Derrière la lutte des places à EDF, une vieille histoire de famille

POLITISCOPE. Emmanuel Macron et le secrétaire général de l'Elysée ont bien été, avec le banquier Jean-Marie Messier et l'ancien PDG François Roussely, les concepteurs principaux du projet Hercule de scission d'EDF en deux entités, l'une pour le nucléaire, l'autre pour les énergies renouvelables. Abandonné, au profit d'une renationalisation de l'électricien, ce grand mécano est-il encore dans les cartons. La bataille d'EDF ne fait sans doute que commencer alors que l'entreprise attend la nomination prochaine par le nouveau patron, Luc Rémont, de son équipe de direction.
Marc Endeweld
(Crédits : Pascal Rossignol)

L'anecdote nous est contée cette semaine dans l'Obs. À l'automne 2015, une réunion est organisée à Bercy entre Jean-Bernard Lévy, alors PDG d'EDF, et Emmanuel Macron, ministre de l'Economie. Autour de la table, on trouve également Alexis Kohler, qui était déjà le principal collaborateur d'Emmanuel Macron comme directeur de cabinet, mais également un banquier d'affaire, Jean-Marie Messier, qui conseille l'État sur Areva. Au menu des discussions, la situation financière d'EDF qui doit, à la demande de l'État, reprendre Framatome, la filiale d'Areva qui fabrique les réacteurs nucléaires. Et c'est à cette occasion qu'Emmanuel Macron présente pour la première fois à Jean-Bernard Lévy son projet « Hercule » pour EDF.

Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron propose ainsi, dès 2015, un découpage d'EDF en deux entités : d'un côté les activités nucléaires et hydroélectriques, qui seront étatisées, et de l'autre les énergies renouvelables et la distribution d'électricité (Enedis) très rentables et dont on va ouvrir le capital pour récupérer des fonds.

Dès le départ, « Hercule » est bien le projet d'Emmanuel Macron, contrairement à ce que les communicants ont tenté de cacher durant de nombreux mois à partir du printemps 2019 quand je révèle son existence. Cette idée de découper EDF en deux (une découpe censée alors financer la relance du nucléaire...) s'inscrit dans la droite ligne des conceptions néolibérales de l'État : les pertes supportées par le public (et donc les Français), les profits laissés au secteur privé (pour le plus grand bénéfice des actionnaires).

Logique financière

Dans ce schéma (qu'Emmanuel Macron dessine sur une feuille de papier qu'il tend à Jean-Bernard Lévy lors de la fameuse réunion), la branche nucléaire devait vendre au même prix l'électricité des 58 réacteurs (désormais 56 depuis la fermeture de Fessenheim), à toutes les entreprises qui le souhaitent : Engie, Total (Direct Energie), ainsi que la branche commerciale d'EDF. Il s'agit bien d'une logique financière qui l'emporte sur une logique industrielle. Guère étonnant venant d'un ancien banquier d'affaires... À l'origine, c'est bien les banquiers d'affaires de la place de Paris, Messier Maris et Rothschild en tête qui poussent ardemment l'État à opter pour une scission d'EDF.

À l'automne 2015, un ancien PDG d'EDF a rejoint Jean-Marie Messier dans sa boutique de banque d'affaires. Il s'agit de François Roussely qui dirigeait jusqu'alors le Crédit Suisse à Paris (et dirigea EDF de 1998 à 2004). Figure de la Mitterrandie, l'ancien haut fonctionnaire (il fut Directeur général de la Police Nationale, mais aussi directeur de cabinet de Pierre Joxe à l'Intérieur comme à la Défense), est présenté par certains comme le « parrain des parrains » dans le monde des affaires à Paris, notamment dans les domaines énergétique et sécuritaire. Malgré sa maladie, son influence reste considérable, son réseau au coeur de l'État continue de jouir d'une puissance inégalée. Et c'est bien Roussely et Messier qui vont convaincre Emmanuel Macron de militer pour la scission d'EDF afin d'adapter ce mastodonte hérité de 1945 au grand marché européen de l'énergie tant décrié aujourd'hui...

Les réseaux Charasse

Macron comme Kohler se passionnent alors pour les mécanos financiers entre grands groupes. Les deux hommes semblent moins passionnés par les enjeux industriels et stratégiques. Lors qu'on écoute aujourd'hui François Hollande évoquer cette période, l'ancien président ne peut s'empêcher de ruminer contre François Roussely. La cause de ce ressentiment ? D'abord, le fait que le haut fonctionnaire Roussely ait aidé il y a quelques années son ennemi Nicolas Sarkozy, comme un certain Michel Charasse, autre figure de la Mitterrandie qui avait été lui aussi tenté un temps par le candidat de droite du « tout est possible ». Et puis, surtout, à partir de 2015, Roussely comme Charasse vont devenir des soutiens indéfectibles d'Emmanuel Macron, mettant leurs réseaux au service du futur candidat... au dépend du président Hollande.

