Jean Moreau (Phénix, Impact France) : « Aujourd'hui, la sobriété est devenue sexy »

Organisées depuis quatre ans par le Mouvement Impact France, les Universités d'été de l'économie de demain (#UEED) se tiennent ce mardi 30 août à la Cité internationale universitaire, à Paris. L'occasion, pour les acteurs économiques engagés, de débattre des solutions à apporter au thème choisi pour cette année, la sobriété. Jean Moreau, co-fondateur et PDG de la société Phenix, et co-président, avec Eva Sadoun, du Mouvement Impact France, analyse les changements déjà en cours et le chemin qui reste à parcourir pour l'avènement d'une nouvelle philosophie de production et de consommation, plus durable et plus positive.
(Crédits : DR)

Suivez ici les débats des Universités d'été de l'économie de demain dont La Tribune est partenaire média

 8h45-11h00

11h00-13h00



14h00-16h30



16h30-19h00

Le thème des #UEED cette année "Sobriété, j'écris ton nom", est évidemment plus large que la seule sobriété énergétique, mais les économies d'énergie sont d'actualité et nécessitent des efforts concrets de la part de tous. Y voyez-vous une opportunité pour faire avancer la philosophie du Mouvement Impact France ?

Jean Moreau - Oui, absolument ! On pourrait même dire que l'inflation constitue à certains égards une chance, puisque, même si la prise de conscience concernant les enjeux environnementaux est de plus en plus forte, la hausse des prix actuelle nous oblige à redécouvrir la valeur réelle des produits, alimentaires ou énergétiques, et renforce, par la même occasion, l'idée qu'une nouvelle sobriété est nécessaire, à travers des actions concrètes.

Vous dites qu'il vaut mieux une sobriété choisie que subie, mais est-ce que tous les citoyens peuvent la choisir ?

ll y a trois ou quatre ans, ceux qui, comme nous, militaient en faveur de la sobriété, passaient au mieux pour des bobos urbains déconnectés des réalités du territoire et au pire pour de dangereux radicaux, tenants de la décroissance. Il ne s'agit pas de cela. Il ne s'agit pas de décroissance ni de déconsommation, mais d'une autre façon de faire. D'ailleurs, aujourd'hui, la sobriété est devenue « sexy ». Et les habitudes de consommation commencent à changer, ne serait-ce que pour des raisons de pouvoir d'achat.Pourquoi ne pas acheter des fruits considérés comme « moches » auparavant s'ils sont bios ou moins chers ? Pourquoi s'obséder avec les dates de péremption sur les yaourts ? Pourquoi acheter des vêtements neufs ? De même, pourquoi éclairer des vitrines toute la nuit ou faire des publicités lumineuses dans les gares et les métros ? Et, au-delà du pouvoir d'achat, je crois qu'il y a une nouvelle gratification à agir en faveur de la sobriété. C'est plus futé !

D'ailleurs, je suis assez optimiste sur la nouvelle génération et les moins jeunes, également. La mode est à l'économie circulaire, à la récup, aux vêtements de seconde main et aux téléphones portables reconditionnés. Elle est en outre portée par de grands acteurs comme leboncoin, vinted ou Back Market qui peuvent déployer cette nouvelle consommation à grande échelle. Adhérent au Mouvement Impact France, leboncoin enregistre quelque 28 millions de visiteurs uniques par mois sur son site. C'est donc bien une lame de fond. Nous le voyons aussi avec Phenix, la société que j'ai cofondée, et d'autres, comme les Danois de Too Good To Go.

Nous luttons contre le gaspillage alimentaire, via des applis qui connectent les associations ou les consommateurs avec des commerçants ayant des invendus. Sauver des produits de la poubelle est devenu cool et chacun, désormais, a envie de faire un geste, comme le colibri de la légende qui fait sa part pour éteindre l'incendie. C'est donc cet état d'esprit et ce discours, positifs, qu'il faut développer de façon plus large sur la sobriété, énergétique et autre, pour qu'ils se généralisent et s'installent dans toute la société. C'est la seule solution, en fait, car la radicalité perçue auparavant, nécessaire pour initier la dynamique, ne pouvait pas, par définition, embarquer la majorité.

Au-delà des habitudes de consommation, qu'est-ce qui doit changer dans les activités de production des entreprises ?

