« Ce que nous sommes en train de vivre est de l'ordre d'une grande bascule ou d'un grand bouleversement.» Lors du premier conseil des ministres de la rentrée la semaine dernière, le chef de l'Etat Emmanuel Macron a tenu un discours alarmiste après un été marqué par une succession de crises. Il a évoqué notamment « la fin de ce qui pouvait être comme une abondance : des liquidités sans coûts [...], des produits et des technologies [...] de la terre et de l'eau.»
Six mois jour pour jour après l'éclatement de la guerre en Ukraine, le gouvernement doit toujours faire face à de nombreux défis. À l'hippodrome de Longchamp ce lundi après-midi, la Première ministre Elisabeth Borne doit prononcer un discours très attendu devant un parterre de patrons, ministres et d'organisations syndicales. La Rencontre des entrepreneurs de France (REF) du Medef sera l'occasion pour la cheffe de l'exécutif de faire sa rentrée économique et sociale sur fond d'incertitudes géopolitiques et de crise climatique. Entre l'inflation, l'énergie, la réforme de l'assurance chômage et le chantier épineux des retraites, les dossiers brûlants s'accumulent sur le bureau de la Première ministre.
Lors d'un entretien accordé au Parisien/Aujourd'hui en France ce dimanche, Elisabeth Borne a annoncé qu'en plus d'un plan de sobriété, elle présentera « un plan d'actions de plus long terme sur la planification écologique à l'automne». Cette feuille de route sera assortie d'un Fonds vert d'1,5 milliard d'euros à destination des collectivités pour les soutenir dans leur transition. Cette enveloppe devrait permettre de «réhabiliter des friches pour limiter l'étalement urbain, de rénover énergétiquement les bâtiments publics ou de ramener la nature dans les villes.»
L'inflation, dossier brûlant de la rentrée
L'indice des prix à la consommation continue de grimper en flèche. Après avoir atteint 6,1% en juillet, la plupart des économistes interrogés par La Tribune ces derniers jours estiment que le pic d'inflation n'est pas encore passé contrairement à ce qu'a affirmé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire dans un récent entretien au quotidien Sud-Ouest. « Le choc inflationniste est très important. Le pic d'inflation est devant nous », a déclaré l'économiste de BNP-Paribas Hélène Baudchon.
Cette flambée des prix alourdit la facture pour les entreprises et les ménages depuis maintenant plusieurs mois. Face à cette poussée de fièvre des prix, le gouvernement a fait voter en plein cœur de l'été un paquet pouvoir d'achat comprenant de nombreuses mesures (bouclier tarifaire, ristourne sur l'essence, suppression de la redevance audiovisuelle, déplafonnement de la prime, revalorisation des minimas sociaux) destinées à amortir ce choc mais le prolongement de la crise énergétique pourrait bien compliquer l'équation de l'exécutif. En effet, la fin du bouclier tarifaire pourrait faire exploser les prix.
Or la perspective d'un ralentissement de l'inflation à court terme est de moins en moins crédible aux yeux de nombreux économistes. En effet, une coupure de gaz russe en Europe dans les prochains mois pourrait une nouvelle fois propulser l'indice général des prix à un niveau record. De son côté, Elisabeth Borne a tenté de rassurer. « Nous garderons des dispositifs pour amortir les hausses des prix de l'énergie. Et nous prendrons des dispositions spécifiques pour accompagner les plus fragiles. Les Français peuvent être rassurés, nous amortirons les hausses, nous n'allons pas laisser les prix de l'énergie exploser », a-t-elle indiqué dans Le Parisien/Aujourd'hui en France.
En outre, les tensions dans le monde du travail se multiplient. Au Royaume-Uni, une vague de grèves pour protester contre la hausse du coût de la vie s'est propagée dans de nombreux secteurs ces dernières semaines (transport, poste, hôpitaux). En France, les membres du gouvernement redoutent une montée de la grogne sociale alors que la majorité des salaires en France sont désindexés de l'inflation en France depuis les années 80, à l'exception du SMIC.
Crise énergétique avant l'hiver
En charge de la planification écologique et énergétique, Elisabeth Borne est en première ligne sur les dossiers de transition. Six mois après le début de la guerre en Ukraine, la France reste empêtrée dans de vastes difficultés énergétiques (prix, approvisionnement, retard dans les énergies renouvelables, infrastructures nucléaires défaillantes). Débutée en Europe il y a près d'un an, cette accumulation de crises a pris des proportions colossales au cours de l'été. Les prix de gros de l'électricité pour 2023 ont battu vendredi un record pour la France en dépassant le seuil de 1.000 euros le mégawattheure (MWh), contre environ 85 euros le MWh il y un an. Les cours du gaz évoluaient à des niveaux historiques, plus vus depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, soit plus de 300 euros le MWh.
