Les nuages s'amoncellent au dessus de l'économie française. Après la Banque de France en début de semaine, c'est au tour de l'Insee d'assombrir ses prévisions macroéconomiques pour 2024. Dans sa note de conjoncture dévoilée ce jeudi 14 mars, l'institut de statistiques table sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 0% au premier trimestre et 0,3% au second trimestre. Début février, les conjoncturistes tablaient encore sur une hausse de 0,2% aux deux premiers trimestres de l'année. « La reprise se fait attendre », a déclaré Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture lors d'un point presse.
Pourquoi cette révision au premier trimestre ? « L'évolution de la production industrielle explique cette révision avec la fermeture des raffineries et des problèmes d'approvisionnements dans l'industrie automobile notamment », explique à La Tribune le statisticien. A cela s'ajoutent « des mises en chantier plus faibles que prévues». Dégradant sa prévision de croissance à 1% en 2024, le gouvernement pourrait à nouveau revoir sa copie.
Le conjoncturiste estime « qu'il faudrait avoir 0,7% de croissance au troisième trimestre et au quatrième trimestre pour arriver au 1% de croissance ». Autant dire que le pari du gouvernement se complique sérieusement. Depuis trois trimestres, la croissance du PIB oscille entre 0% et 0,1%. Et l'horizon européen est encore bien embrumé. « En zone euro, l'activité continuerait de patiner au premier trimestre avant de repartir au second trimestre. Le moteur allemand est en panne », a résumé Clément Bortoli, chef de la division synthèse conjoncturelle. Avec un acquis de croissance particulièrement faible pour 2024 et une croissance morose en zone euro, la reprise pourrait être poussive tout au long de l'année.
L'investissement dans le rouge
L'inflation et la politique monétaire restrictive continuent de peser sur la demande. Dans le détail, l'investissement global (formation brute de capital fixe, FCBF) est négatif (-0,2%) au premier trimestre et stable au second trimestre. Après un dernier trimestre (-0,9%) dans le rouge, l'investissement tricolore demeure atone.
Du côté des ménages, le recul sur le premier trimestre est brutal (-1%). Chez les entreprises, la baisse est nettement moins marquée (-0,1% au T1 et 0% au T2). Ce sont surtout les administrations qui tirent les dépenses d'investissement vers le haut (+0,7% au T1 et 0,6% au T2). « L'investissement reste déprimée par les conditions d'emprunt », a rappelé Dorian Roucher. Un assouplissement de la politique monétaire de la BCE à l'été pourrait redonner de l'air aux investissements. Une perspective attendue par les ménages et les entreprises frappées de plein fouet par ce tour de vis monétaire.
Léger rebond de la consommation
Sur le front de la consommation, les indicateurs montrent une légère embellie. Après une fin d'année 2023 morose, les dépenses des ménages repartiraient à la hausse au cours du premier semestre (+0,3% au T1 et 0,4% au T2). « Grâce à la désinflation, le pouvoir d'achat retrouverait des couleurs. Ce gain devrait se retrouver dans la consommation », explique le chef du service de conjoncture.
L'Insee prévoit notamment une hausse de la consommation des produits alimentaires et dans l'hébergement restauration. Toutefois, le moral des ménages n'est pas au beau fixe. « Le taux d'épargne devrait rester entre deux et trois points au dessus de la période de crise sanitaire et l'indice de confiance reste en deca de sa moyenne de long terme », a complété Dorian Roucher.
L'industrie et la construction en repli
Par secteur, l'industrie continue de souffrir. Au premier trimestre, l'activité pourrait reculer (-0,4%) avant un probable rebond au second trimestre. Toutes les branches de l'industrie manufacturière sont en repli, à l'exception de l'agroalimentaire. Au bord du marasme, l'industrie de raffinage et de cokéfaction enregistre un violent plongeon entre janvier et mars (-12%). Compte tenu du poids de l'industrie dans le PIB (13,9%), les répercussions sur l'économie française sont relativement limitées. Mais ces mauvais signaux soulignent surtout que la réindustrialisation espérée est encore balbutiante.
L'autre secteur au bord du marasme est la construction. Frappées de plein fouet par le durcissement des conditions financières, les entreprises du bâtiment enregistrent un lourd repli de leur activité sur les deux premiers trimestres (-0,6% et -0,4%) après une année 2023 dans la tourmente. En revanche, les services marchands accélèrent légèrement tout au long du premier semestre. Hormis le commerce, toutes les autres branches affichent une croissance positive au cours du premier trimestre.
La désinflation se confirme
L'envolée des prix au sens de l'indice des prix à la consommation « s'estompe », selon l'Insee. L'inflation devrait s'établir à 2,9% en février contre 6,3% un an plus tôt. « Et ce reflux se poursuivrait à +2,6 % en juin ». Après avoir propulsé l'indice des prix au plus haut, l'alimentaire et l'énergie contribuent nettement moins à l'inflation. « La composition de l'inflation a beaucoup changé. L'inflation est désormais portée par les prix des services », explique Dorian Roucher.
Dans ce secteur, « les entreprises répercutent les hausses de leurs coûts salariaux à leurs clients ». Mais, « il n'y a pas de boucle prix-salaires ». A l'exception du salaire minimum, la désindexation des salaires sur l'indice des prix à la consommation depuis les années 80 a limité ce risque en France. La contrepartie est que « les salariés ont perdu 2,5% de pouvoir d'achat entre 2022 et 2023».
Hausse du chômage en vue
Concernant le chômage, l'Insee projette une hausse de 7,6% de la population active en juin prochain contre 7,2% un an plus tôt. Le coup de frein de l'activité en 2023 a confirmé le retournement du marché du travail hexagonal. Après plusieurs années consécutives de baisses, le chômage pourrait encore grimper au delà du premier semestre. La fin des aides Covid et les moindres subventions à l'apprentissage ont entraîné un coup de frein des embauches. Au premier semestre, l'Insee prévoit seulement 40.000 créations d'emplois. «Pendant deux ans, le climat de l'emploi était supérieur au climat des affaires. Cela s'est traduit par un long épisode de croissance riche en emplois. Cette déconnexion est désormais terminée », a déclaré Dorian Roucher.
Au plus bas depuis quelques années, les gains de productivité pourraient ainsi retrouver des couleurs. Mais l'Insee ne s'attend pas à des miracles.« Les gains de productivité sont entre 0,1% et 0,2%, ce n'est pas beaucoup. Ces gains de productivité sont encore inférieurs à la période 2010 », poursuit l'économiste. Sous l'effet de la réforme des retraites entrée en vigueur en septembre dernier, la population active devrait continuer de croître en 2024 à un rythme deux fois supérieur à celui de l'emploi. Une mauvaise nouvelle pour la promesse de Macron de parvenir au plein emploi à la fin du quinquennat.