Un nouveau modèle industriel français en gestation

Pour Gérard Russo, PDG de Ventana, si le Mittelstand correspond bien à la culture allemande, la France doit se construire un autre modèle, fondé sur ce qu'il appelle la bienveillance. Avec la French Fab, il y travaille.
(Crédits : DR)

« Dans tout ce qui vole, y compris vers Mars, il y a, dans le monde libre, des pièces fabriquées par Ventana ! », s'exclame Gérard Russo, PDG de cette ETI industrielle basée à Narcastet, dans les Pyrénées-Atlantiques, et spécialisée dans la fabrication de composants et d'ensembles métalliques complexes pour l'aéronautique, le spatial et la défense... Ces prouesses, et celles de l'industrie française dans son ensemble, ont de quoi apporter de la fierté au grand public et permettre à des jeunes de se projeter dans un monde nouveau, « qui n'a rien à voir avec Zola », celui du 4.0.

Ambassadeur de la première heure

Gérard Russo est un pionnier. Et il l'est à plus d'un titre. A travers ses activités, évidemment, dans la fonderie et l'usinage de pièces très sophistiquées, pour des clients comme Thales, Airbus, Rolls Royce, Safran, Pratt Whitney, élaborées sur sept sites (dont cinq en France, un en Suède et un en Autriche), par le biais de ce qu'il appelle « la fabrication augmentée », faite d'outils conventionnels auxquels s'ajoute la 3D à certaines étapes, mais aussi à travers son approche de la dynamique industrielle française.

« Nous étions au CES de Las Vegas, en 2017, lorsque Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, a lancé l'idée de la French Fab. J'ai tout de suite adhéré et nous avons fait partie des premiers à signer la charte », se souvient Gérard Russo. Depuis, il est devenu ambassadeur du mouvement en Nouvelle-Aquitaine. Son ambition, en tant qu'ambassadeur, est triple. D'abord, il s'agit de changer l'image de l'industrie auprès du public, pour qu'il prenne conscience que « l'industrie française fait ce qu'il y a de mieux sur la planète ». Ensuite, il faut attirer les jeunes vers les métiers industriels, par le biais de l'alternance, notamment, « puisque l'école ne les forme quasiment plus », dit-il, sans oublier de convaincre les parents, qui rechignent encore à orienter leurs enfants vers ce secteur. Enfin, il veut faire évoluer les habitudes des acteurs de l'industrie, pour qu'ils travaillent mieux ensemble, grâce au sentiment d'appartenance qu'insuffle la French Fab.

Et pas question d'imiter le modèle allemand. « Je travaille dans l'univers germanique, souligne-t-il, alors je sais comment fonctionne le Mittelstand. La culture française est différente ». Moins collaborative - « les patrons d'entreprises industrielles françaises restent encore trop dans leur coin », relève-t-il. Moins solidaire, aussi - « les grands groupes français n'hésitent pas à changer de sous-traitants et à aller à l'étranger si le prix est meilleur », regrette-t-il. Bien entendu, il ne s'agit pas de s'affranchir des contraintes financières, même si les usines 4.0 comme la sienne sont extrêmement compétitives, en termes de coûts, de qualité et de rapidité d'exécution, mais de faire preuve d'un peu plus d'esprit de corps. Pour ce faire, les activités de la French Fab jouent un rôle clé.

Décloisonnement et solidarité

Les rencontres et les contacts qui ont lieu lors de manifestations, de voyages d'étude ou de visites en commun de salons spécialisés, comme, récemment, la foire d'Hanovre, « permettent de se dire un jour 'ce dossier pourrait intéresser tel ou tel industriel que j'ai rencontré dans le cadre de la French Fab' et de le contacter », avance Gérard Russo. Autrement dit, le nouveau modèle français, actuellement en gestation, doit être fondé sur « la bienveillance » et le décloisonnement, sans oublier une certaine « fidélité ».

Autant de qualités que cet ingénieur formé à Metz et « tombé tout petit dans l'aéronautique », cultive depuis toujours. N'est-il pas encore accompagné chez Ventana par Guy Kilhoffer, son associé et surtout, son ami d'enfance, né la même année, le même mois, dans la même maternité et ingénieur comme lui ? « Nous avons même un CV identique, puisque que nous avons commencé ensemble à Turboméca (devenu Safran Helicopter Engines), il y a des années », s'amuse Gérard Russo. Après 10 ans en France puis cinq ans à Dallas, le voici de retour en France, en 2000. Il passe chez Ventana, dont il prend les commandes en 2005. La société, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 48 millions d'euros l'an dernier, dont 35 % à l'export, compte 490 salariés (y compris 10 % d'alternants - ingénieurs, techniciens, opérateurs).

Comment anticipe-t-il l'avenir de l'entreprise qu'il dirige à 10 ou 15 ans ? « J'ai 58 ans, alors j'espère que je serai à la retraite ! », s'exclame-t-il, pour prévenir, plus sérieusement, qu'il est très difficile de prévoir à plus de 18 mois dans son secteur. Il suffit en effet qu'un modèle d'avion soit abandonné, comme l'A380, qu'un autre ait des problèmes, comme le 737 Max de Boeing, et l'impact se répercute sur les sous-traitants comme Ventana.

Cela dit, Gérard Russo espère bien qu'à un horizon pas trop lointain, sa philosophie, dans la vie comme dans les affaires, se sera diffusée dans toute la French Fab et qu'un nouveau modèle industriel français aura non seulement émergé, mais sera solidement ancré dans l'Hexagone.

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