Au mois d'août, le prix du gaz a atteint 238 euros le MWh en moyenne contre 20 euros en 2019 sur la même période sur le Vieux continent. Les prix de l'électricité dépendant en grande partie des prix du gaz continuent également de s'envoler en raison notamment des difficultés d'approvisionnement dans toute l'Europe.
Outre la flambée des prix, la volonté de remplacer le gaz par du pétrole et du charbon pourrait faire bondir les émissions de CO2 en Europe et en France. Ce qui devrait éloigner la France de ses objectifs environnementaux alors que le réchauffement climatique a frappé de plein fouet l'Hexagone cet été (sécheresse, pénurie d'eau, violents orages, méga incendies). Face à tous ces risques, le gouvernement doit présenter un projet de loi pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables destiné à rattraper le retard tricolore. Pour rappel, la France est le seul pays européen à ne pas tenir ses objectifs en matière d'énergies renouvelables.
Mais « la Russie a tout intérêt à réduire ou couper ses livraisons de gaz avant que l'UE n'ait eu le temps de bâtir les infrastructures permettant de diversifier ses achats (gaz liquéfié) ou de modifier son mix énergétique (investissement dans les renouvelables, voire le nucléaire) », souligne l'économiste en chef d'Oddo BHF, Bruno Cavalier, dans une récente note. Dans ce bras de fer avec le Kremlin, l'Europe se retrouve en mauvaise posture compte tenu de son niveau de dépendance au gaz et au pétrole russe.
Assurance-chômage : la réforme explosive de la rentrée
L'autre dossier explosif de la rentrée pour la Première ministre est la réforme de l'assurance-chômage. Premier texte au menu du Parlement début octobre, ce projet de loi prévoit simplement de prolonger jusque fin 2023 la convention actuelle d'assurance-chômage qui arrive à échéance le premier novembre. Les règles actuelles sont issues de la réforme décidée en 2019 sous le gouvernement d'Edouard Philippe. Elle a notamment durci les conditions d'indemnisation pour les « permittents » (ceux qui alternent emploi et chômage). Mais, du fait du Covid et des recours juridiques des syndicats, elles ne sont en vigueur que depuis le 1er octobre 2021 (pour le nouveau calcul de l'allocation) et le premier décembre (pour le durcissement des conditions d'accès).
Parmi les pistes évoquées par le gouvernement figure notamment la modulation des règles d'indemnisation en fonction de la conjoncture. « Il faut faire en sorte que lorsque l'économie va bien, les règles soient plus incitatives à la reprise du travail et que quand l'économie va moins bien, les règles soient plus protectrices », a répété le ministre du Travail Olivier Dussopt. Mais cette proposition est déjà contestée par les organisations syndicales, rappelant que seuls 40% des demandeurs d'emploi (inscrits en catégories A, B et C) sont indemnisés et jugeant que c'est d'abord l'attractivité des métiers qui est en cause.
Retraites : une entrée en vigueur avant 2023 selon Macron
Le dernier grand chantier qui attend la Première ministre est la réforme des retraites. Maintes fois repoussé, ce chantier controversé promet des débats houleux à l'Assemblée nationale. En effet, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a affirmé dans le quotidien régional Sud Ouest que cette réforme devait progressivement entrer en vigueur à l'été 2023. Ce qui signifie que les débats auront lieu au cours de la prochaine année parlementaire. Surtout, l'exécutif ne bénéficie plus que d'une majorité relative à l'Assemblée nationale. Après les dernières élections législatives, les deux projets de loi portant sur le budget rectificatif pour 2022 et sur le pouvoir d'achat ont donné lieu à de nombreuses passes d'armes et de vifs débats avant la pause estivale.
Sur la méthode, le gouvernement a promis plus de dialogue avec les partenaires sociaux et les oppositions mais là encore, les syndicats restent sceptiques. Enfin, il reste des modalités à préciser sur la mise en œuvre, notamment sur l'âge de départ fixé à 64 ans ou 65 ans. Sur ce point, Emmanuel Macron a fait volte-face pendant la campagne présidentielle en annonçant d'abord 65 ans puis 64 ans à quelques jours du scrutin pour le second tour face à Marine Le Pen. Peut-être que le chef de l'Etat fera machine arrière s'il veut compter sur les votes de la droite à l'Assemblée nationale.