"La France des territoires va bien mieux qu'on ne le dit" (Eric Lombard, DG de la Caisse des dépôts et consignations)

Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ouvre dans un livre-témoignage les portes et les fenêtres sur les mutations de la finance au regard de ses quatre ans passés à la tête de l'institution plus que bicentenaire de la rue de Lille. Ainsi que sur les nouvelles missions développées par la CDC notamment dans la relance verte et les territoires. Entretien.
(Crédits : Frédérique Plas – Caisse des Dépôts – 2019.)

Vous racontez dans "Au cœur de la finance utile, à quoi sert votre épargne ?", publié ce mois-ci aux Editions de l'Observatoire, votre expérience de quatre années à la tête de la CDC. Ce livre est un appel pour un second mandat à l'issue de la présidentielle ?

ERIC LOMBARD : Ce n'est pas l'objectif de ce livre. J'ai été nommé par le président de la République sur un projet. Si Emmanuel Macron est réélu, il faudra penser la suite du projet pour la Caisse. En revanche, j'ai voulu expliquer le rôle de la Caisse des Dépôts, car c'est le Livret A, c'est l'argent des Français et cela nous oblige. Et la CDC a beaucoup changé, j'ai aussi voulu le montrer.

On a coutume de dire qu'une chatte n'y retrouverait pas ses petits...

Quand je suis arrivé, c'était encore vrai pour un directeur général ! Venu du privé, d'une grande entreprise du secteur de l'assurance, j'ai découvert qu'il existait vingt directions qui rapportaient au directeur général, sans compter les présidents de filiales. Tant est si bien qu'il y avait des réunions à près de trente personnes. C'est pourquoi très vite, j'ai poussé pour que nous fassions quelque chose de plus opérationnel regroupant quatre métiers et en créant cinq fonctions transversales. En cinq ans, nous avons triplé le bilan du groupe. De 400 milliards d'euros, il avoisine désormais les 1.200 milliards d'euros, notamment depuis le rapprochement entre CNP et La Poste.

Vous dénoncez dans le livre les dérèglements du capitalisme et la montée des inégalités. La situation s'est aggravée avec la crise du Covid, selon vous ?

Depuis la crise financière de 2008 et au cours de la dernière décennie, on a assisté à un déséquilibre croissant dans la répartition des richesses qui est devenu aujourd'hui massif et constitue selon moi un frein et un danger pour la stabilité économique. Cela vient du fait que la rentabilité du capital est excessive, au regard de celle du travail. L'équilibre social qui a permis les 30 Glorieuses est rompu et les intérêts des managers sont désormais alignés sur le monde de la finance. Les investisseurs financiers ont continué de réclamer des rendements de 8 à 10% dans un monde de taux zéro voire négatifs. Cela ne peut pas bien se terminer. Cette déformation de la création de richesses au profit des détenteurs de capitaux et au détriment des travailleurs a atteint ses limites. Dans le nouveau monde post-covid, alors que de nouveaux déséquilibres apparaissent avec plus d'inflation, il faut qu'une part plus importante de la création de richesse aille aux salariés. Et aussi que la finance change de vision pour prendre en compte les défis du long terme, notamment la transformation écologique qui réclame des investissements massifs. Ce changement ne peut pas venir de la fiscalité et doit venir de l'intérieur de la finance elle-même, par le réajustement des exigences de rendements.

Comment changer le capitalisme ?

Une des raisons du dérèglement actuel, ce sont les taux d'intérêt trop bas. Il faut que les investisseurs s'habituent à des rendements plus raisonnables, de l'ordre de 4%, afin de rééquilibrer le système. A la Caisse des Dépôts, nous mettons cela en pratique dans nos missions d'intérêt général. A la Banque des territoires, nous demandons une rentabilité de 4% pour permettre d'accélérer les investissements dans la transition écologique.

Quelle est votre position sur les critères ESG et les indicateurs extra-financiers. Cela est-il de nature à changer les règles du jeu ?

Oui à condition d'y ajouter une règle de partage des richesses qui n'est pas assez bien intégrée à l'ESG. Pour réussir la transformation écologique et qu'elle soit socialement juste, il faut définir un nouveau partage de la valeur. Ce rééquilibrage est donc indispensable sinon la décarbonation de l'économie, on ne va pas réussir à la faire alors que l'urgence est là.

Parlons de la CDC. Vous avez fait campagne sur le thème de la création d'une « Bpi des territoires » devenue la Banque des territoires. Quel bilan en tirez-vous quatre ans après ?

Hélène Rey de la London School Economics a une formule éclairante : « l'urgence du long terme ». C'est cela que fait la Caisse des Dépôts, avec Bpifrance comme avec la Banque des territoires, nous finançons la France de demain en répondant aux besoins de la France d'aujourd'hui. C'est dans cet esprit que nous avons tenu à être dans Suez, à rentrer dans GRT Gaz pour le biométhane et l'hydrogène, et à rester actionnaire de RTE. De même qu'à travers Bpifrance, nous soutenons la startup Ynsect. Cette usine verticale consomme peu de foncier, a un modèle social avancé et va au-delà des textes sur le droit du travail ou le congé paternité. Ce qui est frappant, c'est que nous avons mesuré le résultat de notre action en temps quasi réel. J'ai inauguré début février la réhabilitation d'une friche industrielle. Dès que nous allons sur le terrain, les élus de tous bords me disent merci. La France des territoires va bien mieux qu'on ne le dit.

C'est un peu contre-intuitif, entre la crise des « Gilets jaunes » et le « convoi des libertés », on entend aussi beaucoup la souffrance des territoires...

