Intégrer un point énergie dans les bulletins météorologiques, éteindre la Tour Eiffel et l'éclairage d'autres monuments historiques les jours de forte tension sur le réseau électrique, faire respecter les lois existantes afin de limiter le chauffage et la climatisation dans les bâtiments publics ou encore faire disparaître progressivement le bouclier tarifaire en renforçant les aides ciblées pour envoyer le bon signal prix aux consommateurs... Dans une note publiée le mardi 23 août, le groupe de réflexion Terra Nova dresse une liste de recommandations pour impulser un véritable élan de sobriété collective.
Une sobriété collective
« La genèse de ce rapport réside dans une réflexion visant à aller au-delà des petits gestes du quotidien, comme éteindre son Wifi ou la lumière d'une pièce inutilisée. Ces écogestes sont nécessaires, mais ils seront insuffisants », expose Nicolas Goldberg, membre du think tank, alors que la France redoute des pénuries de gaz et des coupures d'électricité en cas de grand froid cet hiver. « Dans ce contexte à haut risque et compte tenu du peu de temps imparti pour trouver des solutions, un concept autrefois honni par certains devient désormais à la mode : la sobriété. Assimilée, souvent à tort, à la décroissance ou un retour à la bougie, la sobriété sera, en effet, nécessaire pour diminuer nos consommations énergétiques et faire collectivement face au choc énergétique que nous sommes déjà en train de subir », écrit-il dans la note.
Alors que nos voisins allemands sont sensibilisés depuis plusieurs mois déjà sur les économies d'énergie à réaliser, le gouvernement français a tardé à sauter le pas, ne souhaitant pas inquiéter les concitoyens pendant la période estivale. Une campagne de communication auprès du grand public est donc attendue pour la fin du mois de septembre. Ce ne sera pas la première fois que les Français sont appelés à changer leur comportement pour économiser de l'énergie. Lors du choc pétrolier de 1973, des mesures drastiques d'économies d'énergies avaient été déployées, avec notamment l'arrêt des émissions télévisuelles après 23h et la limitation de vitesse sur les routes. La « chasse au gaspi » était lancée.
Contrôler et verbaliser pour faire respecter la loi
« Mais à cette époque, la défiance vis-à-vis de l'Etat n'était pas la même qu'aujourd'hui. Il est nécessaire de restaurer la confiance et cela nécessite d'appliquer et de faire respecter les lois existantes. Nous sommes convaincus qu'il y réside un énorme gisement d'économies d'énergie », pointe Nicolas Goldberg.
De fait, de nombreuses mesures de sobriété énergétique existent déjà dans la loi, mais ces dernières ne sont pas respectées par manque de contrôle. A titre d'exemple, aucune verbalisation n'a eu lieu pour sanctionner les gérants des terrasses chauffées en extérieur, pratique pourtant interdite depuis mars 2022. Chauffer les bâtiments publics au-delà de 19 degrés et les climatiser en dessous de 26 degrés est également déjà interdit selon plusieurs dispositions du code de l'énergie. Même chose pour l'éclairage des enseignes la nuit, interdit à partir d'1h du matin depuis 2018. « Il faut renforcer les contrôles et verbaliser en cas de récidives », estime l'expert, qui préconise également la dispense de formations pour les gestionnaires techniques des bâtiments.
Eteindre l'éclairage de la tour Eiffel la nuit
Selon le think tank, restaurer la confiance entre les institutions et les citoyens passe aussi par des mesures symboliques à vocation pédagogique. « Eteindre l'éclairage de la tour Eiffel la nuit pendant une semaine représente peu d'économies d'énergie, mais cela envoie un signal très fort. C'est une question de solidarité », juge Nicolas Goldberg. Une mesure pour laquelle la direction d'EDF milite depuis plusieurs semaines, mais dont la ville de Paris ne s'est pas encore emparée. Les économies d'énergie de telles mesures symboliques n'ont pas été chiffrées par le groupe de réflexion, qui a en revanche une certitude : ces mesures peuvent avoir des effets multiplicateurs non négligeables.
