EDF : l'Elysée dans la dernière ligne droite pour trouver un successeur à Jean-Bernard Lévy

Alors que le calendrier s'accélère pour le choix, par l'Etat, du prochain dirigeant d'EDF, plusieurs prétendants externes et internes sont en lice. Dernier en date à ne pas avoir été cité jusqu'ici, Philippe Logak, actuel rapporteur général auprès du Haut-commissaire au plan François Bayrou. Mais Luc Rémont, responsable des activités internationales de Schneider, tiendrait la corde. Tour d'horizon.
(Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

En France, sur le front de l'énergie, la panique gagne les responsables politiques comme les professionnels du secteur. Entre la situation mondiale concernant l'approvisionnement en gaz et les difficultés du parc nucléaire français, l'inquiétude est montée d'un cran en cette rentrée. Dans ce contexte, le processus de recrutement du futur patron d'EDF est dans toutes les têtes. Qui pourra sauver la situation de l'électricien national en voie d'être étatisé et confronté à des difficultés majeures, inédites depuis 1945 ? Quel profil sera le plus à même de répondre à l'urgence de la situation et aux injonctions contradictoires de l'État ? Depuis plusieurs jours, les médias spécialisés et le petit Paris des affaires scrutent les potentiels candidats. L'heure du choix approche, conformément à ce qu'avait confié Bruno Le Maire à des journalistes présents aux Rencontres d'Aix-en-Provence en juillet lorsqu'il comptait sur un nouveau patron en septembre. Et ce ne sont pas les récentes critiques du PDG actuel, Jean-Bernard Lévy, à l'encontre de la politique énergétique de l'Etat qui vont pousser l'exécutif à retarder l'échéance.

Pour autant, face à l'ampleur de la tâche (résoudre à court terme les problèmes du parc nucléaire et conduire, à plus long terme, le plus gros programme électronucléaire du monde occidental), les candidats ne se sont pas bousculés au portillon, et le gouvernement a déjà subi de nombreux refus. Tout cela se fait dans une certaine « opacité », dénoncent plusieurs acteurs du secteur, « alors que c'est un sujet d'intérêt national. Il ne s'agit pas uniquement de l'avenir d'EDF, il s'agit de l'avenir de la France dans les tous prochains mois et années ! », ajoute l'un d'eux. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce dossier, l'avenir de l'entreprise publique a notamment été confié à un cabinet de recrutement américain, Heidrick & Struggles, bien connu néanmoins de l'Etat qui l'avait déjà missionné pour recruter certains patrons d'entreprise dans lequel l'Etat est présent au capital, comme Ben Smith pour prendre les rênes d'Air France-KLM en 2019. De fait, au sein du gouvernement, les positions ont du mal à s'aligner.

Faut-il dissocier ou non les fonctions de présidence et de direction générale alors qu'historiquement la dissociation avait suscité de nombreuses tensions chez EDF ? Faut-il avoir à coeur de promouvoir une femme dirigeante (le nom de Laurence Parisot a été cité régulièrement) ? Tant l'Elysée que Matignon et surtout Bercy ont exprimé ces derniers jours leur point de vue sur la question. Mais, plus largement, c'est la future feuille de route des nouveaux dirigeants qui restent à formaliser clairement.

Au moment où Elisabeth Borne évoque des potentielles coupures d'électricité pour l'hiver, Bruno Le Maire souhaite tout d'un coup mettre le paquet sur la réduction de la consommation d'énergie (alors qu'aucun plan de sobriété n'a été décidé depuis la montée des prix du gaz et de l'électricité qui date de dix-huit mois...), tout en répétant qu'il est nécessaire qu'EDF produise davantage d'électricité dans un court délai. C'est ainsi qu'on a appris ce vendredi, alors qu'était organisé à l'Elysée un « conseil de Défense » consacré à ces questions de l'énergie, qu'Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique, avait exigé du groupe public la relance d'ici à 2023 des 32 réacteurs nucléaires actuellement à l'arrêt (sur les 56 que constitue le parc). Une annonce déjà largement relayée par les chaînes d'information alors que, selon nos informations, une réunion doit encore se tenir mardi entre l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et les ingénieurs d'EDF chargés du dossier, pour jauger de la faisabilité d'une telle demande gouvernementale. Une chose est sûre, « Jean-Bernard Lévy souhaite désormais partir le plus vite possible pour ne pas avoir à gérer l'immense bordel à venir dans les prochaines semaines », assure un haut cadre d'EDF.

À l'Elysée, le processus de recrutement pour la future direction d'EDF est bien sûr supervisé par Alexis Kohler, le tout puissant secrétaire général. « En réalité, ni Bruno le Maire, ni Elisabeth Borne n'auront leur mot à dire dans cette affaire ! » s'exclame un poids lourd de la majorité. Le ministre de l'Economie a d'ailleurs précisé la semaine dernière au Rencontres des entrepreneurs de France, organisées par le Medef, que la nomination serait décidée par Emmanuel Macron.

Le corps des Mines vent debout

La semaine dernière, le nom de Julien Denormandie, l'ancien ministre l'Agriculture, a même été évoqué à plusieurs reprises, avant que cette hypothèse visiblement poussée par Alexis Kohler avec qui a travaillé ne retombe devant l'hostilité de plusieurs parties prenantes. Un scénario qui aurait détonné par rapport aux dernières nominations à la tête de grosses entreprises faisant partie du portefeuille de l'Etat actionnaire qui, à l'instar de Ben Smith pour Air France-KLM, Luca de Meo pour Renault et Jean-Pierre Farandou pour la SNCF, ont privilégié des professionnels du secteur. Une position que défend d'ailleurs toujours Bruno Le Maire qui souhaite un industriel pour EDF.