Les réseaux de Michel Charasse sont multiples. Déjà, sous Mitterrand, l'ancien ministre du Budget aimait échanger avec son ami Charles Pasqua, puissant ministre de l'Intérieur de la droite et ancien résistant. Charasse appelait   cela les « réseaux transversaux » de la République. Le « en même temps » de l'époque. Lors de la seconde cohabitation avec la droite sous Mitterrand, Charasse comme Roussely ont ainsi multiplié les ponts avec le camps « adverse » des balladuriens. De cette époque, Michel Charasse a conservé une proximité avec Jean-Marie Messier, alors en pleine ascension à la Compagnie Générale des Eaux auprès de Guy Dejouany. Messier et Charasse sont liés au juge anti terroriste Alain Marsaud, ce proche de Charles Pasqua devenu député UMP et dont le collaborateur n'est autre que Laurent Obadia, qui deviendra par la suite un grand communicant de la place de Paris et un cadre dirigeant redouté de Veolia. Chez Havas, Laurent Obadia fut également le mentor d'Ismaël Emelien, futur conseiller politique et stratégie d'Emmanuel Macron. Un si petit monde. Messier, Charasse, et Obadia sont tous des personnages clés dans l'ascension du jeune prodige de la politique français. Et Hollande le sait.

En soutenant le plan « Hercule », c'est-à-dire une scission d'EDF, Roussely se fâche pourtant avec un autre de ses amis, également proche de Guy Dejouany à la Compagnie Générale des Eaux, et PDG d'EDF comme lui : Henri Proglio. Lui considère qu'Hercule est un démantèlement de l'électricien national, que ce projet est une hérésie industrielle et que ce plan est l'énième concession à une Europe néolibérale qui ne comprend rien, selon lui, aux enjeux énergétiques, et qui fait la part belle aux intérêts allemands. Interrogé récemment dans le cadre d'une commission d'enquête à l'Assemblée Nationale, Proglio n'a pas hésité à présenter aux députés un réquisitoire à l'encontre de toute cette période.

Étrange carambolage d'événements : après la mort de Michel Charasse début 2020, et alors que la filière nucléaire française et EDF est au bord de l'abîme ces derniers mois, François Roussely vient à son tour de rendre son dernier souffle à la mi-janvier. Le vieux briscard ne pourra plus distiller ses conseils ni supporter ses amis. À son enterrement, de nombreuses figures de la gauche comme de la droite étaient présentes pour lui rendre hommage.

Luc Rémont prépare son grand ménage

Clin d'oeil de l'histoire ? C'est au lendemain de la mort de l'illustre haut fonctionnaire que Libération consacre, dans le cadre d'une enquête sur la françafrique, un article à Cédric Lewandowski, ultra-puissant directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian à la Défense sous François Hollande, et considéré comme le fils spirituel de François Roussely. Après la victoire d'Emmanuel Macron en 2017, Lewandowski est revenu à EDF comme directeur exécutif. En 2019, il était propulsé directeur de la production électrique, l'un des postes les plus importants de l'électricien national.

Et pourtant, Lewandowski, à l'origine, n'était pas dans les petits papiers d'Emmanuel Macron. Son tort ? Avoir soutenu Manuel Valls. Mais Lewandowski a usé de toute son habilité et de ses réseaux pour rétablir toute sa puissance sous la Macronie. Profitant de sa proximité avec François Roussely et Laurent Obadia, il put finalement se maintenir. Et quand à l'automne dernier, l'alerte était donnée sur l'état du parc nucléaire français, il réussit à passer entre les gouttes des critiques publiques.

Mais depuis que Luc Rémont a été nommé à la place de Jean-Bernard Lévy à la tête d'EDF, certains espèrent pouvoir déboulonner le commandeur Lewandowski, y compris parmi les proches d'Emmanuel Macron. « Mais pourquoi Lewandowski et Obadia ont-ils un tel pouvoir ? » se demandait ainsi, dès octobre 2022, lors de la nomination de Luc Rémont, une figure de la Macronie... Ces deux-là ont un tel pouvoir car ils s'inscrivent dans la vieille histoire de la Vème République. Alors que l'Obs souligne à raison que le nouveau PDG d'EDF, Luc Rémont, doit nommer une nouvelle équipe, une équipe bien à lui, on peut se demander si de telles solidarités vont jouer. Décidément, la lutte des places pour EDF est loin d'être terminée et reste une vieille histoire de famille.

Marc Endeweld

Marc Endeweld
Commentaire 1
à écrit le 31/01/2023 à 19:55
Signaler
La politique a cette anomalie inviter dans des tours de table des magouilleurs. Lorsque j'ai voté en 2017 pour EM je pensais que ce Président allait cesser de tomber dans la bassesse des "amis" peu fréquentables Erreur de ma part j'ai révisé ma vis...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.