Alors que les parlementaires s'entredéchirent sur le projet de loi immigration, le Sommet de l'inclusion économique, qui s'est tenu à Bercy le 28 novembre à l'initiative de la Fondation Mozaïk, avait inscrit à son programme une conférence intitulée « Besoin en compétences : comment l'immigration peut apporter une solution ». Loin des polémiques politiciennes, les dirigeants d'entreprises se sont avant tout montrés pragmatiques. Les chiffres, en effet, sont sans appel. Sept métiers sur dix étaient en tension en 2021, selon la Dares. Près de 400.000 emplois seraient actuellement vacants en France, faute de candidats à l'embauche, estiment les fédérations d'employeurs.
Plus de 850.000 baby-boomers atteignent chaque année la soixantaine et prennent progressivement leur retraite, d'après France Stratégie. Pis, le nombre de naissances ne cesse de reculer dans l'Hexagone. Comment trouver de la main d'œuvre, aujourd'hui et demain ? Comment remplacer ceux qui partent ? Comment dénicher de nouveaux talents, alors que les établissements d'enseignement et de formation n'en produisent pas suffisamment et que la transition énergétique, environnementale et numérique est porteuse de milliers de postes supplémentaires ? Les réponses, à court terme comme à long terme, passent, selon les intervenants à la conférence, par l'immigration de travail.
« L'accueil de travailleurs étrangers est plus qu'une chance, c'est une solution pour la performance de l'économie française », assure ainsi Céline Peudenier, membre du directoire du Groupe SOS (entreprises de l'économie sociale et solidaire), en charge de l'inclusion professionnelle et des politiques RH.
Dédramatiser l'immigration
« Il faut dédramatiser l'immigration. Nécessité fait loi, ajoute Pierre-Olivier Ruchenstain, directeur général de la Fédération des Particuliers Employeurs et conseiller au Cese. Quelque 800.000 postes seront à pourvoir dans les services à la personne d'ici 2030. »
Dans ce secteur, impossible de se passer des travailleurs étrangers. Pas plus, d'ailleurs, que dans d'autres, dont l'hôtellerie-restauration et l'artisanat (boulangerie, etc.)... Et les employeurs qui embauchent des étrangers sont satisfaits, « estimant à 75 % qu'un tel salarié est source d'enrichissement pour l'entreprise », ajoute Olivier Ruchenstain.
« D'aucuns sont même bluffés par les compétences de certains nouveaux venus, comme les Ukrainiens », renchérit Arnaud Muret, directeur général de l'Opco EP, spécialisé dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les métiers de l'artisanat, les professions libérales et les services de proximité.
Mais pour qu'un système d'immigration de travail réussisse, encore faut-il le vouloir et le penser...
Construire une politique d'accueil
« Nous devons mettre en place une vraie politique d'accueil », assure Flora Vidal Marron, fondatrice et directrice générale de Weavers, un institut qui forme et facilite le recrutement des personnes exilées.
Au fil des nombreuses lois sur l'immigration, c'est le contraire qui s'est produit. Avec quelques aberrations. Céline Peudenier, du Groupe SOS, cite ainsi le cas d'un ingénieur syrien à qui l'on a proposé de poser des câbles pour la fibre, faute de reconnaître son diplôme, et d'un grand groupe d'hôtellerie qui se devait d'imposer la maîtrise du français à ses salariés, alors qu'ils allaient être en contact avec une clientèle internationale...
« Nombreux sont les chefs d'entreprise qui voudraient voir infléchir ce qu'on appelle la clause Molière, sur l'imposition de la langue française comme langue de travail (sur les chantiers, en particulier) et embaucher des étrangers ne parlant pas le français », souligne de son côté Arnaud Muret, de Opco EP.
Mieux vaudrait donc accélérer la reconnaissance des diplômes et alléger les contraintes réglementaires, ont plaidé les intervenants à la conférence sur l'immigration. Et, au lieu de raccourcir, toujours et encore, les permis de séjour et de travail, au contraire les rallonger, afin de permettre aux détenteurs d'avoir de réelles perspectives de qualifications accrues et d'évolution professionnelle dans la durée. En somme, de leur offrir la possibilité de se développer, de s'épanouir et de s'intégrer. « Les immigrants sont comme les autres salariés, ils ont eux aussi un désir d'évolution et d'intégration par le travail. Une politique d'accueil devrait se fonder sur un triptyque : information, accompagnement social (dont le logement) et accompagnement professionnel », résume Flora Vidal Marron, de Weavers. Bref, « il faut, conclut-elle, traiter l'immigration comme un fait, l'aborder de façon objective et l'accompagner législativement, avec une politique qui va au-delà des débats et dans le sens de l'intérêt de tous. »