Record du prix du gazole à la pompe, flambée des tarifs du gaz... depuis plusieurs mois, la poussée des prix de l'énergie accentue la pression sur le ministère des Finances. Après le chèque énergie, le gouvernement planche sur la mise en place d'un chèque essence. Sur l'antenne d'Europe 1 ce lundi matin, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a affirmé qu'il était plus favorable à la mise en place d'un tel dispositif qu'à une baisse de taxes sur le carburants.
"Aujourd'hui, un litre de de gazole, c'est 1,55 euro. Là dessus, il y a 60 centimes d'euros de taxes intérieures sur les produits énergétiques et 30 centimes d'euros de TVA. Cela fait 90 centimes d'euros de taxes. Certains nous disent qu'il faut mieux baisser les taxes sur les carburants. Je ne crois pas que ce soit la bonne option. D'abord parce que ça coûte très cher. Un centime de baisse du prix du carburant, c'est un demi milliard d'euros en moins. C'est injuste. Celui qui prendra son gros 4X4 diesel recevra la même compensation financière de l'Etat qu'une aide soignante obligée de prendre sa Clio pour sillonner les routes. C'est enfin une subvention à des carburants fossiles, ceux dont on veut se débarrasser" a déclaré le locataire de Bercy.
A quelques mois de l'élection présidentielle, la montée des prix de l'énergie pourrait bien faire dérailler la stratégie présidentielle centrée sur la hausse du pouvoir d'achat pendant le quinquennat. Le dossier est actuellement entre les mains du Premier ministre Jean Castex. "Les arbitrages vont arriver dans quelques jours. Les modalités ne sont pas simples à mettre en place pour cibler les bons ménages" explique l'entourage du chef du gouvernement interrogé par La Tribune.
Des chèques plutôt qu'une baisse de la fiscalité, une fausse bonne idée ?
La mise en oeuvre d'un chèque essence devrait permettre de limiter l'impact d'une hausse des prix des carburants sur les ménages français. Cette option est cependant loin d'être la panacée.
"Le chèque essence permet d'avoir une solution à court terme. Le problème de ce chèque est que l'on est face à un univers de montée des prix. Une grande partie des difficultés sont soit conjoncturelles, soit structurelles. Il faudra peut être réfléchir sur la taxation des prix de l'énergie à l'avenir. Les prix de l'énergie vont rester élevés pendant longtemps. Cela s'explique notamment par un sous investissement chronique dans les infrastructures d'approvisionnement et un changement de modèle économique des pays membres de l'OPEP. Le choix européen est de faire une transition énergétique sur des renouvelables (solaire, éolien) où les prix sont moins pilotables" explique à La Tribune Christopher Dembick, économiste chez Saxo Bank.
Même si l'exécutif estime que ces mesures devraient être transitoires, l'économiste pense plutôt que "ces chèques pourraient bien être pérennisés à l'avenir". De son côté, Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures (OFCE) économiques rappelle "qu'il existe une expérimentation dans les Hauts de France mais ce n'est pas forcément une mesure facilement généralisable à l'échelle de la France. Pour répondre à l'urgence, il faut créer le dispositif du chèque essence de toute pièce. Il faut de la transparence sur les critères d'attribution."
Outre l'impact budgétaire, l'une des difficultés pour l'exécutif est d'identifier les ménages qui en auraient le plus besoin. "On n'a pas aujourd'hui, comme pour le chèque énergie, une base de données de toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin. On n'a pas une base de données des gens qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler par exemple" a expliqué la ministre de la Transition énergétique Barbara Pompili. "L'avantage est que c'est une mesure qui permet de cibler les ménages modestes dont les effets de hausse des prix de l'énergie se ressentent. La difficulté est qu'il faut prendre en compte des critères de ressources et prendre en compte le transport professionnel. Le critère du transport professionnel est plus difficile à mettre en place. Le ciblage peut vite devenir compliqué pour mettre en place ce dispositif" affirme Mathieu Plane. "La baisse d'une fiscalité n'irait pas dans le sens d'une transition écologique et d'une baisse des inégalités. Le ciblage semble plus raisonnable mais il faut instruire ce dossier. C'est dommage que le gouvernement n'ait pas mis en place plus tôt cette mesure" ajoute-t-il.
