Crise climatique, numérisation, vieillissement de la population... le marché du travail devrait être profondément chamboulé d'ici quelques années. La reprise économique en 2021 a ravivé de nombreuses tensions de recrutement dans certains secteurs lourdement frappés par la pandémie. La guerre qui frappe actuellement l'Ukraine pourrait cependant porter un coup à la croissance économique sur le Vieux continent et le nombre d'embauches dans les prochains mois.
Dans ce contexte troublé, France Stratégie et la direction statistique du ministère du Travail (Dares) ont mené un exercice de prospective extrêmement fouillé sur les métiers qui recruteront le plus dans les dix prochaines années. "D'ici à 2030, les besoins de recrutement générés par les départs en fin de carrière et le dynamisme de l'emploi devraient avoisiner les 800.000 chaque année. Atteindre ces niveaux d'embauche suppose que les postes à pourvoir soient effectivement pourvus et que les jeunes qui entrent sur le marché du travail y trouvent leur place", écrivent Gilles de Margerie commissaire général de France Stratégie et Michel Houdebine, directeur de la Dares dans leurs propos liminaires. Ce rapport qui devait initialement être dévoilé avant la pandémie a finalement été reporté en 2022 pour tenir compte de l'impact de la crise sanitaire dans les scénarios étudiés.
Informatique et santé en tête du palmarès des créations les plus dynamiques
Sans surprise, les créations de postes les plus dynamiques concernent les ingénieurs en informatique (+26%) avec 115.000 postes supplémentaires par rapport à 2019 dans la décennie à venir. Viennent ensuite les infirmiers et les sages-femmes (+18%), les aides à domicile (+18%), les cadres commerciaux et technico-commerciaux (17%) et enfin les aides soignants (+15%). "Ce qui est frappant est que 5 métiers sur les 15 premiers représentent des métiers de la santé et du care", a résumé Cédric Audenis lors d'un point presse.
La pandémie et le vieillissement de la population ont jeté une lumière crue sur les besoins dans les métiers de la santé jugés "essentiels" lors des vagues d'infection et les confinements à répétition. Enfin, d'autres emplois dans la manutention, les travaux publics ou l'industrie apparaissent également dans le top 15 des métiers en forte expansion.
Des milliers de postes à pourvoir chez les agents d'entretien, les enseignants et les aides à domicile
Outre les créations nettes d'emplois, les chercheurs ont également pris en compte les postes à pourvoir suite au nombreux départs en retraite. "90% des 800.000 postes à pourvoir chaque année sont liés à des renouvellements de fin de carrière" a précisé Michel Houdebine. Les départs à la retraite des dernières générations du baby-boom nées après la seconde guerre mondiale devraient entraîner encore des hausses sensibles de postes à pourvoir dans les années à venir.
Parmi les métiers identifiés par les statisticiens, figurent largement en tête les postes d'agents d'entretien (488.000 postes), les enseignants (329.000 postes) ou les aides à domicile (305.000). Typiquement, la dynamique pour les agents d'entretien ou les enseignants s'explique par des départs en fin de carrière. A l'opposé, certains postes à pourvoir peuvent s'expliquer par des créations nettes ou des métiers nouvellement crées dans l'informatique ou pour les ingénieurs et cadres techniques dans l'industrie par exemple.
Des tensions à prévoir dans les métiers du droit, dans le paramédical ou le transport
La reprise en 2021 a mis en avant de fortes tensions de recrutement, entre l'offre et la demande dans certains secteurs comme la restauration ou l'hôtellerie. Dans leur épais rapport, les économistes de France Stratégie et de la Dares ont cherché à anticiper les différents déséquilibres qui pourraient survenir dans le futur. Les chercheurs ont ainsi distingué plusieurs catégories de métiers. La première concerne des métiers qui pourraient connaître une exacerbation des tensions en raison du manque d'attractivité. Il s'agit par exemple des aides à domicile, des personnels de ménage ou des conducteurs d'engins du bâtiment et des travaux publics.
La seconde catégorie concerne des métiers en tension "à anticiper". Ces métiers ne rencontrent pas spécialement de problèmes actuellement mais les entreprises pourraient en connaître. Il s'agit par exemple des ouvriers qualifiés de la manutention, des agents d'entretien ou des ouvriers du textile et du cuir. Ces déséquilibres pourraient se résorber par la capacité à attirer les chômeurs et les salariés exerçant un autre métier, les inactifs ou les immigrés expliquent les auteurs de cette vaste étude. D'autres métiers nécessitant des compétences techniques devraient encore connaître de fortes tensions comme les ouvriers qualifiés travaillant le métal, les techniciens et cadres du bâtiment.
A l'opposé, les tensions sur certains métiers pourraient s'infléchir comme chez les employés et agents de maîtrise de l'hôtellerie-restauration, les coiffeurs et esthéticiens, les techniciens de la banque et des assurances et les employés de la comptabilité.
200.000 créations de postes liés la transition écologique
La crise climatique pourrait engendrer de nombreuses créations de postes d'ici 10 ans. Le scénario national bas carbone (SNBC) et les objectifs de réduction des émissions doivent entraîner une hausse des investissements dans des secteurs clés estimé à un point de PIB chaque année, soit environ 10 milliards sachant que des économistes estiment que les investissement nécessaires seraient bien supérieurs pour respecter les accords de Paris conclus en 2015.
"L'atteinte des objectifs bas carbone d'ici 2030 permet de valoriser certains secteurs comme dans la construction qui devrait créer 100.000 emplois avec la rénovation énergétique des bâtiments. Il n'y a pas de métiers dits 'verts' dans notre nomenclature. En revanche, il y a des métiers verdissants comme le personnel d'étude et de recherche pour faire de l'innovation verte", a expliqué Cécile Jolly de France Stratégie.
Dans ce contexte, les experts de France Stratégie et du ministère du Travail tablent sur 120.000 créations de postes supplémentaires dans le bâtiment, 45.000 emplois dans les activités juridiques et le conseil, 15.000 emplois dans la recherche et le développement et 15.000 emplois dans l'agriculture. Au total, 200.000 emplois pourraient être crées. La nécessité d'accélérer la formation dans les métiers de la transition écologique devient urgente.