Il s'agit en effet de produire moins, mais mieux : des biens responsables, de bonnes qualités, fabriqués de préférence avec des matières premières locales obtenues en circuits courts, et éco-conçus de manière à être économes en énergie et à offrir la possibilité d'être récupérés et reconditionnés. Même chose pour la livraison, qui doit s'effectuer en mobilité douce. Cette dynamique se met progressivement en place. Les entreprises réorientent les énergies pour faire face à des enjeux cruciaux et pertinents. Mieux vaut plancher sur la capture du carbone avec de la R&D plutôt que sur une nouvelle paire de chaussettes à mettre sur le marché !

Mais il n'y a pas que les activités de production, il y a aussi la gestion humaine...

Naturellement ! Outre leur bilan carbone et leur empreinte sur l'environnement, les entreprises de l'économie de demain devront de plus en plus adopter de bonnes pratiques sociales. Certaines le font déjà. Il s'agit aussi bien de privilégier l'insertion et la diversité que de mettre en place un meilleur partage de la valeur créée et du pouvoir, par le biais d'une politique de redistribution, sous la forme d'actionnariat salarié ou autre, et d'une gouvernance faisant de la place à toutes les parties prenantes.

À cet égard, nous militons aussi pour que les échelles de salaires, entre direction et salariés de la base, soient encadrées et ne dépassent pas un ratio de 1 à 7. Il est inacceptable de voir des salaires de dirigeants se situer jusqu'à des milliers de fois au-dessus de la rémunération plancher. Ce qui nous incite également à dire que si les entreprises doivent évidemment continuer à être rentables, elles doivent surtout être bien gérées et adopter une nouvelle notion, celle de la lucrativité limitée... En fait, ce qui manque encore actuellement, c'est un score d'impact pour les entreprises. Au même titre qu'il existe un Nutri-Score, le Mouvement Impact France appelle de ses vœux un label unique qui mesurerait l'impact social des entreprises, fondé sur une mesure aisément lisible par les citoyens.

Pour l'heure, plusieurs philosophies cohabitent - de la société à mission au label B Corp en passant par l'économie sociale et solidaire et les critères Environnement, Social et Gouvernance (ESG) pour les investissements. Mais elles ne couvrent souvent qu'une partie des aspects à prendre en compte. En outre, les méthodologies, pour les calculs, ne sont pas encore assez matures pour faire émerger un seul label qui répondrait à tous les besoins citoyens.

Toujours est-il que les entreprises ont bien compris que si elles veulent attirer des talents et les retenir ensuite, elles doivent apporter des réponses aux questions que se posent les jeunes diplômés comme ceux de Polytechnique, d'AgroParisTech ou d'HEC et d'autres, montrer que leurs engagements sont concrets et se déploient au quotidien, en termes de sens, de transition de carrière et d'évolution professionnelle, sous peine, sinon, de perdre la bataille du recrutement et de la rétention... Autant dire, donc, que le rôle de l'entreprise a changé. Non seulement elle doit créer de la valeur et des emplois, mais en plus, elle doit être durable et contribuer à la résolution des problèmes sociaux et environnementaux.

Mais n'y a-t-il pas encore quelques difficultés à surmonter, du côté des investisseurs, notamment, et des pays en développement ?

L'investissement à impact a pris son essor et c'est également un mouvement de fond aujourd'hui, même s'il faut toujours vérifier la sincérité et les ambitions des acteurs et se méfier des opportunistes. Ainsi, on peut se demander pourquoi toutes les start-up qui promettent des livraisons en moins de 10 minutes, par exemple, réussissent à lever des dizaines de millions d'euros, alors qu'il est bien évident que cet argent pourrait financer des services plus utiles à la société...

Et d'autres difficultés subsistent, en effet : elles vont de la foi aveugle en la technologie, censée tout régler, en particulier en ce qui concerne la lutte contre le dérèglement climatique, alors que chacun doit faire sa part, à la demande des pays en développement de croître sur le même modèle que celui adopté dans le passé par les pays industrialisés, sans oublier le désir des classes moyennes émergentes, qui veulent elles aussi consommer à tout va. Nous devons avoir l'humilité de leur dire que nous nous sommes trompés - et qu'il serait dangereux de refaire les mêmes erreurs...

Commentaire 1
à écrit le 30/08/2022 à 12:12
Signaler
Ingurgité un mode d'emploi pour que l'aspect financier soit plus durable! Tout ce qui n'est pas sobre et résilient est à bannir!;-)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.