La note identifie également les événements sportifs et culturels, qui sont vecteurs de liens sociaux et qui projettent des modes de vie. « Ils constituent donc des moments clé pour véhiculer le bon exemple », souligne Nicolas Goldberg. L'idée ici serait d'intégrer un volet énergie à la charte des 15 engagements éco-responsables que de nombreuses fédérations sportives ont déjà signée. Cela permettrait, notamment, de limiter le recours aux groupes électrogènes qui fonctionnent au diesel.
Lancer la météo de l'énergie
Toujours dans une optique éducative, le groupe de réflexion plaide pour une sensibilisation des chaînes d'information à la « météo de l'énergie » en incluant le sujet dans les bulletins d'information météo cet hiver.
Autre grande piste de réflexion : travailler sur le signal prix pour inciter les consommateurs à réaliser des éco-gestes, comme décaler une machine à laver ou baisser son chauffage d'un degré. Des petits gestes qui sont efficaces, puisqu'en avril dernier, l'alerte Ecowatt lancée par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, a permis d'économiser entre 700 et 800 mégawatts de puissance. "Ce qui n'est pas loin d'un petit réacteur nucléaire », pointe Nicolas Goldberg.
Supprimer progressivement le bouclier tarifaire
Or, aujourd'hui, de nombreux économistes dénoncent l'absence d'un signal prix (effacé par la mise en place du bouclier tarifaire) pour inciter les Français à la sobriété. « Le bouclier tarifaire indifférencié n'a pas permis d'envoyer les bons signaux. Il a, en revanche, permis de protéger les ménages et les entreprises les plus fragiles », reconnaît Nicolas Goldberg. Pour envoyer le bon signal, le groupe de réflexion plaide pour éteindre progressivement le bouclier tarifaire, tout en renforçant le chèque énergie pour les plus précaires . Terra Nova milite également pour un dispositif de conversion du chèque énergie en numéraire afin d'assurer une meilleure utilisation par les ménages éligibles, sachant que 25% d'entre eux n'utilisent pas ces chèques chaque année pour des questions de complexité.
« Il faut aussi une rénovation des politiques tarifaires », pointe Nicolas Goldberg. Selon lui, il est urgent de relancer les campagnes de souscriptions aux tarifs différenciés qui varient selon les moments de la journée, en fonction qu'ils correspondent, ou non, à des pointes de consommation. « On pourrait alors abonder le chèque énergie pour les ménages éligibles ayant souscrit à de tels tarifs », ajoute-t-il.
Une sobriété de long terme pour le climat
Tout l'enjeu de cette réflexion consiste à rendre la sobriété désirable collectivement, mais pas uniquement sur le court terme pour limiter les difficultés d'approvisionnement l'hiver prochain et le suivant. « Il faut penser la sobriété sur le long terme dans une logique climatique, avec, par exemple, un vaste plan de sobriété sur le report modal », étaye l'auteur de la note. L'idée ici est d'investir dans des infrastructures favorisant le covoiturage ou encore des mobilités décarbonées comme le vélo.
Terra Nova, qui a adressé sa note au ministère de la Transition énergétique, espère être entendu. Il doit participer aux groupes de travail programmés dans les semaines à venir sur le sujet. Le temps presse si la France veut atteindre son nouvel objectif fixé en juin dernier : baisser de 10% la consommation d'énergie finale d'ici deux ans. « -10%, cela peut paraître peu, mais ce serait dans ce laps de temps totalement inédit », juge Terra Nova. Pour rappel, en 2008, l'adoption du paquet Énergie-Climat du Conseil Européen fixait comme objectif 20% d'économies d'énergie finale en 20 ans et cet objectif n'a pas été atteint par la France.
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