l'économie traverse une des pires récessions depuis 1929 pour reprendre les termes du ministre de l'Économie.
Une reprise incertaine
U, V, W, K ou en aile d'oiseau ? Le profil de la reprise continue d'interroger les économistes plongés dans un brouillard épais depuis le début de cette crise inédite. La plupart des conjoncturistes ont abandonné l'idée d'une reprise en forme de V avec une chute violente et brutale suivi d'un rebond rapide.
À la Banque de France ou chez BNP-Paribas, le scénario privilégié se concentre sur une reprise en forme d'aile d'oiseau. "Au premier semestre, on a eu grand plongeon qui sera suivi d'un rebond mécanique très important au troisième trimestre à hauteur de 15% en rythme trimestriel non-annualisé [...]. En France, l'Insee estime que l'économie fonctionne à 95% de son activité normale. La question est de savoir à quel rythme vont être récupérés les 5% restants. Il va y avoir un fort ralentissement au dernier trimestre. C'est à partir de là que l'on va pouvoir mesurer l'efficacité des mesures d'urgence et le relais du plan de relance au début de l'année 2021", affirme Hélène Baudchon.