L'inflation toujours tirée par l'énergie
Les derniers chiffres de l'inflation dévoilés par l'Insee montrent que les prix de l'énergie font grimper la hausse générale des prix. "Cette hausse est visible partout en Europe. C'est une hausse qui va se poursuivre dans les prochains mois notamment en raison de l'hiver. L'impact de la hausse des prix sur les marchés de l'énergie va se poursuivre. On estime qu'il faudra attendre le troisième trimestre 2022 pour observer une contribution négative des prix de l'énergie. Les prix vont probablement restés plus hauts plus longtemps que prévu" a déclaré récemment l'économiste d'ING Charlotte de Montpellier en charge du suivi de la France.
Outre la reprise économique, l'effet de base statistique sur l'inflation pourrait encore jouer un rôle jusqu'au mois d'avril 2022. En effet, les périodes de confinement ont tendance à freiner les prix. La comparaison sur une année glissante d'un indicateur comme l'inflation peut ainsi devenir délicate dans un contexte pandémique. Le retour vers "une normalisation" du fonctionnement de l'économie pourrait faciliter l'interprétation de cet indicateur. Enfin, l'inflation sous-jacente qui exclut les prix les plus volatiles comme l'énergie continue de baisser à 1,3% en septembre contre 1,5% en août.
Un impact possible sur la consommation
La flambée des prix de l'énergie pourrait avoir un impact sur la consommation, moteur traditionnel de l'économie française. En effet, cette hausse affecte directement les ménages situés en bas de l'échelle alors que ce sont ceux qui ont la plupart du temps la plus forte propension à consommer. "Cette période transitoire peut avoir un impact sur la facture d'énergie et donc sur des choix de consommation. La consommation pourrait être moins importante que prévu. Cette moindre consommation pourrait plomber un peu la reprise" avance Charlotte de Montpellier.
Le souvenir des gilets jaunes
Le souvenir de la révolte "des gilets jaunes" n'est pas très loin. En novembre 2018, la hausse d'une taxe sur l'essence avait embrasé une partie de la France des ronds-points. En seulement quelques semaines, des groupes de "gilets jaunes" avaient obligé le gouvernement à réagir. Le chef de l'Etat Emmanuel Macron avait dû sortir un arsenal de mesures destiné à calmer la colère des manifestants. Pour éviter un nouvel épisode, l'exécutif semble vouloir exclure l'instrument fiscal. Sur ce sujet, il faut dire que les risques d'implosion sociale sont nombreux. Une récente note de la Banque de France rappelait que "une hausse de 1% du prix du gazole raffiné importé se traduit in fine par une hausse de 0,75% du prix HT et de 0,3% du prix TTC du gazole à la pompe en France". De son côté, Charlotte de Montpellier rappelait que "les hausses de l'énergie ne se répercutent pas de la même façon selon les ménages. Un ménage en zone rurale sera peut être plus concerné par la hausse des prix de l'essence. Sur l'énergie, cela peut toucher des ménages plus précaires. On l'a vu avec les "gilets jaunes".
Le sujet brûlant du pouvoir d'achat avant la présidentielle
La hausse des prix de l'énergie a remis au centre des débats la question cruciale du pouvoir d'achat. Sondage après sondage, le porte-monnaie demeure d'ailleurs la principale préoccupation des Français. Dans la course pour la présidentielle, les propositions émanent de toutes parts. A droite, le président des Hauts de France Xavier Bertrand a par exemple proposé de mettre en oeuvre une prime au travail versée à tous les salariés qui gagnent moins de 2.000 euros par mois.
A l'aile gauche, Jean-Luc Mélenchon promet un SMIC à 1.400 euros net par mois. "Le pouvoir d'achat augmente en moyenne mais les ménages n'en ressentent pas forcément ces effets. L'énergie vient rogner ces annonces [...] Est-ce qu'il faut pérenniser le dispositif du chèque essence? Il y a la peur d'une crise des gilets jaunes et d'une crise sociale" explique Mathieu Plane. A quelques mois de la dernière ligne droite pour l'Elysée, la pression s'accroît sur les épaules de la Macronie.