Ce 6 mars 2024, jour de ses 46 ans, Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des Comptes publics, n'est pas près de l'oublier. « Pour son anniversaire, il a reçu la foudre de Jupiter, Emmanuel Macron ne l'a pas raté », raconte un membre du gouvernement présent comme lui au traditionnel Conseil des ministres.
L'erreur de ce macroniste de la première heure ? Avoir suggéré, pour limiter les dépenses, de sous-indexer les retraites dans le futur budget 2025. « Arrêtez de sortir des mesures qui n'ont même pas été évoquées, sauf si vous voulez à coup sûr perdre les élections ! » s'emporte alors Emmanuel Macron. Depuis, plus personne dans l'entourage du président ne s'avise de remettre cette option sur la table.
Indexation des retraites
Pourtant, ce coup de pouce aux aînés pèse lourd sur les comptes : « L'indexation de 5,3 % des pensions, ce sont les 15 milliards d'euros qui manquent dans le budget 2023 », pointe François Ecalle, ancien conseiller à la Cour des comptes. Et le fondateur du site Fipeco d'ajouter : « C'est un choix purement politique, car le niveau de vie des retraités est, en moyenne, supérieur à celui des actifs. »
Emmanuel Macron a toujours soigné cet électorat qui, jusqu'à présent, le lui rendait bien. Mais, aujourd'hui, il s'éloigne. Et cette prise de distance est justement en partie liée à ces milliards d'euros dépensés : une dette qui explose à plus de 11O % du PIB, un déficit à 5,5 % du PIB, des services publics sous-financés... sont des éléments auxquels les plus âgés sont sensibles. Au point que le mythe écorné d'un Emmanuel Macron « Mozart de la finance » ne les laisse plus indifférents. Et la crédibilité budgétaire de l'ancien grand argentier de Bercy pourrait encore être abîmée, dans les jours prochains, par le verdict des agences de notation. Du pain bénit pour la droite, qui y voit un prétexte idéal pour justifier sa menace de censure du gouvernement.
D'autant qu'un autre dossier éloigne déjà du président les plus âgés : la remise en question des règles d'assurance chômage spécifiques pour les seniors. En novembre dernier, Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, est le premier à se prononcer en faveur d'un abaissement de la durée d'indemnisation du chômage des plus de 55 ans pour l'aligner sur celles des autres demandeurs d'emploi. « Mais son idée ne passe pas, y compris dans notre électorat, note un ministre. On connaît tous une personne de 57 ou 58 ans qui a été licenciée et qui peine, de bonne foi, à retrouver du travail. »
Sans compter que cette proposition fracture la majorité. « Ne jouer que sur le levier de l'assurance chômage sera économiquement inefficace, risque de créer des trappes à pauvreté et fera voter en faveur du Rassemblement national », s'alarme ainsi la députée macroniste Astrid Panosyan-Bouvet. Et ce, d'autant plus que la récente suppression de l'allocation spécifique de solidarité (ASS), qui bénéficie en majorité aux plus de 50 ans, est déjà raillée par le RN.
Enfin, l'offensive du gouvernement sur les réserves du régime complémentaire du privé Agirc-Arrco finit d'irriter les retraités. Pour combler le déficit du système général, l'exécutif se verrait bien puiser dans une partie des 78 milliards d'euros. Soit un véritable hold-up pour les salariés et pensionnés de ces caisses. « Et la certitude de voir leur niveau de vie rogné, car 1 milliard d'euros transféré au régime général équivaudrait à une baisse de 1 % de revalorisation des pensions du privé », rappelle Didier Weckner, le vice-président de l'Agirc-Arrco.
Le souvenir de la hausse de la CSG pour les retraités
Emmanuel Macron va-t-il changer de braquet ? Possible, tant la situation budgétaire est tendue, plaident des membres de sa garde rapprochée. Reste que chat échaudé craint l'eau froide. Le chef de l'État reste marqué par la colère provoquée par la hausse de la CSG pour les retraités au début de son premier quinquennat. En 2019, il avait, par ce biais, voulu financer la baisse des cotisations des salariés... avant de se raviser.
Des économistes militent pourtant pour rééquilibrer la situation entre les générations. À l'image de Gilbert Cette, président du Conseil d'orientation des retraites : « En cette période de consolidation fiscale, la suppression de l'abattement fiscal de 10 % des retraités ou la hausse de la CSG pour les pensionnés les plus aisés sont des pistes à ne pas rejeter. » Des pistes qu'Emmanuel Macron étudiera peut-être... le plus tard possible.