La perspective de voir nommer un profil politique à la tête d'EDF a fait hurler les ingénieurs du puissant corps des Mines qui souhaitent reprendre le contrôle du groupe public coûte que coûte alors qu'ils en ont été largement exclus ces toutes dernières années. Et ces ingénieurs d'État n'ont pas dit leur dernier mot dans le processus de recrutement, même s'ils sont divisés sur le meilleur profil à promouvoir. Chaque clan pousse son candidat fétiche.

Candidatures externes

Plusieurs candidats externes sont sur les rangs et parmi eux, le nom de Luc Rémont revient souvent. A la tête des activités internationales de Schneider, il est en fait sur les tablettes depuis le printemps. Et toujours sur le haut de la pile. Selon certaines sources, il tient la corde. Conseiller à Bercy pendant le gouvernement Villepin, il avait travaillé sur l'entrée en Bourse d'EDF en 2005. Il a l'avantage de bien connaître Alexis Kolher avec qui il a travaillé à Bercy.

Si son entourage assure qu'il « n'est pas candidat », l'actuel patron d'Orano, Philippe Knoche, est poussé par une partie du corps des Mines. Ce pur produit Areva, ancien collaborateur d'Anne Lauvergeon, a supervisé les débuts de l'EPR en Finlande, et s'est occupé des activités retraitement du combustible nucléaire usé aujourd'hui en crise. Cet X Mines travailla par le passé avec Raymond Lévy, illustre polytechnicien et grand patron français (Usinor, Renault). Mais à l'heure des difficultés de l'EPR, Knoche ne fait pas l'unanimité dans la maison EDF et chez les ingénieurs d'État, comme le souligne l'un d'eux : « alors qu'il y a une bagarre inouïe entre EDF et Orano, on a du mal à voir comment il pourrait prendre les rênes de l'électricien ». Selon des proches d'EDF, Philippe Knoche s'est allié avec Marianne Laigneau, présidente d'Enedis, ancienne DRH d'EDF et proche de David Gutmann, un ancien conseiller du groupe, comme prestataire extérieur, qui conserve une grande influence en son sein. Un ticket qui fonctionnerait dans le cadre d'une dissociation des fonctions de président et de directeur général. A Knoche le poste de DG, à Laigneau celui de présidente. Une alliance que d'autres sources lui prêtent avec certains candidats internes. Autre atout pour Knoche, il est le seul parmi les prétendants à être déjà PDG d'une entreprise.

Philippe Logak candidat

Parmi ces ingénieurs d'Etat, d'autres font désormais campagne pour Philippe Logak, actuel rapporteur général auprès du Haut-commissaire au plan François Bayrou, cet ancien secrétaire général de SFR et de Thales sous Jean-Bernard Lévy, a la particularité d'être à la fois polytechnicien, ingénieur de l'Armement, et Conseiller d'État. Si certains le présentent comme un simple « juriste », l'homme dispose d'une expérience industrielle en ayant été, à la DGA, le directeur adjoint des programmes des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), puis en ayant procédé à la réforme de la DCN.Parmi le réseau des polytechniciens, Logak a notamment le soutien de Bernard Esambert, ancien conseiller de George Pompidou qui a joué un rôle clé dans le lancement du programme nucléaire civil français au début des années 1970. Côté des responsables politiques, Logak est également soutenu par Arnaud Montebourg, l'ancien ministre du redressement productif et de l'Economie, qui s'est rapproché dernièrement d'Emmanuel Macron. Et dans sa lettre de candidature que La Tribune s'est procurée, Logak rappelle qu'au-delà de la gouvernance d'EDF, « c'est bien une filière industrielle toute entière qu'il convient aujourd'hui de reconstruire ». Une feuille de route que tous candidats et les acteurs du dossier, ont néanmoins tous en tête. Du moins chez les ingénieurs. Knoche comme Logak ont d'ailleurs fait partie de la même promotion X-Mines, comme Patrice Caine, l'actuel patron de Thales.

Cédric Lewandowski et Bruno Bensasson, candidats internes

Face à ces candidatures extérieures, certains hauts cadres d'EDF poussent également leurs pions. C'est le cas de Cédric Lewandowski, tout puissant directeur de la production, ancien directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian quand ce dernier était ministre de la Défense de François Hollande. Nommé par Lévy à un poste pour le moins stratégique au sein du groupe, cet ancien attaché parlementaire socialiste n'est pourtant pas ingénieur. Mais son habilité est grande, et il a réussi à la fois à passer à travers les gouttes médiatiques sur le sujet du fiasco industriel du parc nucléaire (dont il a pourtant la charge), tout en bénéficiant du soutien indéfectible de la CGT. Le problème pour Lewandowski, c'est qu'il s'était attiré les foudres de Kohler et de Macron sous le quinquennat Hollande. Et si les réseaux qui le soutiennent se sont peu à peu rapprochés de l'actuel secrétaire général de l'Elysée, sa nomination à la tête d'EDF apparaît improbable.

Voilà peut-être pourquoi certains lui prêtent à lui aussi une alliance avec Marianne Laigneau, la présidente d'Enedis. « Comme Lewandowski, Laigneau connaît par cœur les syndicats, en particulier la CGT. S'ils veulent modifier les périmètres d'EDF, elle peut avoir sa carte à jouer. Mais elle n'a aucune expertise technique dans le nucléaire... », commente un bon connaisseur de la maison.

Enfin, autre candidature interne, Bruno Bensasson, qui dirige les activités énergies renouvelables d'EDF. Ingénieur du Corps des Mines lui aussi, il a passé cinq ans à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

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Commentaire 1
à écrit le 06/09/2022 à 8:57
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Comme pour toute désignation McKroniste, un valet sera mis en responsabilité!

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