
« Les inégalités qui existent dans nos sociétés, qui existent entre nos pays, qui existent entre certains continents de la planète sont devenues insoutenables sur un plan démocratique ». Lors d'un discours fleuve prononcé à Tokyo en juin 2019, le président Emmanuel Macron avait pointé du doigt les risques politiques des écarts de richesse avant une nouvelle réunion du G20. Quelques mois après l'essoufflement de la colère des « gilets jaunes » qui éclata à l'automne 2018, le président de la République sortait à peine une crise sociale inédite.
À l'époque, cette révolte des ronds-points avait braqué les projecteurs sur les inégalités frappantes entre les territoires en France. Quatre ans après, le fossé entre les régions est loin d'être résorbé. Dans un épais rapport dévoilé ce lundi 2 octobre, l'OCDE a mis en lumière la persistance des disparités régionales en France et dans un grand nombre de pays riches sur les deux dernières décennies.
« La mondialisation a contribué à la convergence entre régions des pays développés. Cependant, toutes n'ont pas pu participé de la même manière à cette économie mondialisée », a déclaré lors d'un point presse Mathias Cormann, secrétaire général de l'OCDE à Paris.
Cette publication vient corroborer la thèse défendue du retour des inégalités territoriales par les économistes Thomas Piketty et Julia Cagé dans leur récent ouvrage « Une histoire du conflit politique».
Des inégalités régionales criantes en France
La France est avant tout marquée par des disparités régionales criantes. L'Hexagone fait partie des pays riches dont les revenus par habitant sont supérieurs à la moyenne de l'OCDE, mais dont les inégalités entre les régions se sont creusées. A l'instar des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou du Japon, les écarts de revenus se creusent entre les grandes métropoles et les zones rurales. « Paris et le désert français ne sont plus vraiment d'actualité. En revanche, la région parisienne continue de concentrer la richesse et la population », confie à La Tribune Lamia Kamal-Chaoui, directrice du centre de l'OCDE pour l'entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes. « Il y a des ressorts de croissance qui font défaut dans les zones rurales », ajoute-t-elle.
Malgré les différentes vagues de décentralisation entamées depuis le début des années 80, les campagnes et les villes moyennes ont subi de plein fouet la concentration des centres de décision et des emplois à forte valeur ajoutée dans les grandes métropoles. A cela se sont ajoutés le déclin démographique de ces territoires au bénéfice des grandes villes et les ravages de la désindustrialisation dans des grands bassins d'emplois.
Face à cet écart inquiétant, l'experte de l'OCDE recommande « de reterritorialiser les politiques industrielles à l'image des territoires d'industrie. La décentralisation doit se poursuivre ». Citant la loi NOTre (Nouvelle organisation territoriale) votée en 2015 sous François Hollande, elle estime que cette réforme des grandes régions « doit s'accompagner de moyens supplémentaires » et pointe enfin « l'éternelle question des 34.000 communes et le millefeuille administratif ».
L'Allemagne, les Pays-Bas et la Scandinavie tirent leur épingle du jeu
A l'opposé de la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et la Finlande ont réussi à réduire leurs inégalités régionales sur les 20 dernières années. Ces économies ont montré « qu'il était possible de combiner un niveau élevé de PIB par habitant et la réduction des inégalités territoriales », soulignent les économistes.
S'agissant de l'Allemagne ou de la Finlande, plusieurs régions perdant de la population «se sont classées parmi les régions enregistrant la plus forte progression de leur PIB par habitant entre 2001 et 2019, notamment grâce à des investissements dans une production à plus forte intensité capitalistique qui contribuent à leur permettre de surmonter le manque de main-d'œuvre ». De l'autre côté du Rhin, l'organisation du territoire en Länder est souvent avancée par les économistes pour expliquer un meilleur équilibre économique au sein de la première puissance de la zone euro.
Inégalités : enrayer « le cercle vicieux du déclin »
Cette persistance des inégalités géographiques comporte de nombreux risques a alerté, l'institution internationale basée à Paris. Les disparités d'accès aux services publics, aux moyens de transport, aux établissements scolaires de qualité « enclenchent un cercle vicieux de stagnation et de déclin ».
En France, la crise des « gilets jaunes » à l'hiver 2018 a jeté une lumière crue sur le sentiment d'abandon chez les Français dépendants de la voiture pour aller travailler. A l'étranger, les votes en faveur du Brexit au Royaume-Uni de Donald Trump aux Etats-Unis ont révélé la défiance des populations à l'égard des institutions. Beaucoup d'électeurs ont témoigné de leur mécontentement dans ces scrutins aux conséquences immenses.
Le double risque de la transition écologique et numérique
La crise financière de 2008, la pandémie mondiale et la guerre en Ukraine ont assombri les perspectives dans de nombreuses régions. « Dix ans après la crise financière, la moitié des régions de l'OCDE n'avait pas retrouvé leur niveau d'emploi pré-crise. Cette crise du coût de la vie a pesé sur les ménages les plus dépendants de l'énergie », a expliqué Lamia Kamal-Chaoui.
Face au réchauffement climatique accéléré et la numérisation à marche forcée de l'économie, le fossé entre les métropoles et les zones rurales pourrait encore se creuser.« Beaucoup de zones rurales concentrent des emplois liés à des activités polluantes qui pourraient disparaître », ajoute l'économiste. En France, la multiplication des fermetures de fonderies fabriquant des pièces pour les moteurs thermiques partout sur le territoire a montré toutes les difficultés à faire cette transition sans faire de dégâts.
Plusieurs usines de batteries électriques sont certes venues s'implanter dans le Nord notamment. Mais des milliers de salariés ayant perdu leur poste risquent de ne jamais retrouver un emploi équivalent dans la filière automobile à proximité de leur lieu de résidence. « Ces régions devront être soutenues si on veut faire une transition juste. Il faut absolument mettre l'accent sur des politiques territoriales renforcées ». Reste à savoir si ces prescriptions seront suivies par le gouvernement.