Entre leurs activités de production de biens et de services et le fait qu'elles sont un creuset de sociabilité pour les salariés, « les entreprises sont l'un des plus puissants leviers de la transformation de la société », comme l'a souligné Emery Jacquillat, président de la Camif et de la Communauté des entreprises à mission, lors de l'une des conférences organisées dans le cadre des Universités d'été de l'Economie de Demain, portées par le Mouvement Impact France, réunissant 25 réseaux d'entreprises engagées dans la transformation écologique et sociale, les 26 et 27 août. Face à l'urgence sociale et environnementale, cette transformation va-t-elle assez vite ? Certainement pas. Doit-elle prendre de l'ampleur, fédérer le plus grand nombre d'acteurs possible et, par là même, avoir un impact à la hauteur des enjeux ? Absolument ! répondent les entrepreneurs engagés présent pour ces deux jours de réflexion.
Reste à savoir comment poursuivre les efforts déjà entamés et articuler toutes les actions entre elles. Pour cela, il faut, en premier lieu, « ne pas avoir peur de remettre en question les règles capitalistes actuelles », avance Eva Sadoun, co-fondatrice et présidente de la plateforme d'investissement dans des entreprises à impact social et environnemental LITA.co. En d'autres termes, « il faut sortir du narratif simpliste, souligne l'ancien PDG de Danone, Emmanuel Faber, qui veut encore que la compétitivité ne passe que par les coûts. »
Accompagnement social
La nouvelle comptabilité que prépare l'Union européenne, applicable dès 2023, inclura l'impact environnemental des entreprises, de même que leurs risques financiers liés aussi bien à l'environnement qu'à des enjeux sociaux et de gouvernance. A cet égard, Emmanuel Faber estime que si la prise de conscience concernant les enjeux écologiques semble acquise, « l'accompagnement social de cette transition est crucial ». De fait, « il faut s'assurer de ne pas créer une crise sociale avec la transition écologique, et pour ce faire, d'abord travailler à réduire les inégalités sociales, par le biais de la formation et de la fiscalité, entre autres », ajoute Eva Sadoun. Car c'est « la transition sociale qui va rendre la transition climatique possible », assure Emmanuel Faber. Autrement dit, au delà de l'acceptabilité des efforts nécessaires pour l'avènement d'une économie plus verte et d'une croissance plus durable, la reconversion vers de nouveaux emplois, la revalorisation des salaires, l'accès au monde du travail et l'égalité des chances doivent être au cœur des politiques publiques comme des stratégies d'entreprises. Dans ces conditions, conclut Emmanuel Faber, « la compétitivité sociale est possible ! ».
Ce n'est pas Olivia Grégoire, secrétaire d'Etat chargée de l'Economie sociale, solidaire et responsable, qui le contredira, elle qui appelle à « un nouveau contrat social » (voir son entretien video ici). Au-delà de la plateforme Impact, lancée en mai dernier et qui vise à familiariser les entreprises au reporting extra-financier, elle s'est prononcée, en clôture des Universités d'été de l'Economie de Demain, en faveur d'un accès aux « données chiffrées et opposables », dans ce domaine, de même qu'elle soutient non seulement le projet de directive européenne sur les rapports de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive), mais aussi l'Impact Score promu par le Mouvement IMPACT France (qui comprend l'impact écologique, l'impact social - réduction des inégalités et inclusion - ainsi que le partage de la gouvernance et le partage de la valeur). Et ce n'est pas le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, présent lui aussi aux Universités d'été de l'Economie de Demain, qui barrera la route à cette nouvelle génération d'entreprises responsables. D'ailleurs, s'il estime que les entrepreneurs engagés, dont il a salué les initiatives, sont « l'avant-garde », il ne voit pas, dans leur fonctionnement, de réelle différence entre les entreprises classiques et celles de l'Economie Sociale et Solidaire. « Le statut ne fait pas la vertu », a d'ailleurs tranché Jean-Marc Borello, président du directoire du groupe SOS.
Récompenser les entreprises vertueuses
En matière de protection de l'environnement, le patron des patrons soutient le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe, officiellement proposé par la Commission européenne le 14 juillet dernier, de nature à favoriser les entreprises vertueuses. D'autant que pour l'heure, « il est encore moins cher, pour les entreprises, de polluer », s'emporte Estelle Brachlianoff, directrice générale adjointe en charge des opérations de Veolia, alors que les solutions pour éviter les émissions existent. Il suffit de les déployer à grande échelle.
Quant à l'action des pouvoirs publics dans ce domaine, elle doit être ciblée. « Chaque euro d'argent public versé doit être conditionné au climat et au respect de l'environnement », a ainsi martelé Yannick Jadot, le candidat à la primaire écologiste. C'est le cas du plan de relance, a fait valoir Olivia Grégoire, puisqu'il impose, par exemple, en contrepartie aux crédits alloués, la publication d'un bilan des gaz à effet de serre pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Un dispositif que nombre d'écologistes et d'ONG considèrent cependant trop timide...
Une nouvelle compétitivité sociale
Restent les outils de compétitivité sociale, qui restent eux aussi encore à déployer dans de nombreux cas. D'ailleurs, si les entreprises doivent ressembler à la France, de quelle France s'agit-il ? « Pas celle qui, en matière de mobilité sociale, demande encore six générations pour qu'une famille pauvre atteigne le revenu moyen, relève Elizabeth Tchoungui, directrice exécutive RSE, Diversité et Solidarité du Groupe Orange. L'entreprise doit aller au-delà du paysage de la société ». Nombre d'entreprises agissent déjà, sous la forme de recrutement plus inclusifs, de parcours professionnels plus soucieux de l'égalité, de passerelles de reconversion, de coups de pouce aux jeunes... Le gouvernement fait de même, avec divers dispositifs, tels qu'un jeune une solution. Une question de la salle est cependant venue rappeler à l'ordre les intervenants : « Comment, alors que vous êtes tous des bac+5, pensez-vous pouvoir manager l'inclusion ? ». Clairement, le chantier social est encore loin d'être achevé...