
L'épargne des Français aiguise les appétits du gouvernement. Au printemps 2020, le confinement a fait bondir l'épargne des Français. Empêchés de consommer, et face à un avenir assombri, les Français ont pu épargner une grande partie de leurs revenus pendant les longues périodes de mise sous cloche de l'économie tricolore. Selon la Banque de France, l'encours total (corrigé des effets de valorisation) avoisinait les 5.300 milliards d'euros à la fin de l'année 2022. De son côté, l'Observatoire Français des conjonctures économiques (OFCE) estime que la surépargne s'élevait à 172 milliards d'euros à fin 2022.
Trois ans après, la guerre en Ukraine a ravivé le spectre d'une nouvelle crise économique. L'inflation continue de grignoter le pouvoir d'achat des ménages. Et les Français qui le peuvent continuent de puiser dans leur épargne pour consommer tandis que d'autres mettent de côté par prudence. Dans ce contexte, le gouvernement a cherché des pistes pour financer la décarbonation de l'industrie.
Parmi les leviers présentés, figure un plan d'épargne avenir climat. Au micro de BFM, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a déclaré ce lundi 15 mai: «L'industrie demande beaucoup de capital. Il y a du capital public (...) mais il faut aussi que l'épargne privée soit mobilisée ». Après la présentation de la stratégie de désindustrialisation d'Emmanuel Macron jeudi dernier, Bruno Le Maire, Christophe Béchu (Ecologie) et Roland Lescure doivent détailler les articles du projet de loi industrie verte ce mardi 16 mai à Bercy. Dans l'exposé des motifs encore provisoire consulté par La Tribune, l'exécutif explique que « pour répondre aux besoins massifs de financement, l'épargne privée doit être fléchée en priorité en faveur des industries vertes. C'est l'objet de la création du plan d'épargne Avenir Climat pour les mineurs, qui permettra des investissements plus risqués et à long terme, ainsi que du développement du capital-investissement dans l'assurance-vie et le PER ». L'Etat devrait abonder ce compte à l'ouverture, mais les modalités n'ont pas encore été précisées.
Un plan d'épargne climat pour une collecte annuelle estimée à 1 milliard d'euros
Le dispositif annoncé par le ministre de l'Economie vise à répondre à deux objectifs selon une note de Bercy : « permettre aux parents de préparer l'insertion future de leurs enfants et préparer le monde de demain en finançant par un capital patient la transition bas-carbone ». Au total, les équipes de Bercy espèrent que la collecte annuelle de ce produit pourrait rapporter 1 milliard d'euros « à son plein potentiel ». Cet outil consiste à ouvrir un plan d'épargne pour les mineurs et l'épargne accumulée sera débloquée à la majorité de l'enfant.
Ce produit devrait être exempté de cotisation et d'impôt. Quant au plafond, il devrait s'établir à un niveau comparable à celui du Livret A, soit 23.000 euros. Il sera fixé par décret. Quant aux modalités fiscales et sociales, elles seront précisées dans le prochain budget 2024 présenté habituellement à l'automne.
Un plan d'épargne sans garantie
La proposition du gouvernement suscite des interrogations chez les économistes et les ONG. L'exécutif n'a cessé d'afficher depuis plusieurs jours son ambition de verdir l'économie tricolore. Lors de la grande réception organisée à l'Elysée la semaine dernière, Emmanuel Macron a présenté sa stratégie pour « la mère des batailles ». «La bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique. Il nous faut plus de travail, de capital et de progrès technique pour avoir une réponse au climat et à la biodiversité », avait déclaré le quadragénaire.
Mais « les outils financiers mis sur la table ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le plan avenir climat pour les jeunes ne donne aucune garantie que l'économie brune bascule vers l'économie verte » , juge Antoine Laurent de Reclaim Finance. L'organisation non gouvernementale s'interroge sur la population visée. « Il est étonnant d'aller cibler les mineurs alors qu'ils n'ont pas forcément le plus d'épargne et n'ont pas ou très peu de patrimoine. Il serait plus logique d'aller chercher de l'assurance-vie », poursuit l'ancien conseiller du député Mathieu Orphelin.
Des investissements colossaux à prévoir
Surtout, les besoins en investissements pour assurer la transition écologique sont colossaux en France. Dans une récente étude, l'institut pour l'économie du climat (I4CE) a estimé ces besoins dans une fourchette allant de 3 à 14 milliards selon les scénarios. Ces montants se limitent à la production d'acier, de ciment, d'alcènes et aromatiques, et d'ammoniac. Mais en prenant en compte l'ensemble de la production industrielle tricolore, cela « demandera donc bien plus d'investissements », préviennent les économistes.
Sollicité par la Première ministre Elisabeth Borne, l'économiste Jean-Pisani Ferry, pilier du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017 doit présenter en début de semaine prochaine un rapport crucial sur les incidences économiques de l'action pour le climat. Déjà à l'automne, l'ancien commissaire au plan avait chiffré, dans une note d'étape, les investissements publics et privés à 2,5 points de produit intérieur brut, soit 70 milliards d'euros d'ici 2030.
Dans l'étude d'impact du projet de loi consultée par La Tribune, aucun effet levier de ce produit d'épargne sur l'investissement en faveur de la transition n'est précisé. Or, une estimation aurait pu permettre d'avoir une idée de « l'effet multiplicateur » de ce type d'outil. Autant dire que ce nouveau livret pourrait avoir un effet macroéconomique relativement limité au regard des enjeux. « Ce produit va coûter un milliard d'euros aux finances publiques sans condition [...] Il faut mettre en place des garde-fous et faire en sorte que ce texte aille soutenir des secteurs émergents de l'économie verte », conclut Antoine Laurent.