Est-ce la fin de l'inflation galopante qui sévit depuis près d'un an aux Etats-Unis ? Les derniers chiffres semblent le laisser penser. En juillet, pour la première fois depuis plusieurs mois, le pays a, en effet, enregistré un ralentissement de l'inflation, passée de 9,1% à 8,5% le mois précédent. Un signe encourageant qui semble encore bien loin en Europe où l'indice des prix à la consommation, dans la zone euro, culminait le mois dernier à 8,9% de hausse sur un an, contre 8,6% en juin. Suivant la tendance européenne, la France a vu son inflation s'accélérer de nouveau en juillet, atteignant 6,1% sur un an contre 5,8% en juin. « Nous sommes au pic de l'inflation », assurait pourtant le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran le 28 juillet dernier, ajoutant qu'elle allait « commencer à baisser en 2023 ».
Dépendance au gaz
Peut-on vraiment espérer un pic dans les prochains mois comme cela semble être le cas aux Etats-Unis ? Rien n'est moins sûr, et ce, pour plusieurs raisons. A commencer par les facteurs qui alimentent cette inflation. Si les Etats-Unis connaissent un ralentissement de la hausse des prix, c'est principalement grâce à celui des tarifs de l'énergie, notamment la baisse d'environ 20% des prix de l'essence. Ces derniers ont flambé depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février dernier, atteignant des sommets. Mais depuis peu, le cours du pétrole semble être reparti à la baisse. « A l'inverse, les prix des biens de consommation, comme l'alimentaire, mais aussi les services, continuent d'augmenter, remarque l'économiste, Eric Dor, directeur d'études à l'IÉSEG School of Management. Or, comme le carburant a un poids important dans les dépenses, la baisse de ses tarifs est suffisante pour faire diminuer l'inflation moyenne même si les autres postes de dépenses continuent de croître ». « Il faut donc être prudent avant de tirer des conclusions face à ce qui pourrait n'être qu'une baisse en trompe l'œil de l'inflation », conclut-il. A l'inverse, l'Europe, qui a adopté un embargo sur le pétrole russe bien qu'assorti de quelques exemptions, pâtit surtout de la flambée des prix des livraisons de gaz dont elle est bien plus dépendante que les Etats-Unis. A cause de la guerre en Ukraine, les tarifs de l'hydrocarbure n'ont de cesse d'atteindre des sommets. Jeudi encore, le TTF néerlandais, la référence du gaz naturel en Europe, a fini à 241,00 euros le mégawattheure (MWh), record historique de clôture, et poursuivait sa hausse ce vendredi. « L'Europe pourrait, en effet, souffrir encore largement des variations du prix du gaz comparé aux Etats-Unis, autonomes en matière d'énergie », commente Eric Dor.
Une inflation contenue par les pouvoirs publics
Pourtant, cette flambée du prix du gaz ne se retrouve pas totalement sur la facture des ménages de certains Européens comme en France qui multiplie les mesures de soutien au pouvoir d'achat. En place depuis le 30 septembre 2021, le bouclier tarifaire permet ainsi de contenir l'inflation du gaz. De même, une ristourne à la pompe a été instaurée pour réduire de 18 centimes le prix de chaque litre de carburant. En Allemagne, le gouvernement a décidé d'abaisser temporairement la TVA sur le gaz, de 19% à 7%. « Dans plusieurs pays européens, l'accélération de l'inflation est limitée par les différentes interventions des pouvoirs publics. Il est donc difficile de comparer son évolution avec celle des Etats-Unis car cela crée un décalage. Et, l'annonce du chancelier allemand Olaf Scholz, il y a peu, concernant la baisse de la TVA sur le gaz, montre que ces Etats n'en ont pas encore fini avec cette stratégie. La question est donc de savoir jusqu'à quand ces dispositifs, qui empêchent le choc des prix de se diffuser jusqu'au consommateur, vont être maintenus ? », s'interroge Denis Ferrand, directeur général de Rexecode.
Vers une inflation durable
D'autant que, même si l'inflation venait à diminuer, grâce notamment à une amélioration de la situation sur le plan géopolitique, il est peu probable qu'elle retrouve son niveau de 2020. « Elle sera moindre quand le facteur extérieur qu'est la hausse des prix de l'énergie se sera affaibli, mais elle ne redescendra pas à 2% », l'objectif fixé par la Banque centrale européenne (BCE), prédit Denis Ferrand, qui s'attend à ce qu'elle se stabilise autour des 5%. « L'inflation, qui était jusqu'alors de nature circonstancielle, provoquée par la forte reprise de l'économie après la crise sanitaire et accentuée par la guerre en Ukraine, pourrait devenir davantage fondamentale, notamment si on observe une indexation des salaires sur les prix», explique-t-il. Aux Etats-Unis, où les entreprises font face à un manque important de main d'œuvre, le salaire horaire moyen dans le privé a ainsi connu, en février, une hausse de 5,7% au cours des 12 derniers mois.
« Le risque de tension sur les prix va persister », abonde Eric Dor qui avance, de son côté, la nécessité de changer de modèle. « La crise sanitaire et la guerre en Ukraine nous ont montrés qu'il fallait s'affranchir de notre dépendance excessive à la Chine et relocaliser certaines de nos industries. Or, cela risque de renchérir le prix des produits. De même pour notre dépendance énergétique », analyse-t-il. Et de conclure : « Nous allons devoir sortir de ce modèle basé sur des prix très bas. La grande période déflationniste que nous avons connu jusqu'à peu, arrive probablement à sa fin ».