L'onde de choc de la guerre en Ukraine continue de se répercuter deux mois jour pour jour après le début de l'invasion russe. Alors que l'année 2021 augurait de très bonnes perspectives pour l'emploi des cadres, l'invasion de l'armée russe en Ukraine a considérablement assombri l'horizon économique. "Il y a une inflexion. Les perspectives restent positives mais on a perdu de l'élan par rapport au début de l'année avec la guerre en Ukraine", a déclaré Gilles Gateau, le directeur général de l'association pour l'emploi des cadres lors d'un point presse. "Au premier trimestre, il y a sans doute eu un effet rattrapage pour les offres d'emploi publiées sur notre site mais au second trimestre, le climat d'incertitude lié à la guerre commence à peser sur la confiance des entreprises", ajoute-t-il.
La plupart des instituts de prévision ont déjà dégradé leurs chiffres de croissance pour l'année 2022. Le FMI projette une croissance économique en France de 2,9% contre 3,5% en janvier. Dans les semaines à venir, l'exécutif devrait sans doute réviser à la baisse sa prévision de croissance toujours établie à 4%. En avril, le moral des ménages a baissé à un niveau inédit depuis décembre 2018 en pleine crise des "gilets jaunes" selon les derniers chiffres de l'Insee dévoilés ce mercredi 27 avril.
7.000 embauches de cadres en moins à prévoir
L'un des grands enseignements de cette vaste enquête est que l'APEC a révisé à la baisse ses chiffres de prévisions d'embauches pour 2022 entre la fin du mois de décembre 2021 et le mois avril. L'association paritaire table désormais sur 282.000 embauches contre 289.000 lors de sa précédente estimation, soit 7.000 de moins. En 2021, plus de 269.000 embauches de cadres ont été recensées dans le contexte du fort rebond de l'économie après une année 2020 au plus bas, au moment du pic de la pandémie (228.000). En 2022, le niveau de recrutement des cadres retrouverait son niveau d'avant crise sans le dépasser.
"Les intentions de recrutement fléchissent dans les grandes entreprises au cours du deuxième trimestre", complète Gilles Gateau. Entre décembre dernier et avril, la part des grandes entreprises ayant l'intention d'embaucher est passée de 67% à 58% (-9 points). Chez les PME de moins de 250 salariés, cette proportion est passée de 19% à 16%. À l'opposé, les intentions grimpent légèrement chez les TPE de moins de 10 salariés, passant de 7% à 9%. Entre avril et juin prochain, la part des entreprises industrielles qui envisagent de recruter pourrait chuter de trois points.
La Bretagne et PACA tirent leur épingle du jeu
Sur le plan géographique, trois régions se distinguent positivement. "Il s'agit de la Bretagne, Provence-Alpes-Côte d'Azur et la Nouvelle Aquitaine", souligne Pierre Lamblin, directeur des études à l'APEC. Ces territoires devraient connaître une hausse des embauches sur la période 2019-2022. En Bretagne, l'APEC s'attend à un véritable boom sur cette période. À l'échelle globale, "cinq régions font les trois quarts des recrutements en France. En Ile-de-France, le poids des services et la présence des sièges sociaux sont très importants", ajoute Pierre Lamblin.
À l'opposé, les deux longues années de pandémie ont laissé des séquelles dans d'autres régions à l'instar du Grand Est (-4%) des Hauts-de-France (-3%), ou encore la Bourgogne-Franche-Comté (-2%). Le poids de certains secteurs en perte de vitesse comme l'industrie peuvent expliquer certaines différences géographiques notamment.
L'industrie dans le rouge
Sur le plan sectoriel, les recrutements de cadres sur la période 2019-2022 accusent un sérieux repli (-14%). Même si les perspectives d'embauche pour cette année sont supérieures à 2021 et 2020, elles sont encore loin d'avoir retrouvé leur niveau d'avant crise. Dans le commerce également, les recrutements de cadres sont également en berne sur la même période, même si la baisse n'est pas aussi prononcée que dans l'industrie (-3%). À l'inverse, les services (+5%) et la construction (+5%) sont relativement dynamiques sur toutes ces années. "Les services restent le moteur de l'embauche des cadres en France", résume Pierre Lamblin.
Sans surprise, les activités informatiques, l'ingénierie et la R&D ou encore les activités juridiques et le conseil devraient continuer d'embaucher des cadres à tour de bras dans les mois à venir. En revanche, l'horizon est beaucoup plus bouché dans l'hôtellerie, la restauration et les loisirs (-25% sur la période 2019-2022), l'automobile et l'aéronautique (-21%), la communication et les médias (-21%), la chimie et l'industrie pharmaceutique (-20%) ou encore la distribution (-17%).
Des tensions de recrutement toujours élevées
Malgré un avenir plus sombre, les tensions de recrutement demeurent particulièrement élevées. À la fin du premier trimestre 2022, 69% des répondants indiquaient avoir eu des obstacles pour recruter. Ils étaient 46% à la même période il y a un an et 8 sur 10 anticipent des difficultés dans les trois mois à venir. "Au premier trimestre, ces difficultés se sont fortement accentuées. Certaines entreprises ont tellement de difficultés qu'elles renoncent parfois à recruter", a indiqué Gilles Gateau. En 2021 par exemple, une entreprise sur cinq avait renoncé à un recrutement.
Parmi les facteurs qui peuvent expliquer ces obstacles figurent en premier lieu le manque de profils disponibles ou la concurrence avec d'autres employeurs. D'autres entreprises évoquent le manque d'attractivité du territoire, le déficit de notoriété de l'entreprise ou les prétentions salariales des candidats. "Tous ces obstacles peuvent avoir des lourdes conséquences sur l'activité de l'entreprise comme la surcharge de travail pour les équipes, la dégradation du travail effectué ou la qualité de service rendu [...] Les difficultés de recrutement sont un frein à la croissance potentielle qu'il ne faut pas sous-estimer", souligne Gilles Gateau.
L'insertion professionnelle des jeunes cadres rendue plus difficile par la pandémie
La pandémie laisse des traces importantes sur l'insertion professionnelle des jeunes même chez les plus diplômés. Interrogé sur ce point par La Tribune, Gilles Gateau estime que "la pandémie a eu des conséquences massives sur l'insertion des jeunes, en particulier sur la promotion de l'année 2019/2020. Il y a un véritable besoin d'accompagnement".
L'arrêt de nombreux cours pendant de longs mois et la mise sous cloche de l'économie ont considérablement pesé sur l'insertion professionnelle de nombreux jeunes. En outre, la pandémie a également eu des répercussions sur "les questions de sens". "Beaucoup s'interrogent sur leurs aspirations à la fin de leurs études. Beaucoup de jeunes de jeunes de moins de 35 ans viennent nous voir tous les jours pour évoquer ces questions alors qu'il y a dix ans, c'était anecdotique", assure le dirigeant.