La France des Gilets jaunes est une crise de la reprise. Les gens ont réclamé leur part, car la crise économique était terminée. Le chômage décroît partout, en Mayenne, en Vendée, dans l'Indre. Un soir, je suis tombé sur un reportage au 20 heures de TF1 à Chateaubriand, situé à équidistance de Nantes, Rennes et Angers. Des patrons et des salariés y disaient même qu'il fallait augmenter l'immigration pour répondre aux besoins de recrutement. Loin des débats de ce début de campagne présidentielle.

Avec la Banque des territoires, nous avons innové : nous avons pu lancer Action Cœur de ville » dans 222 villes moyennes avec 5 milliards d'euros sur la table. J'ai rencontré des dizaines de maires. A Châteauroux, il y a un incubateur avec des start-up. En cinq ans, les choses ont beaucoup bougé !

Nous avons perçu la crise des « Gilets jaunes » comme une validation de notre diagnostic. Quoiqu'on en dise, le président Macron est celui qui a fait le plus pour l'aménagement du territoire. Paris et le désert français, c'est bien fini. Avec le programme « Territoires d'industrie », la Caisse des Dépôts a investi massivement pour créer les conditions d'une réindustrialisation du pays. Et cela ne coûte rien au contribuable.

Dans cet esprit, nous avons également lancé « Petites villes de demain » doté de 3 milliards d'euros dans 1.600 communes. Nous allons verser 200 millions d'euros de crédits d'ingénierie. Je pourrais multiplier les exemples : à Buzançais dans l'Indre, nous avons refait le centre-ville pour le relier à la mairie et à la grande rue. L'urbaniste consulté a conseillé de faire sauter les quatre maisons au milieu de cet alignement. Depuis, les gens se retrouvent sur la place nouvellement créée.  Idem à Villedieu, toujours dans l'Indre, où nous allons regrouper au même endroit deux bouts d'école éloignés de 500 mètres l'un de l'autre.

Le Sénat vient de lancer une mission conjointe de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, notamment pour examiner l'intérêt et l'impact des deux programmes gouvernementaux « Action cœur de ville » et « Petites villes pour demain ». Qu'en attendez-vous ?

Le traitement est en cours. Nous avons par ailleurs repris la politique des quartiers. Depuis le début du quinquennat, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) est réalimentée et opère avec beaucoup de vigueur. Avec les ministres de la Ville Nadia Hai et du Travail Elisabeth Borne, nous avons rencontré des entrepreneurs dans les quartiers dits productifs. En attendant, nous devons renforcer la politique de la ville et surtout faire le lien entre « Action Cœur de ville » et les quartiers. En parallèle, nous intégrons aussi les quartiers de gare. 
 
La transition écologique est incontournable, mais ne faudrait-il pas revenir sur les dates-butoirs de 2025, 2028 et 2034 à partir desquels les logements E, F et G vont être interdits à la location ?

Nous ne pouvons pas dire d'un côté qu'il y a une urgence climatique et de l'autre laisser des passoires thermiques. Le logement représente 40 % des émissions de CO2. Nous finançons dans France Relance la rénovation de 22 millions de m2 de bâtiments publics et de logements sociaux. Sur une idée d'Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse et directeur de la Banque des territoires, la Banque postale vient de commercialiser le prêt avance rénovation. Une avance pour les acteurs privés qui ont peu de revenus. Ils n'ont pas à la rembourser, sauf lors de la cession du bien ou lors de la succession. Cela permet de faire baisser les factures énergétiques et de revaloriser les biens.
 
Pourquoi ne construit-on pas assez en France ?
 
Du fait du zéro artificialisation nette des sols, les maires doivent construire en hauteur, sur les friches et densifier les centres-villes, sauf que les Français craignent ces nouvelles constructions. L'idée qui circule qui consiste à donner les permis de construire aux préfets, sans concertation avec les élus, ne me paraît pas une bonne idée. Il faut un vrai dialogue pour faire atterrir les projets. Il faut donc laisser les permis aux élus mais leur donner tant des incitations que des contraintes financières. Le gouvernement a supprimé la taxe d'habitation, mais a redonné la taxe foncière. Allons plus loin en leur permettant d'obtenir des revenus supplémentaires pour construire des crèches et des écoles, et taxons-les s'ils ne construisent pas !

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Eric Lombard, "Au cœur de la finance utile, à quoi sert votre épargne ?", Editions de l'Observatoire.

Commentaires 5
à écrit le 19/02/2022 à 7:51
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Sérieusement, il sort un livre 50 jours avant les élections présidentielles sachant que le DG de la CDC est choisi par le président de la république. Dans son livre, il parle du dialogue social qu’il a mis en place sur ses 5 ans de direction ?! Il os...

à écrit le 18/02/2022 à 9:59
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Nos élites vont pas se remettre en question, tout va bien brave gens, le Titanic est insubmersible. Nos croulons sous les dettes et les déficits mais demain sera radieux.

à écrit le 18/02/2022 à 8:50
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"Cela vient du fait que la rentabilité du capital est excessive, au regard de celle du travail." Elle était excessive dès le début, dès le 19ème siècle Nietzsche voyait que les financiers gagnaient beaucoup plus que les ouvriers alors que travaillant...

le 18/02/2022 à 23:32
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je partage votre avis sur la "révolution internet"... techniquement, internet ne m'impressionne pas beaucoup. Le vrai changement est informatif, comme l'imprimerie au 16ème siècle, ou la presse aux 18ème et 19ème siècle. Internet est un peu comme ces...

le 19/02/2022 à 10:06
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lors forcément qu'au sein de cette avalanche d'informations il y en ai pléthore de bidons mais rien que les bonnes sont 1000 fois plus nombreuses que ce que nos médias de masse proposaient. On peut même se demander si c'est pas venu remplir un besoin...

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